Louis-Pierre Mouillard
Édition Aérienne, Paris, 1923
Exporté de Wikisource
le 18 octobre 2022
PAPIERS INÉDITS DE L.-P. MOUILLARD
(Musée de la Ligue nationale aérienne)
Le texte du second ouvrage
de Mouillard, Le vol sans battement, est
constitué par l’intégralité de son manuscrit copie. Nous y avons intercalé en outre, en caractères italiques, certaines
portions du manuscrit brouillon, qui
nous ont paru intéressantes, bien que l’auteur les ait supprimées lors de son
travail de copie.
Devons-nous
ajouter que nous ne nous sommes permis aucune modification, suppression ou adjonction du texte ? Tout
ce que nous publions dans les pages qui suivent est écrit de la main de
Mouillard.
Mais si
l’on juge critiquable le plan de l’ouvrage, c’est à nous que devra s’adresser
le reproche. Devant le défaut de classement précis des papiers de Mouillard,
nous avons tenté de mettre à profit et de compléter par la logique − sur
ce point seulement − les indications imparfaites trouvées dans le
manuscrit.
A. H.-C
DIX ANS APRÈS
Je n’ai rien fait, ou du
moins très peu fait depuis 1881, mais en place j’ai pensé beaucoup, et surtout
énormément réfléchi aux propositions énoncées dans l’Empire de l’Air.
Je les ai bien
vues, bien revues, et n’ai pas changé
d’opinion.
Mais j’y ai
constaté des lacunes telles que je me suis décidé à écrire le Vol sans
Battement, qui n’est à vrai dire que le complément
des idées affirmées dans mon premier livre.
J’ai peu
fait, mais je ne suis pas le seul qui se soit attardé dans l’inaction.
Aviateurs, faisons tous un meâ culpâ fervent,
et toujours suivons la devise : En avant ! Osons.
Ce livre est, comme son précédent, une œuvre absolument personnelle.
Je n’y
inscris pas ce que pensent les autres, mais seulement mes propres études ;
donc, point d’historique, pas davantage de citations. Le seul auteur dont je
m’inspire est l’Auteur de toutes
choses et je ne mets en cause que ses œuvres : les oiseaux. Les mille lieues
qui me séparent de Paris font que je ne puis me mêler aux débats de ta société [1].
J’aurais
souvent beaucoup à dire, mais ma communication arriverait toujours hors de la saison, je viendrais forcément relancer
une question oubliée ; il n’y faut donc pas penser.
Puis, bien réellement,
je m’occupe peu de ce que font les autres. Je suis imperturbablement ma
voie, ce qu’il me serait peut-être
difficile de faire si j’habitais Paris.
En somme,
la distance à laquelle je suis du centre de la société a du bon pour moi. Me
trouvant, par le fait, de l’éloignement, tout à fait hors du courant,
j’accumule les faits observés et les présente en bloc, avec leur rusticité,
leurs imperfections, mais assurément avec la saveur particulière qu’offre toute
étude faite consciencieusement sur nature. Je sens que c’est là ma force.
Tout ce
qu’on peut dire m’est indifférent. On décidera que telle valeur est tout, que
tel angle suffit ; je ne veux rien savoir de tout cela.
Je n’écoute que la leçon
du grand maître
: l’oiseau, et je m’efforce de le redire.
On me reproduira, on présentera comme neuves des idées émises dans l’Empire de l’air, je n’y fais nulle attention. Ce n’est pas à
moi de me défendre ; je ne le puis d’abord, étant trop loin, puis je sais que
mon livre a une date.
Je ne
rééditerai pas mes idées sur l’emploi excessif qu’on a fait des calculs, avant
la publication de l’Empire de l’Air, et
surtout depuis.
J’ai dit ma
pensée assez clairement, il est inutile de me répéter. Cependant ici je dois
dire que, depuis cette époque, loin de changer, cette appréciation s’est
fortifiée.
Quel résultat ont donné les mathématiques ?
On a essayé
de rendre classiques deux ou trois formules. Je ne les discuterai pas, parce
que je ne les connais pas.
Et je ne les ai pas étudiées parce que je ne saurais où les utiliser.
A quoi sert
de chercher quand tout est trouvé, quand tout est démontré, expérimenté devant
nos yeux ? L’oiseau est le grand professeur. Vous ne lutterez pas contre les
démonstrations. Les équations
démontreraient le contraire. de ce que dit le maître, croyez- vous que leur dire, serait écouté par
un esprit sérieux ? Non, assurément ! On ne peut lutter contre les œuvres du
Créateur. Ses affirmations influenceront toujours plus l’entendement humain que
le dire de toutes les formules.
L’algèbre
est pour moi, aviateur, un ennemi bien plus redoutable que le ballon. Du ballon on finira par faire quelque
chose, mais de la formule
il y a peu à espérer. On se fie à
elle, elle ne peut rien produire. C’est une machine,
c’est un broyeur
de difficultés, c’est une
meule. Vous lui donnez à moudre du plâtre, elle vous pulvérisera le plâtre,
mais ne vous donnera pas autre chose.
Pour faire
de bonne farine, de bon ouvrage, pour que nous reconnaissions cet outil bon et
utile, il faut d’abord chercher le blé.
Le blé, ce sont les bases
justes, les faits
précis. N’ayant pas lai prescience, il faut étudier ceux qui savent et ne pas vouloir
inventer.
Et il en
sera ainsi tant que l’on voudra faire tourner la meule sans lui donner du bon
grain à triturer.
Assurément,
il faut savoir compter. Il est même impossible de s’occuper avec fruit de
l’aviation, si on est gêné dans l’emploi de l’outil qui a nom : mathématique ;
mais, entre compter juste et jouer avec les formules il y a loin. Compter juste
donne des produits sérieux comme les chiffres, établir une équation sur la
pointe d’une aiguille, donne le même résultat que quand on bâtit sur le sable.
Donc, pour faire de bon algèbre, il faut de bonnes bases et vous ne les
trouverez que dans la bonne observation.
En résumé,
à mon sens, on ne possède pas encore les données qui permettent d’utiliser les
mathématiques. Puis, les possèderait-on qu’elles n’avanceraient pas d’un pas
une question où tout acte est un acte de vie, par conséquent impossible à
remplacer.
Cette
sainte horreur que j’ai de l’algèbre mal employée date de loin ; jugez,
lecteur, si j’ai raison de ne pas l’aimer. Il y a trente-cinq ans que le fait
s’est passé, et je l’ai encore présent à ma mémoire comme s’il datait d’hier.
J’avais
vingt ans, l’âge des grandes conceptions, des désirs violents, et j’aimais
l’aviation comme on aime à cet âge. Je ne le cachais pas à ma famille. Mon
père, homme instruit, me regardait penser sans intervenir. Il se prêtait même,
de bonne grâce, à mes dépenses pour les oiseaux, et n’intervenait en rien dans
mes faits et gestes.
Ainsi,
j’avais accaparé les greniers de la maison, qui étaient très grands, vendu tout
ce qu’ils contenaient pour faire place nette, et il n’avait rien trouvé à
redire ; trouvant probablement qu’il vaut mieux qu’un
jeune homme s’occupe, même d’aviation, que de trop se dissiper à abuser de la vie.
Mais un
jour cependant il me dit, me tendant un livre : mon pauvre enfant, les beaux
rêves sont finis, lis leur condamnation ; et il me remit l’Année scientifique
de L. Figuier qui venait de paraître.
Voici en substance ce que j’y lus :
«L’illustre
Lalande, dans le Journal des Savants, ' année..., démontre qu’il ne faut pas
moins de 127 mètres carrés de surface pour supporter un homme. »
Je courus à
la bibliothèque de Lyon, et j’y trouvai ce passage tel quel : c’était
exactement copié.
Je fus
littéralement écrasé moralement. Ce fut un effondrement de mon intellect. Je me
soumettais devant cet incomparable génie
des mathématiques, et ne songeai
pas un instant à me défendre.
Je n’avais que vingt ans !
(Au fond,
cette terreur était bien irréfléchie. Lalande parlait d’une chose dont il ne
connaissait pas les premiers éléments. Il était bien loin d’être un aviateur.
C’est exactement comme s’il avait causé dessin, musique ou couture. Au lieu de
rire et de me demander de quoi il se mêlait, je m’affolai comme un enfant que
j’étais).
Je fus long à me remettre.
