Louis Pierre Mouillard,

le pionnier qui a su partager sa passion : « le vol sans dépense d'énergie »

 

  Louis-Pierre-Marie Mouillard est né à Lyon, en France, le 30 septembre 1834. À l’âge de 15 ans, en cachette de ses parents, il fabrique un hybride de parachute et d’oiseau, en utilisant de vieux parapluies et des draps. Grimpé au sommet du clocher de l’église de Fourvière, il est arrêté in extremis par le sacristain, alors qu’il est sur le point de sauter dans le vide. Dès la fin de son passage au collège des Lazaristes en 1851, il étudie les oiseaux dans le vaste grenier de la maison familiale. Sous l’œil érudit de son père qui finance ses recherches, il mesure envergure, surface, poids des oiseaux « frais » et calcule les charges alaires qu’il met en tableaux (comme il continuera de le faire tout au long de sa carrière Fig. 1), pour déterminer les proportions nécessaires pour faire voler un homme de 80 kg.

 

Fig. 1 : Lettre de P. Mouillard au Docteur Hureau de Villeneuve, secrétaire général de la Société Française de Navigation Aérienne

 

 En 1856 il construit son premier appareil à fuselage coque où le pilote est couché.  Le décès de son père cette même année, conduit Louis et ses frères à quitter Lyon pour l’Algérie, où les Mouillard possèdent un domaine agricole dans la vallée de la Mitidja, qu’ils doivent maintenant exploiter. Après une nouvelle tentative infructueuse d’ornithoptère, il conçoit son appareil numéro 3 (Fig. 2), un monoplan sans queue de 12 mètres carrés pour un poids de 13 kg où l’équilibre est assuré par le déplacement du corps du pilote. Le 12 septembre 1865, il décolle d’une route surplombant la plaine de 1,5m et effectue un vol concluant de 42 mètres en 15 secondes contre un vent de 5m/s. Cela restera son expérience la plus réussie.

 

 

Fig. 2 : Planeur N°3

 

 En 1866 une épidémie de peste s’abat sur l’Algérie. Louis Mouillard, artiste dessinateur, ancien élève d’Ingres, quitte le pays malade et ruiné. Grâce à l’aide de son ami d’enfance Alphonse Daudet, il obtient un poste de professeur de dessin à l’École Polytechnique du Caire. En Égypte, il est émerveillé par les leçons de vol à voile que lui donnent les vautours et les pélicans.

  Il conçoit son quatrième appareil (Fig. 3), qu’il commence à construire en mars 1878.

 

Fig. 3 : Plan dessiné par Mouillard de son planeur N°4. Le pilote est représenté tenant le volant. Configuration pour vent moyen, queue repliée. Par vent nul les ailes s’ouvrent vers l’avant et la queue se développe (archives Musée de l’air de Paris-Le Bourget).

 

Il s’agit d’un monoplan d’abord conçu comme un appareil portatif mesurant 16 mètres d’envergure et 35 m2 pour 45 kg. Puis il l’équipe de 2 roues en ligne, d’un poste de pilotage avec un siège (Fig. 4), et d’un empennage horizontal à surface variable.

 

Fig. 4 : Le planeur N°4 de Mouillard au Caire en 1892-1894

 

Un volant en liège et en aluminium assure la profondeur en agissant à la fois d’avant en arrière pour faire varier la flèche des ailes et par rotation pour commander lacet et roulis, qui en augmentant la traînée de l’aile intérieure fait tourner la machine (Fig. 5).

 

Fig. 5 : Le siège et le volant sont bien visibles sur le planeur N°4 en cours de construction.

 

  S’il vous semble aujourd’hui naturel et incontournable que les avions utilisent ce système, le volant était loin d’être la norme à l’époque. Il ne sera introduit pour la première fois sur une voiture, à titre expérimental, lors de la première course automobile Paris-Rouen (intitulée « Concours des voitures sans chevaux ») qu’en juillet 1894, sur une Panhard. Combien d’années faudra-t-il pour voir ce système si intuitif de commande deux axes se généraliser ? Longtemps les commandes de vol seront partagées entre le manche à balai et le volant. Ce n’est que l’avènement de l’aviation commerciale qui pérennisera le choix de Mouillard.