Un mois se
passa ainsi, sans pouvoir penser, mais sans cependant pouvoir oublier ce beau
rêve.
Un jour, me
trouvant en face de mon grand aigle, je fis la réflexion suivante : Comment
s’arange-t-il ce gros oiseau pour avoir une surface de 127 mq ?
Ce ne fut
pas long. Je le pris, l’hypnotisai, le pesai à bout de bras ; je vis qu’il
pesait environ 5 kilog. Alors entrevoyant une immense bêtise, je fis le dessin
de son ombre, avec une précision rigoureuse, et établis sa surface, qui était
d’environ un mètre carré.
Le nuage était
dissipé. J’y revoyais après cette longue nuit d’un mois. Je comprenais que moi et mon oiseau avions raison du
grand mathématicien ; mais telle est l’impression causée par la prépotence d’un
grand nom, que je refis plusieurs fois mes calculs.
Enfin, muni
de mon aigle, et de ma grande feuille de papier, je redescendis près
de mon père.
Je le priai
de peser mon oiseau. Il trouva cinq kilog. et quelques grammes. Puis je le
priai encore de revoir mes calculs, ce qu’il fit, mais plusieurs fois comme
moi, ne pouvant admettre. une pareille erreur. Enfin il me congédia avec ces
mots : c’est bien curieux.
C’était effectivement bien curieux : une bêtise à la 127ᵉ puissance !
J’avais vaincu.
Mais que me serait-il arrivé si mon aigle, en s’étirant, ne m’avait montré ses grandes
ailes toutes déployées, qui, malgré leur ampleur, était infiniment loin
de compte comme surface. Il est probable que j’aurais
abandonné l’étude de ce problème, et que le vol à la voile serait encore
là-haut.
PREMIÈRE PARTIE
ÉTUDES D’OISEAUX
Ce genre de vol
est rare ; mais, cependant, il pourrait être produit par une foule de voiliers
qui ne l’utilisent que rarement.
Les oiseaux qui
se servent usuellement de ce vol sont les grands vautours des deux continents,
ayant tous un grand poids ; puis viennent ceux qui le produisent
accidentellement, ce sont : les aigles, les pygargues, pélicans, grues,
cigognes et généralement tous les oiseaux de proie.
Là se bornent environ les espèces
qui utilisent ce mode de
locomotion.
C’est donc
ceux qui tirent la quintessence de ce que peut produire le plus mince filet
d’air, que nous avons à envisager.
Les suivants
sont experts en cette évolution : oricou, gyps divers, et probablement les deux
ou trois variétés de condors.
L’aigle et
tous les aquilinés peuvent exécuter ce genre d’ascension et la produisent
quelquefois. C’est ordinairement quand le vent du midi va prendre que les
aquilinés se livrent au vol sans battement. À ce moment il y a un arrêt dans
l’atmosphère, le temps est lourd. l’air sonore ; on entend là-haut, dans les
airs, les cris de ces oiseaux, et on les voit alors toutes voiles déployées, la
queue en éventail, tourner lentement, et disparaître finalement dans le ciel.
Par ce temps
particulier, presque tous les oiseaux de proie se livrent à cette ascension.
Quel est le but de ce pèlerinage à la voile, en hauteur, par couple, de toutes
les espèces d’accipitres ? Qui sait ? Il est difficile de l’expliquer.
Cette manœuvre
est régulière à chaque retour du vent du sud ; par les autres temps, ils ont
leur vol à eux, et ne deviennent réellement voiliers excessifs que dans cette circonstance.
Ce qu’ils font a
ce moment spécial, ils peuvent le faire constamment ; pourquoi ne le font-ils
pas ?
En voici la
raison ;
Ce genre de vol
est trop lent pour eux, il ne correspond ni à leur activité, ni à leur
puissance, ni aux besoins de la vie ; c’est pour cela qu’il est peu utilisé.
Mais, en place, les vautours, qui eux ne sont jamais pressés, abusent du vol
plané, et on ne les voit recourir aux
battements que dans le cas d’absolue nécessité.
Je l’ai déjà dit,
et je le répète ici très intentionnellement, parce que j’ai la conviction de
n’avoir pas été cru : un grand vautour fauve (gyps fulvus), par un temps
ordinaire, où il y a un léger vent, part de son perchoir
qui est ordinairement un roc à pic d’une cinquantaine de mètres de hauteur,
s’abaisse, prend le vent, se met à tourner, monte en l’air, si haut qu’il
disparaît
; redescend, remonte, fait ainsi des évolutions sans nombre, jusqu’à ce qu’il aborde
la terre pour manger ; et tout cela sans un seul battement d’ailes.
Voilà ce dont vous vous persuaderez quand vous pourrez
étudier le grand
vautour.
Il n’y a pas d’erreur
Je l’ai vu mille fois et plus. J’ai suivi le gyps fulvus des journées entières ; et, s’il n’y a pas de vent,
s’il ne survient pas de mauvaise rencontre qui l’effraye, ce sera
perpétuellement deux ailes fixes, étendues fond, les pointes se pliant ou
s’étendant à peine : pas un seul
battement, et tout est produit dans la perfection comme transport, ascension,
course et descente.
Et ce n’est pas
un accident ! c’est le vol de toute la vie du vautour.
Ce fait si
important pour l’aviation est tellement précis, tellement étudié qu’il n’est
pas discutable.
Je ne sais
comment affirmer à nouveau. Je ne puis que dire à ceux qui n’ont pas vu et qui ne pourront voir : croyez ! Je ne mens
pas et j’ai bien vu.
Ce mode de
translation peut donc être reproduit par un aéroplane fixe, c’est-à-dire qui ne peut pas produire
de battement. Donc avec une simple surface
rigide on peut reproduire
ce vol, à la condition de posséder les deux directions verticale et
horizontale.
Ce vol comme
perfection d’effets produits, et tous effets utiles à l’homme, toutes manœuvres
qu’il désire pouvoir exécuter, ce vol, dis-je, est si beau qu’il pétrifie,
qu’il stupéfie. Chaque fois qu’on le voit, on se morigène de n’avoir pas encore
essayé de le reproduire.
C’est si simple !
c’est tellement ce qu’on demande qu’on ne désire rien au-delà ; on se contente
de cette simple et grande allure et on n’en veut pas d’autre.
Puis cela semble
si aisé à imiter. Ce n’est pas la station dans l’air de tempête comme l’oiseau
de mer ; non, ce n’est pas aussi difficile que cela, c’est l’énorme oiseau,
lourd comme un mouton, qui se coule doucement, mollement et sans effort sur une
légère brise ; c’est la course en droite ligne ou ces orbes immenses et sans
fin dont le résultat est l’ascension si haute qu’on perd l’oiseau de vue ;
enfin ce sont tous nos désirs exécutés.
Le vrai vol est
là, le seul abordable pour nous par la simplicité de ses grandes lignes, de ses
lentes et naïves manœuvres.
C’est la
merveille des merveilles du vol !
Je sens que mon style,
lorsque je parle du grand vautour, doit sembler exagéré. Il n’en est rien :
J’ai beau m’emporter, m’efforcer d’employer des termes excessifs, je n’approche
pas du modèle. Je suis terne, incolore, les mots me manquent pour rendre ce que
j’ai vu.
C’est donc bien exactement, cette fois, le vol sans battement : sans
un seul battement.
Je suis forcé de
reconnaître que, pour le penseur qui n’a pas vu, il y a un semblant de raison à
n’accepter qu’avec des restrictions ce que j’affirme sur l’économie de ce vol
peu connu. Il m’a même été dit que ce que j’énonce de cette absolue absence de
battement est l’exposé d’un problème exactement faux, que c’est tout simplement
une variante du mouvement perpétuel que je veux faire admettre,
etc., etc. ; et à ce propos, toute la kyrielle
de raisonnements sur l’équivalence de la dépense
et du résultat. On ne va généralement pas au-delà de l’absolue égalité entre l’ascension et la chute.
À cette critique
superficielle je réponds d’abord que c’est un fait précis qui ne se discute
point puisque c’est un fait. Les yeux ne peuvent tromper surtout quand l’acte
est perpétuellement en vue. Puis, que le raisonnement est faux !
Les penseurs de
cabinet font comme les intelligences qui s’accomodent facilement de
mathématiques légères ; ils oublient une foule de facteurs annexes de ce
problème. Pour eux, le vol du voilier est généralement envisagé par vent 0 :
première erreur. Par le calme ce vol n’existe pas. Puis, seconde faute, ils
considèrent toujours le courant aérien comme une forme régulière, et cela, mus
qu’ils sont par le désir qu’ils éprouvent de trouver des valeurs à leurs
formules.
Je l’ai déjà dit
bien des fois, le vent régulier est inconnu sur notre terre. Assurez-vous en, et une fois édifiés, développez le
problème, qui de simple devient infiniment trop compliqué pour que les
mathématiques puissent le suivre.
Enfin arrivent
les manœuvres de l’oiseau.
Là encore cette
tendance de tout synthétiser fait commettre des erreurs à celui qui veut
réduire et expliquer en une formule ce problème extra complexe. Généralement on
est porté à étudier l’aéroplane comme
une surface absolument immuable au point de vue de l’étendue et de l’équilibre.
Pour l’intelligence, à première vue, le raisonnement porte sur des données
fixes : surface invariable, équilibre parfait, mais toujours le même ; donc
faculté de translation exactement pareille à elle-même dans tous les cas du
vol.
Nous avons déjà
vu que l’aéroplane oiseau est infiniment moins simple que cela. Il est variable
depuis le vol en arrière jusqu’aux ailes pliées en plein repos ; ceci énonce
d’un seul coup toutes les manœuvres possibles.
Réduire en formules toutes ces variantes
d’équilibre, de surface,
de vitesse irrégulière du vent ou de l’oiseau est exactement s’attaquer à l’impossible.
C’est vouloir formuler la vie.
Nous voyons donc
que ce problème par ses apports nombreux, s’éloigne absolument du mouvement
perpétuel et de tous les problèmes similaires dans lesquels une force fixe agit
sur elle-même en se décomposant ; nous nous trouvons, au contraire, en face du
cas d’un mobile actionné par plusieurs forces différentes : l’attraction, le
courant irrégulier, les variations de surface présentée, plus enfin les
différents modes d’équilibre de l’aéroplane.
Envisagé comme
cela, ce problème arrive à n’être pas plus une utopie que le cas d’une usine
qui serait actionnée par plusieurs moteurs différents : l’eau, la vapeur,
l’électricité et l’air. Il ne viendra à personne l’idée de douter qu’une
pareille usine puisse fonctionner.
L’aéroplane voilier
est précisément dans le même cas. Il a pour le soutenir
et l’actionner : sa surface, sa chute, et les poussées du coup de vent ;
de plus, il a de choix d’utiliser ou d’esquiver ce coup de vent. Il l’utilise
en développant sa surface, il l’esquive en la diminuant.
Là est la science
de l’oiseau.
C’est dans l’exécution adroite
et parfaite de toutes ces manœuvres qu’il
parvient à puiser dans la puissance du courant
aérien la force qui le soutient, le dirige et l’élève.
L’étude du grand
vautour est, je le reconnais, assez difficile ; la rareté de cet oiseau en est
la cause.
En Algérie j’en
ai vu de grands vols, souvent cinquante et plus ensemble ; mais c’est un fait tout à fait irrégulier. On peut, en quelques jours,
au moyen de bêtes mortes
déposées au loin de toute
habitation et de tout chemin, amener un vol de vautours à planer au-dessus de
cet appât ; mais, pour réussir, il faut opérer en août ou septembre ; sans cela
on risque de perdre son temps. Il faut un bœuf ou un cheval mort. Une chèvre ou
tout animal de cette grosseur n’est pas un régal assez copieux pour les décider
à s’arrêter.
Il en est de
toute la côte africaine nord comme de l’Algérie : nulle part ils ne sont assez
nombreux pour descendre quand on veut les attirer. Au Caire même cet oiseau est
loin d’être commun ; et cela, malgré la proximité des nids : Gébel Geneffé,
Gébel Attaka, Sinaï, en somme toutes les
montagnes désert arabique.
Les nids sont à
la distance de dix à cinquante lieues du Caire. Cet éloignement est peu de chose pour ces oiseaux qui volent
ordinairement huit heures de suite et doivent fournir au moins deux cents
lieues de parcours.
Ce qui les attire
vers cette ville, c’est la grande quantité d’animaux morts qu’on met à leur
disposition en les transportant à peu de distance, c’est vrai ; mais comme le
désert commence aux portes de la ville, cette proximité n’a rien de gênant pour
eux. Puis enfin parce que les pères et mères les mènent à ce point depuis une
foule de générations et qu’en somme il sont chez eux.
Malgré toutes ces
facilités, les Cairotes ne connaissent guère plus que le Parisien cet admirable
voilier.
Pour l’étudier
comme je l’ai fait, il faut d’abord avoir le feu sacré, puis beaucoup de temps
à dépenser, une bonne monture, et ne craindre ni la fatigue ni le soleil.
Je dois avouer,
cependant, que les circonstances m’ont aidé à faire cette étude ; car, malgré qu’il
y a une vingtaine d’années
j’étais bien vigoureux, je n’aurais certainement pas osé braver le soleil de l’été comme je l’ai fait dans le
seul but de les observer. J’avais à aller cinq fois par semaine aux écoles
militaires où j’étais professeur. Ces écoles sont situées à quatre kilomètres
en plein désert et je revenais en ville à midi.
À cette heure,
personne n’est dehors ; le soleil est trop fort ; puis c’est le moment de la
sieste, et tout le monde dort en été. Je m’en revenais donc à cette heure
bénie, par une chaleur de quarante degrés, par cette lumière aveuglante qui
danse sur le sable comme le feu d’un haut fourneau, garanti par une couffie, un
parasol et des lunettes noires.
Ce qui me faisait
ainsi braver le coup de midi c’était une chose bien prosaïque, c’était le dîner
qui m’attendait. J’avoue l’avoir laissé refroidir quelquefois ; c’était quand
je rencontrais un vol de ces majestueux oiseaux posés au loin sur le sol du
désert, ayant au milieu d’eux un squelette parfaitement nettoyé et tous des
jabots monstres que les plumes du poitrail ne pouvaient plus recouvrir.
Quand je les
rencontrais dans cet état de béatitude que leur procure la digestion, je ne
pouvais me retenir d’aller les déranger. Alors je lançais ma monture dans le
tas sans hésitation et à grands coups de fouets je les faisais repartir. Ces
oiseaux, dans le cas présent, sont si lourds que plusieurs d’entre-eux ont été
frappés par mon fouet.
Il est très
facile de les tuer dans cette occasion. Ces oiseaux sont énormes, gros comme
des moutons ; si on a le soin de tirer à la tête avec du petit plomb, ils
tombent étourdis et on peut les
prendre vivants, car ils reviennent ordinairement de ce coup de fusil… surtout si on a tiré avec de la cendrée.
Les chasser avec des chevrotines est plus aléatoire. On les tue quelquefois, mais
souvent aussi, blessés à mort, ils ont encore assez de force pour aller mourir
dans la montagne, trop loin pour pouvoir songer à les rechercher. − Le
fait est qu’après en avoir tué ma part je finissais par ne plus leur
administrer que des coups de fouet ; et c’était suffisant pour les décider à
faire le pénible effort du départ.
Il faut avoir été
dans ces agglomérations d’oiseaux, à quelques pas d’eux, pour se faire une idée
précise de la difficulté de cet acte. Combien de vols manqués ; l’oiseau se reposant à cent mètres, n’ayant pu arriver
à la vitesse nécessaire pour pouvoir s’enlever, vomissant sa charge de
nourriture pour pouvoir s’alléger et attendant, tout essouflé, que je me dirige
encore sur lui pour se décider à recommencer l’effort, cette fois couronné de succès.
Voilà comment il
se fait que j’ai tout bravé, le soleil et la chaleur. Voilà ce que m’a procuré
bien souvent le voisinage de cet admirable planeur. Depuis cette époque je le
connais tellement que je l’aperçois en l’air quand généralement on ne voit que
des milans.
Y aurait-il
chez eux un effet pareil à celui qui chez l’homme
fait boiter celui qui marche avec un boiteux ? Qui sait ?