  Tout ceci avait été scrupuleusement mis au point sur de nombreux modèles réduits de planeurs, dont l’un mesurait 5 mètres d’envergure ! Lancés du sommet d’une carrière de 70 mètres de haut ils parcouraient jusqu’à 450 mètres.

 

  Mais une terrible maladie brisant en lui toute agilité vint interrompre ses travaux. L’ancien gymnaste devint impotent. Si son corps refusait de le servir, son cerveau restait actif et en 1881 il décide de livrer au public sa grande idée : le vol humain est possible.

  L’étude du vol des vautours - qu’il a qualifié « d'admirables » - le conduit à plusieurs observations, qu’il publie dans un livre intitulé « L'EMPIRE DE L'AIR ESSAI D'ORNITHOLOGIE APPLIQUÉE A L'AVIATION ». L’ouvrage va devenir l’un des classiques fondamentaux de l’histoire de l’aéronautique.

  En trente années de travaux, cet homme n'avait jamais encore rencontré une personne comprenant ou admettant le principe du vol sans dépense d'énergie. Les frères Wright, d'après une interview rapportée dans l'Aérophile de Juin 1910 attachèrent une extrême importance à cette publication et déclarèrent ceci : « Nous étions sur le point d'abandonner nos travaux lorsque le livre de Mouillard nous est tombé entre les mains et nous avons continué avec le résultat que vous savez ».

  De passage à Paris toujours en 1881, Louis Mouillard impressionne favorablement les personnalités impliquées dans le domaine aéronautique : leur accueil chaleureux a revigoré l’amer pionnier. Paris va d’ailleurs se souvenir de lui car, en 1889, le physiologiste Étienne-Jules Marey, auteur de l’ouvrage « Le vol des oiseaux », une publication qui confirme les observations de Louis Mouillard, organise un banquet qui réunit une cinquantaine de pionniers. Cette réunion restera célèbre comme le « premier dîner des aviateurs », auquel assisteront, parmi d’autres célébrités, Octave Chanute, brillant théoricien franco-américain et futur conseiller des frères Wright, qui entame bientôt une correspondance avec Louis Mouillard.

  Le 20 novembre 1890, Louis Mouillard adresse à Octave Chanute en 6 feuilles, un résumé de ses recherches, y compris, entre autres, le principe de gouvernes en bout d’aile. Le 24 septembre 1892 Octave Chanute dépose aux Etats-Unis pour Louis Mouillard, en tant qu’« assignee » à 50% des droits, le brevet « Means for aerial flight » (« Les moyens du vol aérien ») (Fig. 6 et 7). Le brevet sera délivré le 18 mai 1897 (sur ce lien, activez la traduction du brevet).

 

 

Fig. 6 : La première page du brevet

 

Fig. 7 : Un dessin du brevet montrant le mécanisme permettant de faire varier la flèche du longeron et la surface mobile d’intrados en bout d’aile.

 

 

Chanute enverra cette même année à Mouillard pour ce brevet la somme de 2.000 $ (72.000 $ environ au cours actuel et normalement autant pour lui). Il serait intéressant de retrouver qui a jugé utile d’investir une telle somme pour acquérir les droits de ce brevet. Dans tous les cas, ce brevet est important. Le principe du gauchissement de l’intrados de l’extrémité des ailes est le premier pas vers l’invention du principe du gauchissement complet et des ailerons. Ce montant est le bienvenu pour Louis Mouillard dont les finances ne sont pas brillantes. En retour, le Français adresse à Octave Chanute la copie du manuscrit « LE VOL SANS BATTEMENT » qui lui renverra ses commentaires.