J’ai dit dans l’Empire de l’Air à quoi on le distingue
dans l’espace [2], mais un point sur lequel je ne
saurais trop insister, c’est l’insuffisance du premier coup d’œil pour se rendre
compte de la présence de cette grande surface dans l’espace. Le milan a 28 à 30 décimètres carrés de surface, suivant le
sexe ; lui, en a de 100 à 105, et, au premier aperçu, à 300 mètres en l’air,
ils sont de la même grandeur. Seulement lorsque l’attention est prévenue et
qu’elle se fixe sur ces deux points, qui semblent toujours être sur le même
plan, les différences se perçoivent, l’intelligence s’ouvre, on est étonné du
peu de mobilité de ce point. La régularité de ce mouvement finit par faire concevoir
et le poids et l’étendue de cet
aéroplane, et il reste alors l’impression d’une énorme masse, nullement
sensible au coup de vent, tournant
lentement, accomplissant avec lenteur son évolution, revenant contre le vent,
et là, ayant un temps d’exhaussement qui, vu d’en bas, produit l’effet d’un
arrêt, lent mais complet, dans la marche, dont la durée est quelquefois d’une
demi-minute. Pendant cette révolution, les milans et les percnoptères ont fait
chacun dix tours, hachés, cassés, irréguliers, et qui n’ont, en tous cas, rien
de semblable avec cette tournure lente et suprêmement majestueuse, qui est la
note dominante du vol de ce grand voilier.
Un fait singulier
est l’espèce de joie que semble amener parmi les milans et les percnoptères
l’arrivée des vautours. Ils montent en grand nombre les rejoindre, semblent
prendre des leçons de vol, deviennent de suite planeurs excessifs ; on dirait
même qu’ils s’essayent à tourner
lentement : N’y a-t-il pas là influence
du modèle prépondérant ? Quoi
qu’il
en soit, il est un fait certain, c’est que tout vol de vautours qui étudient le
sol a une escorte. Après cela n’est-ce encore que l’annonce d’un repas copieux
qui les réjouit ainsi.
– Mais alors le
grand vautour aurait donc une faculté de vue que ces oiseaux de moindre volume
ne posséderaient pas ?
— C’est probable.
L’organe de la vue, je l’ai dit, est forcé d’être, chez cet animal, le premier de
la création ; nul être sur la terre n’a besoin de voir aussi loin : le besoin
impose à cet oiseau cette puissance extrême de l’organe de la vision. Songeons
donc que pour eux l’étude du sol et des vautours voisins est constamment de
plusieurs kilomètres. Le milan et le percnoptère n’ont pas d’études pareilles à
faire. Le milan ne dépasse pas comme champ de vision utile quelques centaines
de mètres : admettons le double ou le triple pour le percnoptère nous sommes
encore bien loin de la puissance de vue que les vautours doivent avoir pour
distinguer un bœuf ou un cheval mort, du haut de l’atmosphère où ils se
tiennent, quand ils étudient une contrée.
La hauteur à
laquelle ils stationnent ne peut pas être précisée rigoureusement, cependant on
peut dire que cette altitude est telle qu’ils sont parfaitement invisibles de
la terre. Souvent, j’en ai distingué au zénith qui étaient déjà en descente,
avec une lunette de cinq centimètres de diamètre.
D’où venaient-ils
de quelle hauteur descendaient-ils ? J’estime qu’on ne peut pas dire moins de
cinq kilomètres et plus, car cette lunette les découvre très facilement à
quatre mille mètres de distance horizontale.
Mais ce qui doit
surtout décider les petits oiseaux à suivre les grands, c’est la croyance
fermement établie qu’ils ont que leurs gros congénères ont un mot d’ordre qui
les relie entre eux ; c’est la persuasion chez eux bien arrêtée qu’ils ont une
langue particulière, qui leur indique à des distances défiant tous les regards
la présence d’un repas. Ces petits rapaces ont vu bien des fois leurs grands
amis se diriger sans hésitation pendant des lieues sans nombre, vers un point précis
hors de tout champ de vision, et arriver au résultat, c’est- à-dire au repas abondant et d’un
abord facile.
Ce fait, souvent
reproduit ou pour mieux dire ponctuellement répété, a transformé pour eux le
grand vautour en un oracle qui ne se trompe jamais. Ils le suivent de confiance
comme on suit le Maître. Ils règlent leur allure sur la sienne, l’accompagnent,
étant toujours certains d’avoir
quelques débris à ingurgiter, pour les récompenser de leur longue course.
Les petits
rapaces ne semblent pas avoir saisi comment les grands vautours s’avertissent
entre eux d’une trouvaille.
J’ai fait une
remarque sur leur vol qui explique comment ils s’y prennent. Depuis lors, j’ai
revu bien des fois cette manœuvre et j’ai toujours trouvé que là était le
signal qui décide le voisin vautour à se mettre en marche dans une direction
précisée : la voici.
J’ai dit que le
grand vautour ne bat jamais des ailes dans son vol de recherche, mais que
cependant on voit quelquefois un grand coup d’ailes donné en-dessous ;
battement que je ne m’expliquais que par le besoin que doit éprouver cet oiseau
de se déraidir les jointures qui sont restées longtemps à un même point fixe.
L’explication du
but de ce battement insolite était fausse ; et il devait en être ainsi. Chaque
être est un chef-d’œuvre de mécanique ; il était probable que ce besoin ne
devait pas se faire sentir. Le vautour est organisé pour être porté constamment
sur ses deux ailes, tout comme la cigogne l’est pour dormir sur une jambe. Là
n’était pas l’utilité de cet énorme coup d’ailes particulier qui ne ressemble
nullement à un battement, car le battement
se fait de haut à l’horizontale et celui-ci de l’horizontale en bas.
En regardant
mieux — il faut souvent regarder très longtemps les oiseaux pour arriver à
pouvoir les comprendre — on remarque que ce coup d’ailes particulier qui rompt
nettement, d’une manière étrange, l’allure du planement, n’a lieu que quand
l’oiseau cesse de produire les cercles et prend une direction rectiligne. À
première vue c’est une mise en marche, un élancé bien franc dans une direction
bien précise ; mais en regardant plus attentivement, on arrive à penser que
c’est un signal, inconscient peut-être de la part de l’individu, mais à coup
sûr utile à l’espèce.
C’est par cette
manœuvre que le voisin vautour, qui est lui aussi une unité, un nœud de cet
immense réseau qui fait l’étude d’une contrée, est averti à plusieurs
kilomètres de distance de la découverte d’une proie.
Ce battement
spécial, en vol extra-arqué, c’est-à-dire absolument en-dessous, tout à fait
unique, se répète quelquefois une seconde fois dans le vol rectiligne. Il
semble vouloir accentuer l’affirmation de la découverte. Il doit dire : non
seulement j’ai vu, mais ce que j’ai vu est intéressant ; il y en a pour
beaucoup d’entre nous.
C’est très
probablement la signification de cette manœuvre ; car lorsque le vautour voyage
pour son utilité particulière : rentrée au perchoir, recherche de l’eau, etc.,
etc., tous actes particuliers à son individu, son vol n’a pas ce battement
spécial. Il peut, s’il n’y a absolument pas de vent, être obligé de ramer
souvent pour se soutenir et marcher sur l’air, mais ces battements sont autrement produits
; il n’y a pas à s’y méprendre, même quand on n’est qu’un simple observateur, à plus
forte raison quand on est vautour, et qu’on en sait la langue télégraphique.
C’est donc
simplement un signal destiné à dire de très loin : j’ai vu et j’y vais.
De leurs nids, de
la manière dont ils élèvent leurs petits je ne saurais rien dire, n’ayant
jamais eu l’occasion de les voir de près. J’ai vu de loin, à l’Attaka, sur là
mer Rouge, des nids absolument inaccessibles. Ils étaient reconnaissables de
très loin aux bancs de guano qui les avoisinent. Ces masses de fumier ont
souvent un très gros volume : plusieurs centaines de mètres cubes. Que de
siècles il a dû falloir pour produire de telles masses de déjections !
Ce que je puis
encore dire d’eux, c’est que j’ai assisté à l’accouplement de ces oiseaux : cet
acte n’a rien de particulier. Je sais encore que, pour nourrir leurs petits,
ils mettent la viande qu’ils transportent dans l’arrière-gorge. Peut-être
ont-ils la faculté d’arrêter la digestion de leur estomac ; je le crois, mais
n’en suis pas certain. C’est à peu près tout ce que je sais de la vie de
famille de cet oiseau.
Il n’est pas
facile de pénétrer dans le gynécée de cet animal. Pour pouvoir l’étudier avec
succès, il faudrait une très puissante lunette
et une position spéciale, plongeante ; mais au
fait,
cela n’aurait d’intérêt que pour l’ornithologie ; cet oiseau ne nous intéresse
pas par son procédé de nidication
mais par son vol. Revenons-y.
Tout est merveilleux dans ce vol ! Toute
allure est anormale, hors nature, n’ayant
rien de semblable dans le
monde des volateurs. Prenons, par exemple, un fait bien simple : le vol
rectiligne. Rien dans la création ne procure l’impression que donne cette
célérité régulière, immuablement fixe. Je ne vois que la locomotive, œuvre
humaine, courant sur une voie droite qui rende cet effet. L’aigle, la cigogne,
le milan, le goëland, ne ressemblent pas plus comme tournure de translation au
vautour se rendant à un point désigné qu’ils ne ressemblent eux-mêmes à la caille
ou à l’alouette.
Quand, au moyen
d’une bonne lunette, on peut l’étudier de près dans cette course extra- rapide,
et qu’on le voit de face ou d’arrière, le bout des ailes offre un spectacle
curieux ; la pointe des rémiges disparaît, on les voit tellement vibrer que
leurs extrémités deviennent invisibles. J’avais déjà vu cet effet avant de
connaître le vautour ; un peintre, un observateur, Paul Flandrin, m’avait
montré sur ses tableaux ce phénomène de vibration. Je l’avais vu sur ses toiles
mais nullement saisi. Je sentais qu’il avait voulu rendre un effet que j’ignorais. Depuis lors, j’ai eu
grandement l’occasion de l’observer sur nature et je dois dire que comme tournure pittoresque, il est bien curieux.
Cet aspect est
pour nous, aviateurs, mécaniciens, une forte leçon : ce sont les aéroplanes
superposés qui nous sont indiqués par la Nature ; et cela par l’oiseau qui est
notre modèle. Son but a été d’augmenter la puissance de sustension d’un
aéroplane auquel, pour des raisons à elle connues, elle ne voulait pas donner
une plus grande surface.
C’est, en somme,
un bénéfice de sustension qu’elle procure à cet oiseau. La cigogne et le pélican offrent quelquefois légèrement
cet effet ; le milan, dans un effort de remontée, pour aborder son perchoir, a
aussi ses rémiges qui agissent sous cet aspect ; le vautour est l’être dans
lequel la Nature nous démontre d’une manière claire que les aéroplanes
superposés sont utiles et qu’on doit s’adresser à eux pour éviter d’avoir à
faire grand.
L’abordage du
perchoir est aussi étrange que les autres actes de vol de ce brillant planeur.
Un aigle, un
milan, arrivent souvent à toute vitesse à quelques mètres au-dessous du point
où ils veulent atterrir, mais on doit dire que cette manœuvre est
compréhensible à notre sentiment mécanique. Le grand vautour trouble
complètement notre instinct ; il arrive, lancé à toute vitesse à vingt-cinq
mètres au-dessous de l’endroit qu’il s’est désigné pour se reposer : on ne se
rend pas compte au juste du point où il veut s’arrêter. On le regarde monter en
l’air perpendiculairement, toujours en planant, et quand on croit que sa
provision d’élancé est éteinte, on le voit avec stupéfaction continuer de
monter, et cela infiniment plus haut que notre instinct nous l’avait fait
préjuger.
Cela tient à
l’importance de sa masse que nous n’avons pas l’habitude d’envisager ; cela
tient à ce que nous nous sommes trompés dans notre estimation ; et ce qu’a de
particulier cet oiseau, c’est qu’il trompe toujours. Les manœuvres des autres
oiseaux de quatre à cinq kilog. s’assimilent de suite, celles de sept kilog. et demi, poids du gyps fulvus, surprennent. Même quand on les sait par cœur, elles continuent à étonner. Aussi, malgré l’habitude
que
j’ai
de ce planeur, suis-je toujours surpris, et je vois chaque fois que je l’ai
sous les yeux quelque effet curieux se produire que j’analyse, c’est vrai, mais
que je n’ai pas prévu.
Cette faculté de
glissement de ces grandes ailes sur l’air, cette prise exacte de l’aéroplane sur le fluide aérien,
produisent des décompositions plus précises de force que nous n’avons
l’habitude de le voir.
C’est le
même effet que celui qu’on perçoit quand on regarde glisser un jeune homme sur
la neige rugueuse, ou quand on le
voit patiner sur la glace unie.
Dans le
premier cas, on comprend que toutes les aspérités qu’il a à surmonter ne lui
permettent pas une carrière bien longue, tandis que, dans le second, on est
surpris de l’amplitude et de la précision du mouvement.
Autant cet oiseau
est intéressant en liberté pour les aviateurs, autant il l’est peu en captivité.
C’est une borne,
il est immobile comme une pierre. De temps en temps, toutes les heures, il
daigne s’étirer les ailes. Lentement, longuement, il étale aux yeux du spectateur
ses deux merveilles. Le matin et le soir, à l’heure du départ et à l’heure du
coucher, il devient inquiet, descend de son perchoir, cherche à s’envoler, et
ne réussit qu’à s’érailler les plumes contre les barreaux de sa cage.
C’est bien le roi
des cieux prisonnier !
Ceux qu’on voit
au Jardin des Plantes de Paris ont une prison assez vaste. Ils peuvent juste
donner deux coups d’ailes très retenus. Rien de leur véritable aspect
n’apparaît au visiteur, et c’est naturel.
Quand on
réfléchit qu’un des cercles qu’ils décrivent n’a pas moins de cent mètres de
rayon, on arrive à comprendre qu’il n’y a nulle prison assez vaste pour
permettre de l’étudier en captivité. Il faut l’immensité à ses vastes ailes et
rien de moins. L’Hippodrome et la Galerie des Machines sont bien grands, mais
un vautour lâché sous ces nefs ne pourrait y démontrer qu’une chose, c’est
qu’il est un piètre rameur. Il n’y serait pas plus intéressant que dans la
petite cage du Jardin des Plantes ; aussi est-il inutile de songer à voir ce maître exécuter en chambre le vol
plané.
Même en liberté,
ce n’est qu’arrivé à la hauteur d’une centaine de mètres qu’il développe tous ses dons, surtout si
l’homme est proche, cas où il cherche au plus vite à se mettre hors de portée
de ce voisinage dangereux.
Mais, quand il se
sent bien en sécurité, à l’abri de tout danger, il devient alors le
démonstrateur du vol sans battement.
Voici donc une énorme
oiseau qui a un mètre
carré de surface
et 2ᵐ50 d’envergure, qui a un vol permanent qu’aucun
oiseau d’Europe, dont l’étude peut être journalière, ne possède. C’est
constamment la crécerelle dans son allure d’ascension, la buse dans ses courts
instants de planement, le milan si rare, passant une fois devant les yeux de
l’aviateur, traversant peut-être d’un horizon à l’autre, sans ramer, mais fait
qu’on ne revoit pas, qui finit par s’effacer du souvenir et qui fait que
longtemps après on se demande si on était bien éveillé et si on à bien vu. C’est même infiniment mieux que tout cela ! Regardons-le
dans
le ciel immense se promener sans effort, nager dans le fluide aérien, sans
ombre de fatigue puisqu’il n’y a pas de force dépensée, puisqu’on en ferait
autant si on avait des ailes ;
attendu que la vue de ces évolutions convainct l’intelligence que, à part la
force dépensée pour se soutenir sur ses ailes étalées sur l’air, il n’y a que
la direction qui est un acte actif. Cette direction même, que nos sens
analysent parfaitement, pondèrent avec la plus parfaite justesse, cette direction
doit coûter peu d’effort.
Quand on voit un
milan se torturer dans un faisceau de courants parfaitement inextricables, on a
conscience que, rien qu’en direction, l’effort produit par l’oiseau est de
beaucoup au-dessus de notre force musculaire et de notre activité vitale, mais
le grand vautour ne produit pas du tout cette impression. On sent qu’on possède
en soi assez de puissance de vie pour pouvoir reproduire les actes de direction
si simples et si lents qui lui permettent de stationner dans l’air.
En le voyant
bien, très attentivement, sans aucune idée préconçue, voilà l’effet qu’il
produit :
Comme force
dépensée, il n’y a rien au-dessus de l’effort qu’un homme de force moyenne ne
puisse produire. On le sent, on en est certain, mais comme science du vol,
comme précision instinctive de ces manœuvres, on sait de suite qu’on est loin
de compte, que quand on sait beaucoup on sait encore trop peu, à plus forte
raison quand on ignore le vol. Cependant on comprend que l’intelligence humaine
est de taille à se mesurer avec ce problème, et que ce n’est en somme
qu’apprendre à patiner, à nager ou à aller en vélocipède d’une autre manière.