  Malheureusement, le 20 septembre 1897, Louis-Pierre Mouillard meurt au Caire, des suites d’une une très longue maladie et dans un complet dénuement. Ce deuxième livre ne sera publié à titre posthume qu’en 1912. Son appareil ainsi que 1.200 documents purent heureusement être recueillis à temps par le Consul de France au Caire. Il les vendit aux enchères le 11 mars 1910 et le tout fut adjugé pour la somme dérisoire de 32 Francs. Le généreux acquéreur envoya gracieusement ces précieux souvenirs à Paris au Musée de la Ligue Nationale Aérienne. Il est bien dommage que ce formidable trésor ne soit jamais réapparu !

 

 

Fig. A : La merveilleuse illustration de la main de Louis Mouillard, dans son livre   "L'empire de l'air"


 

 

 Louis Mouillard a-t-il inventé le gauchissement ? La réponse est-elle dans son brevet ?

    Le brevet et le planeur N°4 sont contrôlés sur deux axes, roulis/lacet et tangage. Le tangage consiste à faire varier la flèche de l’aile d’avant en arrière en même temps que la variation de la surface de la « queue » (empennage horizontal) (Fig. 8). Pour réduire la vitesse, les ailes avancent vers l’avant et la surface de la queue augmente. Pour piquer, les ailes reculent vers l’arrière et la surface de la queue se réduit. Ces variations de géométrie et de surface sont nées de l’observation des vautours.

Fig. 8 : Les 3 configuration de l’ailes avec variation de la surface de l’empennage. La géométrie variable vient d’être inventée !

Les longerons sont reliés par un axe vertical C (Fig. 7), maintenus en position médiane par un ressort et manœuvrés dans le brevet, par le pilote à la main ou avec les pieds « en cas d’urgence », et sur le planeur N°4, en poussant ou tirant le volant.  

 

 

   Le roulis est assuré par des surfaces mobiles d’intrados en bout d’ailes (Fig. 9), actionnées par la rotation du volant à gauche ou à droite sur le planeur N°4 et décrites comme suit dans le brevet : 

« Afin d’assurer la direction horizontale de l’appareil, c’est-à-dire le guidage vers la droite ou la gauche. Je remplace le gouvernail ordinaire par un nouvel arrangement plus efficace. Une partie J’de tissu à l’arrière de chaque aile est libre du cadre à son bord extérieur et sur les côtés. Elle est raidie avec des lames ou des lamelles appropriées N, en matériau souple, et normalement repose contre le filet.

Les cordons O sont fixés au bord arrière de la portion J' et passent vers l’avant dans les anneaux P, où ils s’unissent et vont vers les poignées Q près des extrémités intérieures des ailes. Une traction sur l’une de ces poignées cause la courbure vers le bas de la portion J’, comme montré dans la figure 10, et ainsi attrape l’air, augmentant la résistance de ce côté de l’appareil et l’obligeant à tourner dans cette direction. »

« Lorsque les deux parties sont tirées vers le bas ensemble, elles servent de frein efficace pour contrôler la vitesse. »

 

Fig. 9 : Les baguettes N sont courbées vers le bas par la traction des câbles O (en rouge).

  Cette solution est intéressante sur le plan structurel. La trainée générée est certainement plus importante que sur un gauchissement classique mais elle permet de garder la rigidité de l’aile contrairement au gauchissement complet.

  Ces surfaces en tissu tendu sur des lames souples (Fig. 10) ne sont retenues par Louis Mouillard que pour leur augmentation de trainée, dont il explique l’utilisation possible comme aérofreins (là aussi une première !).

 

Fig. 10 : La figure 10 du brevet ne représente que l’intrados de l’aile. Si on complète le dessin avec l’extrados et la mise en perspective, « l’aileron » tel que Louis Mouillard l’avait pensé s’impose avec limpidité.

 

Mais leur configuration est très proche de celle d’un volet d’intrados générateur de portance (Fig. 11).

Fig. 11 : Parmi les différents types de volets, le volet d’intrados toujours largement utilisés un demi-siècle plus tard, représentera une solution bien plus pérenne que le gauchissement.