Oui, c’est
absolument la note particulière de ce vol : pas de force dépensée comme station
ni comme direction.
Chaque être a ses
dons, ses aptitudes particulières. Le grand vautour a celui du planement
excessif. Il a l’horreur du battement ! On peut dire de lui qu’il est l’oiseau
qui décompose le mieux le courant d’air et qui l’utilise avec le plus
d’adresse.
Il y a des aptitudes différentes chez les volateurs, des savoirs particuliers. Le gyps fulvus a celui du planement excessif. Il
plane même quand il sait qu’il ne peut pas monter. Comparez-le à un pigeon.
A-t-on jamais vu pigeon planant faire autre chose qu’une descente ? Cependant
il a de plus grandes ailes que le vautour.
Voyez-le avec un bon voilier qu’on
a assez souvent
sous les yeux en Europe
: la cigogne. Quelle différence dans la tenue du vol ! Cette force de
soutènement du courant aérien qui est insuffisante pour elle suffit amplement
au Maître dont les ailes sont cependant bien autrement chargées que les
siennes.
Il faut donc reconnaître à cet oiseau
un savoir particulier que n’ont pas les autres.
Si nous éliminons
les causes qui lui font frapper l’air : calme absolu et défense de son
individu, nous pouvons dire, et cela exactement, qu’il ne rame jamais.
Ce n’est donc
nullement une manœuvre accidentelle, c’est au contraire son vol permanent,
celui avec lequel il vit de sa vie de chercheur.
Ce besoin de la
recherche ne permet pas, au reste, un autre genre de vol. Ces oiseaux doivent,
non seulement trouver l’animal mort, mais encore pouvoir attendre indéfiniment
que la proie soit abordable. S’ils étaient obligés
de ramer pour se soutenir
tout le temps
que les chiens, les hyènes, l’homme même mettent à prendre leurs parts
du cadavre, ils se lasseraient assurément. Au lieu de cela, ils sont là-haut,
en grand nombre, souvent une centaine et plus. On ne voit d’abord rien en
l’air, mais en cherchant avec attention au zénith
on finit par apercevoir des points presque imperceptibles qui se meuvent avec
une lenteur curieuse. À mesure que la place devient libre, ces points
grandissent. On distingue les vautours qui sont en descente depuis longtemps.
Puis la dégringolade commence, l’avalanche se précipite du haut du ciel. Ils
tombent de là-haut, de trois ou quatre mille mètres, perpendiculairement’ comme
des parachutes.
Les premiers
arrivés ne sont plus qu’à cent mètres ; là on peut parfaitement les étudier.
Leurs ailes sont légèrement repliées, leur vitesse de tombée est égale ; c’est
la chute du grave sans accélération. Leur tournure est alors curieuse au
possible ; ils n’avancent ni ne reculent, mais tombent simplement, lentement,
sans aucune oscillation.
Et les points
noirs apparaissent toujours au-dessus de la bête morte venant des quatre points
cardinaux ; le cent est devenu des cents. Tout ce monde d’énormes oiseaux fait
l’effet d’une trombe qui se tourmente.
Les plus
rapprochés du sol, n’étant pas bien persuadés de l’inocuité de l’abord,
commencent à planer à la manière habituelle pour étudier le sol ; cela fait une
couche de vautours servant de base à cette énorme colonne sans sommet.
Puis toujours la
descente, ces tournoiements immenses, insensés, qui vous donnent le vertige
rien qu’à les regarder.
Cela dure jusqu’à
ce que, l’étude finie, la bête jugée abordable, les plus affamés se précipitent
sur elle.
Alors, survient
un spectacle inouï qui défie toute description. La descente lente se transforme
en une tombée frénétique. C’est à celui qui arrivera le premier. Tous ces
oiseaux s’évitent avec une adresse incroyable. Les milans plongent entre toutes
ces ailes étendues en poussant leurs cris stridents. Les percnoptères cinglent
l’espace avec leur tournure d’arc tendu.
Les gyps, jamais
pressés, sachant qu’on
ne mangera pas tout et qu’on
leur cèdera toujours la place,
choient silencieusement, sans précipitation, avec cette lenteur de ballon qui atteint la terre.
Ils sont alors
tout à fait près du sol, se posent en masse, et le cadavre de cheval ou de
chameau disparaît bientôt, littéralement, sous une nuée de vautours qui se
battent ; crient, luttent pour arriver à la bête. Les ailes sifflent,
s’entrechoquent, l’air vibre sous ces puissants coups d’ailes ; c’est un chaos
indescriptible, qui ne dure pas longtemps au reste, car peu d’instants après
tous ces rapaces s’éloignent à petits pas : le festin est fini, la bête est dévorée,
engloutie. Cinq minutes ont suffi à la trombe affamée pour manger un cheval. Il
ne reste plus que le squelette de l’animal, bien nettoyé, net comme une
préparation zoologique, que corbeaux, milans et percnoptères sont en train
d’épurer.
Ils sont ensuite
tous posés à terre à une cinquantaine de pas du squelette, alourdis, le bec au
vent, le gésier démesurément gonflé, occupés à digérer.
Ils resteront ainsi
quelques heures tranquillement à terre, si rien ne vient les déranger ; puis,
au bout de ce temps, un à un, ils repartiront avec une peine extrême, en
courant contre le vent souvent
pendant plus de cent pas, volant péniblement ras terre, et finalement,
se trouvant en pleine vitesse, reprenant leurs orbes immenses et ne les
quittant que pour prendre une direction rectiligne, et se perdre lentement dans
le bleu de l’horizon.
Voilà le vautour
! n’est-ce pas splendide, ce vol ! Et ce n’est pas une faiblesse qui m’est
particulière ; tous ceux que j’ai vus devant ce spectacle sont hypnotisés, les
initiés comme les profanes. Celui qui ne comprend rien au vol est arrêté par
l’étrangeté de ce mode de locomotion ; cela trouble l’habitude du sauvage tout
comme du civilisé de voir un corps se mouvoir dans l’espace de cette façon-là ;
cela dérange ses facultés mécaniques, il ne connaît pas ce genre de translation
et c’est pour cela qu’il le suit des yeux.
Vous ai-je
convaincu, lecteur, que le vol plané existe ? Que le vol sans dépense de force
n’est pas un rêve ?
On n’invente pas
une merveille comme le vautour ! C’est l’absolue vérité que j’essaye de vous
dépeindre.
Ne cherchez pas à vous dérober : il n’y a pas d’erreur.
Le voilà ce moteur étrange tant cherché !
Léger et fort !
Léger, poids néant,
c’est le vent,
c’est l’air.
Fort ! Hélas
souvent il l’est trop. Quelquefois cependant insuffisant, surtout à la surface,
mais par mille mètres de hauteur on peut affirmer, comme donnée générale, qu’il
a toujours assez de vitesse pour
pouvoir supporter un aéroplane chargé de 7.500 grammes par mètre carré.
Puis, comme il
est pratique et surtout bon marché, ce réservoir de mouvement offert à tout
être ailé qui sait l’utiliser.
Que la vapeur et
l’électricité deviennent faibles et lourdes devant cette source de puissance !
Il y a dix ans que j’ai présenté ce moteur
et on s’est efforcé de ne pas
le voir.
Vous en reviendrez
tous là, et forcément, aviateurs rameurs. À force de briser des appareils à la suite de mécomptes
sans nombre, vous finirez par comprendre que vous vous heurtez contre l’impossible, contre
une difficulté devant laquelle la Nature elle-même a renoncé.
Vous n’avez
pas voulu croire.
C’est naturel, vous n’avez pas vu !
Il vous a fallu
arriver au fond de l’impasse et constater que le chemin finit là deux ou trois
kilogrammes et on ne va pas plus loin ; la route est barrée.
Ainsi le veut la
relation qui existe entre la résistance des corps et l’effort qu’il faut
produire pour vaincre l’attraction de notre globe.
Dans cette lutte
contre la résistance des matériaux la difficulté a été tournée par la Nature, avec la grandeur
qui distingue toujours
les œuvres de la maîtresse
de toutes choses : l’os devient
trop faible pour supporter le battement : elle supprime
le battement, et le vol est cependant conservé dans sa
plus grande ampleur.