S’il avait pu essayer son appareil il aurait été confronté au même problème que les Wright en 1902 : Si l’on braque une commande (des ailerons, un gauchissement complet ou un gauchissement d’intrados) sur une aile à grand allongement, et que l’on incline à droite, le planeur tourne à gauche (lacet inverse bien connu des pilotes de planeurs) !  Il n’aurait eu que deux solutions pour corriger ce problème : mettre un empennage vertical (solution adoptée par les Wright) ou déplacer ces surfaces souples sur l’extrados, mais cette dernière solution pose d’autres problèmes de stabilité !

  En conclusion, on ne peut pas dire que Louis Mouillard ait inventé le gauchissement tel qu’il a été implémenté sur les premiers aéroplanes, mais on ne peut pas nier qu’il a inventé une forme de gauchissement, appliquée à l’intrados de l’aile (Fig. 12), qui aurait rempli la fonction pour laquelle il avait été conçu et cela dès 1892 ! Il paraît difficile de croire aussi que la publication de cette innovation n’ait pas inspiré d’autres constructeurs, quitte à la modifier et à l’améliorer. En ajoutant le système de commande deux axes par volant, le calcul des charges alaires et la géométrie variable de la flèche, il n’a manqué à cet innovateur de génie que les moyens physiques et matériels pour réaliser et se lancer dans une longue expérimentation, ce qui a été nécessaire à tous les pionniers.  

Fig. 12 : Tout était déjà présent dans la figure 10 du brevet, mais Louis Mouillard n’était plus là pour défendre son concept.

 

 


 

Ce site web

 

  Aujourd’hui les connaissances se diffusent largement grâce à internet et l’histoire de l’aviation qui a principalement commencé en France se trouve dans des livres accessibles uniquement aux francophones. Il y a 140 ans Louis Mouillard comprend que sa condition physique ne lui permettra pas de prouver que le vol humain était possible. Il décidait de partager sa conviction en écrivant « L’empire de l’air » puis « Le vol sans battement » . Afin que les internautes du monde entier puissent connaitre son œuvre, j’ai transcrit ces deux ouvrages en langage informatique (le html). Il m’a fallu faire le choix de garder certains mots ou expressions caractéristiques du français de l’époque, et d’en moderniser d’autres, afin que les traducteurs automatiques en donnent une version compréhensible dans tous les langages. Ainsi un japonais qui ouvrira le livre sur son ordinateur, se verra immédiatement proposer la traduction dans sa langue et avec les caractères qui lui sont propres.

 

Grâce au lien dans cet article, ou dans sa version en anglais sur le site de l’Université du Mississippi, (https://invention.psychology.msstate.edu/inventors/i/Mouillard/Mouillard.html), cliquez sur le texte en bleu pour aller vers :  son brevet (en anglais), le texte de son brevet traduisible dans toutes les langues y compris en Français pour vous chers lecteurs, ses deux livres « L’empire de l’air » et « Le vol sans battement », et sa correspondance avec Octave Chanute.

 

 

 

Février 2023, Jean-Yves Clément

Article à paraitre dans le magazine Vol à Voile N° 220 de septembre 2023.

 

Sources documentaires :

« L’œuvre ignorée de L.-P. Mouillard » par André Henry-Coüannier, Édition Aérienne 1923

« Pionniers », revue des Vieilles tiges_15 janvier 1969

« Histoire du vol à voile de 1506 à nos jours », par Éric Nessler, Les Œuvres françaises,1947

 

Autres liens vers l’histoire des premières inventions de l’aviation :

Hargrave the Pioneers: (ctie.monash.edu.au)

Gouvernes et commandes (claudel.dopp.free.fr)

Inventors Gallery (msstate.edu)

 

 

Fig. D : Monument en hommage à Louis Mouillard, élevé à Héliopolis en 1912 par la Colonie française du Caire (œuvre de Guillaume Laplagne, Directeur de l'École des Beaux-Arts du Caire).