Donc un vol
qui existe, c’est un fait qu’on doit reconnaître et étudier, à moins qu’on ne
veuille systématiquement nier ce qui existe.
Je
n’insiste ainsi que pour convaincre ceux qui ne pourront jamais voir ce
chef-d’œuvre de l’aviation, pour bien leur faire comprendre que nous n’avons
pas affaire, comme on a essayé de le prétendre, à un problème qu’il faut
restreindre parce qu’il est mal digéré. On a été jusqu’à vouloir nier
l’économie du vol à la voile. J’insiste donc et j’assure qu’il faut absolument
admettre comme un fait, qu’on peut voir démontré chaque jour, que ce volateur,
par un vent minima de moins de 5 mètres de vitesse à la seconde, peut produire
une ascension de 1.000 mètres de hauteur en reculant seulement de 1.000 mètres,
et que, de cette altitude, prenant sa course rectiligne, contre le courant
d’air, il pourra, par ce faible vent, sans employer d’autre
force que l’action
de l’attraction sur sa masse, atteindre
le sol à 10 kilomètres au vent. Si maintenant nous l’autorisons à user de
toutes ses ressources, par ce vent de 5 mètres en moyenne, mais irrégulier
comme tout vent sur notre globe, ce n’est pas alors à 10 kilomètres qu’il
atterrira, c’est au contraire une course indéfinie contre le vent, et produite
plus rapidement que ne peut le faire aucun oiseau. Pur un vent de 10 mètres,
vent moyen, le vautour peut aller contre le vent en s’élevant.
Je sais bien que ce que j’énonce-là troublera beaucoup d’entendements.
Je sais
bien qu’il y a des positions faites qui ne permettront pas d’admettre cette
assertion, mais mon dire est un fait précis : Le vautour
viendra me prêter
sa démonstration quand on
voudra s’assurer de la justesse de ce que j’énonce.
Oui, il viendra
vous dire lui-même, quand vous irez le voir que :
« L’ascension
est produite par l’utilisation adroite
de la force
du vent, et que nulle
force autre n’est nécessaire pour s’élever. »
Mon voisin, un arabe,
marchand de fruits au Mouski, se procura deux de ces oiseaux et les mit en cage
comme de vulgaires perruches.
Les kakatoës ont
pour patrie le continent australien.
Ces deux oiseaux se
battirent au point de nécessiter leur séparation. Une fois chacun dans sa cage,
ils reprirent leur allure naturelle. Perchés sur une patte, le bec rentré dans
la cravate, les yeux presque clos, ils ont tout-à-fait le faciès général de
l’effraye (strix flammea) même
couleur, même collerette ; c’est, de loin, à s’y méprendre.
Ils restent toute
la journée immobiles ; mais quand la nuit arrive, ils se réveillent, deviennent
inquiets, font des efforts pour s’échapper et poussent à intervalles très
rapprochés un cri rauque, assez désagréable. Ce cri a cela de particulier qu’il
s’éloigne des sons produits par les zygodactyles ; il a, comme tout le reste
de l’animal qui le produit,
une tournure nocturne.
Un de ces oiseaux
parvint à s’échapper. Comme les amateurs
ne se présentaient pas pour le second, son propriétaire lui
coupa un peu les ailes et le laissa courir dans son magasin.
Ce licmetis
trouva le local à sa fantaisie ; ce sol non pavé, les balles de fruits étalées
sur des trétaux, à cinquante centimètres de terre, formaient au-dessous
d’elles, un vaste espace peu éclairé, peu propre, encombré de fruits tombés des
corbeilles, qui pourrissaient sur place. Ce lieu humide, rempli de moisissure,
fut le séjour de prédilection de cet animal. Dans cet endroit ombreux il
retrouva sa vivacité ; son occupation favorite était de piocher la terre avec
son bec qui a la forme d’un pic. Il l’entre dans les trous produits par les
vers, et cherche à saisir l’animal.
Cet oiseau est un
marcheur, il ne grimpe pas à moins d’y être contraint. Il est probable que dans
son pays il habite les forêts humides et très fourrées, et qu’il y vit de
larves, de vers et d’insectes.
Avec le temps,
ses ailes repoussèrent, et lui permirent de faire des promenades dans la rue.
Ces ailes étaient longues et larges, couvertes, comme celles des oiseaux de
nuit, du duvet spécial qui produit le vol silencieux, aussi, à première vue
c’était à s’y méprendre ; on aurait juré une effraye se balançant lourdement
sur ses ailes blanches.
Cet animal doit
être avec le strygops un lien entre les perroquets et les oiseaux de nuit ; le
strygops est le passage aux hiboux, et le licmétis, le passage aux effrayes.
A ce propos, d’où
viennent les oiseaux de proie ? Par quelle succession de perfectionnements les
oiseaux à vol court sont-ils arrivés à produire le vol plané dont la dernière note est la station permanente dans l’air sans dépense de forces ? Par quelle voie
sont-ils
parvenus à atteindre ces deux types excessifs : l’angle fixé dans l’espace avec
une immobilité absolue, ou cet autre genre de station qui, quoique en mouvement
a beaucoup de points de similitude avec la précédente, je veux parler
du vol d’observation des vautours qui, par le calme, semblent
pouvoir tourner indéfiniment dans le même cercle.
D’où vient, en somme, le vol plané, le vol d’observation ? Du besoin d’observation.
D’où viennent ces
armes puissantes des aquilinés, ce bec fort comme des cisailles, des rapaces de
nuit et des grands vautours ? Toujours de la nécessité de l’outil pour arriver
à vivre : le nocturne tue avec le bec et le vautour
entaille le cuir d’un buffle
ou d’un chameau qui résisterait au bec de
l’aigle.
Les oiseaux de proie
nous sont venus dans les périodes crétacée, tertiaire et quaternaire,
probablement par une foule de familles différentes. La paléonthologie
ornithologique nous l’apprendra plus tard, à mesure que les découvertes
viendront combler les lacunes qui existent dans l’échelle de la succession des
êtres. Mais, cependant, malgré ces énormes hiatus, rien qu’en regardant dans
les êtres vivants, il est facile de voir plusieurs points par. où les rapaces
ont pu arriver.
Nous venons
de voir que les oiseaux
de nuits ont pu se produire par un perfectionnement ou une adaptation à la
vie carnivore, et que les strygops et le licmetis sont aussi bien des chouettes
que des perroquets. La transmission par les passereaux est presque nulle par
les piegrièches, le geai, la pie et le corbeau.
Les vautours
doivent venir des gallinacés ou les gallinacés viennent des vautours : ou,
enfin, ils se lient ensemble d’une manière facile à voir par les vautours à bec
faible et a pouce atrophié.
Sur l’ancien
continent, le percnoptère a l’aspect d’une poule ou d’une outarde. L’être
auquel il se liait franchement a disparu aux époques précédentes. Malgré qu’on
ne puisse revoir le lien précis, il n’en reste pas moins à cet animal un aspect
particulier qui lui a valu le nom de Poule
de Pharaon.
Sur le continent
américain le même cas se présente mais plus accusé, plus lisible.
Quand on regarde
avec attention deux oiseaux du nouveau monde, un dindon et un condor, tous deux
au repos, on est frappé de la ressemblance extrême qui existe entre ces animaux
: même tête, mêmes coroncules chez le mâle, même cou. Le plumage est pareil,
blanc ou noir. Les pattes et les griffes sont absolument identiques, pouces
rudimentaires et nature des ongles semblables, La seule différence réelle qui
existe entre ces deux oiseaux réside dans la grandeur de l’aile.
Combien
faudra-t-il de temps à l’homme pour transformer par l’éducation, le besoin et la nourriture, l’aile courte du dindon en
aile longue du condor, pour la lui allonger seulement, car, au dindon comme à
ce grand voilier, les gabaris de l’appareil aviateur sont les mêmes : même
nombre de plumes, quatrième et cinquième remiges les plus longues dans les deux
êtres.
Il est probable
qu’un laps de temps, relativement court suffirait pour opérer cette
transformation. On y serait aidé par cet appétit spécial du dindon pour la
viande ; il est presque un carnivore : témoin Molière, et tant d’autres
accidents de cette nature.
Cette
ressemblance ne peut être fortuite, elle est trop vive d’aspect ; elle est
corroborée, au reste, par d’autres faits : poule de Pharaon, Gallinazo ; deux
noms qui ont été créés par une même effet de tournure générale. Les Américains
du Sud ont trouvé que l’aura et l’urubu ressemblent tellement à la poule qu’ils
les ont nommés poule dans leur langue.
Il faudrait
admettre trois accidents pareils et parallèles pour ne pas reconnaître que
cette similitude de tournure est un indice de communauté d’origine ; et cela,
malgré des différences profondes anatomiques, malgré des estomacs complètement
différents : gésier énergique dans l’une et poche stomacale élastique dans
l’autre, et surtout, ce qui est infiniment plus sérieux qu’une différence dans
l’organe de la digestion qui est si variable, une discordance, complète dans
l’évolution du jeune âge. Effectivement, l’un naît avec la possession complète
de tous ses sens, même celui du mouvement : le jeune dindon court dès la
première minute de son entrée dans la vie, le condor au contraire est aveugle
sourd et muet. Il ne commence à se
tenir debout qu’un mois après sa naissance ; les différences dans l’extrême
jeunesse sont donc énormes.
L’ornithologie
devrait créer des mots pour indiquer ces deux grandes tranches qui séparent par
un fossé profond deux races d’oiseaux : ceux qui ont l’enfance gracieuse et
vivante et ceux qui sont horribles et impotents. Elle ne s’est pas encore
occupée de ces différences originelles ; ce serait cependant une ligne de
démarcation bien franche.
Les rapaces
nobles sont probablement venus par la voie des vautours, par les rapaces
ignobles. Des appétits particuliers, aiguisés surtout par le besoin qui est le
grand dispensateur des facultés, ont amené petit à petit le rapace ignoble, qui
ne vit que de chairs putréfiées, au type faucon, au gerfaut par exemple, qui en liberté
mourra de faim devant un faisan mort qu’il n’aura pas tué
lui-même.
Les gallinacés
offrent beaucoup d’oiseaux qui amènent cette idée de transformation. Ainsi le pauxi comme bec est la charge des
aquilinés. Les serres sont parfaitement représentés dans le sasa (opisthoconnus cristatus). Et cet oiseau
des îles Samoa : le didunculus ; et
le toccro qui a une véritable tête de
faucon.
Mais que sont ces
ressemblances à côté des toucans et des calaos ? On peut dire d’eux qu’ils sont
la charge des becs crochus.
N’y aurait-il pas
d’autre famille d’oiseaux qui pourrait nous faire penser aux vautourins, car il
n’y a pas à douter que ce soit par eux que soit venue cette transformation.
Oui, deux familles d’oiseaux marins : les pelicanidés et les procellarinés ont
comme eux un signe commun : le bec onguiculé. Ce seul lien a son importance. Le
bec et la charpente osseuse ne se déforment pas facilement. Les éleveurs qui
font de la sélection en savent quelque chose ; ils se sont heurtés contre la
difficulté de la déformation du squelette et estiment qu’elle est le changement
qui demande la plus grande dépense de temps.
L’albatros et le
procellaria ont tout à fait des têtes de vautourins. Tous ont un onglet
particulier au bout du bec ; c’est cette espèce de griffe qui est la pointe du bec du canard.
La
cire est prépondérante dans les becs de ces oiseaux, l’onglet n’en occupe
qu’une faible partie, et arrive à son moindre développement chez le pélican, où
il revêt la forme d’un petit appendice minuscule situé au bout d’une immense
cire.
Ava. 14 octobre 1882.
Ces oiseaux sont
les vautours de la mer ; ce sont eux qui sont chargés d’assainir ses ondes. Tout
ce qui peut être assimilé par un estomac qui est bien autrement actif que celui
d’une autruche est enlevé et digéré. Mais quelle différence de construction
entre les vulturidés et les larus, deux familles d’oiseaux chargées du même
rôle ! Les nettoyeurs de la mer, par suite de l’immense étendue de cette plaine
liquide qu’ils habitent, ont affaire constamment à des vents impétueux, ces
courants d’air rapides demandent pour pouvoir être pénétrés utilement une
construction spéciale, aussi ont-ils tous les ailes étroites et longues afin
d’éviter le traînement. Les autres, les vautours de la montagne, qui habitent
des pays où l’air est coupé par chaque élévation, ont les ailes amples et
larges afin de pouvoir utiliser le moindre souffle de la brise.
Ils sont
remarquablement bien organisés ces oiseaux du désert marin. Quelle simplicité
dans la construction !
Leurs plumes sont
rigides, leurs formes d’une coupe superbe sont naïves et toutes d’une pièce.
Chez eux, pas d’ornement, pas de franfreluches, d’aigrettes, etc… qui seraient
emportés à la première tourmente. Tout est robuste
chez ces oiseaux
et cependant gracieux ; leur
vol cadencé est surtout étrange. On le regarde, on le trouve joli, on cherche à se l’expliquer sans pouvoir y parvenir.
Pourquoi, se
demande-t-on, un oiseau qui sait planer dans la perfection, quand l’envie lui en prend, se fatigue-t-il à frapper l’air à chaque seconde que le temps produit ? A force
de
réfléchir, en les étudiant tous avec attention, et surtout en les comparant
comme allure entre eux, on arrive à entrevoir une réponse satisfaisante à ce
point d’interrogation. La voici :
Quand, par une
forte brise (15 mètres à la seconde), on a la chance d’avoir ensemble sous les
yeux les quatre oiseaux suivants : albatros, goéland, mouette et sterne, on
remarque qu’ils se meuvent, de la manière suivante.
L’albatros est immuablement posé sur ses deux longues
ailes courbées en-dessous : c’est le vol
arqué. Chez lui, pas de battement tant qu’il ne fait que parcourir l’espace. Il
ramera pour aborder ou quitter l’eau, mais, pour se mouvoir, jamais, c’est
inutile, sa masse est assez importante et son aéroplane est disposé de façon à
utiliser dans la perfection ce vif mouvement d’air.
Le goéland fera
des temps de glissade de quelques minutes, mais à tout instant il frappera l’air
comme s’il voulait accélérer sa vitesse. Ne sent-on pas dans cet acte une
impression d’impuissance dans la translation ? Ne comprend-on pas que le
courant d’air est trop fort pour lui.
La mouette, par
le vent de 15 mètres, ne plane presque plus. Elle prend son mouvement de
balancier et n’en sort qu’à de rares instants.
Quant à la
sterne, c’est autre chose : elle est si petite, et la mer est si grande, que,
pour pénétrer, pour pouvoir se transporter avec une vitesse utile et
nécessaire, pour franchir les énormes distances de l’immensité
salée, il faut qu’elle se projette à
chaque coup d’ailes.
Voici donc quatre
constructions pareilles qui, par le seul fait de leur correspondance à quatre
masses différentes, ont quatre modes différents de se mouvoir. C’est toujours
l’influence de la masse qui agit, le plus lourd est toujours en bénéfice de
translation et en même temps en économie de dépense de force.
Mais laissons l’albatros
et ses béatitudes dans le mouvement pour retourner à nos gracieux coureurs de
vagues.
Quelles curieuses
voix ils ont ces espiègles de l’onde ! on dirait des cris de poulie mal
graissée ! D’autres fois ce sont des bêlements de chèvre ou des vagissements d’enfant. En
écoutant bien on saisit des mots, ce sont assurément des paroles que l’on croit comprendre ; ce qui explique que des gens superstitieux comme
les marins puissent
voir en eux les âmes des
noyés.
Certains jours,
en mer, dans le voisinage des îles, assis à l’arrière du paquebot, quel est le voyageur qui n’a passé de longues
heures à les contempler ? Ils suivent le bateau en se tenant à une quinzaine de
mètres en l’air, et de là plongent les ailes à demi-ployées en faisant des
contorsions curieuses sur les débris jetés des cuisines du bord. Quand ils sont
nombreux et qu’ils piquent tous ensemble, on dirait une chute de gros flocons
de neige.
Puis ces
poursuites quand l’un d’eux a trouvé un morceau trop gros pour être avalé sur le champ. Ce morceau abandonné, qui
retombe à la mer, aussitôt repêché et aussitôt relaché, passe de bec en bec,
jusqu’à ce qu’enfin, un gros manteau noir, un vieux forban des mers, l’écumant
depuis Dieu sait quand, s’en empare, et défie alors toute la gent piauleuse.
Il y a des heures
où la vie est abondante, c’est le matin ; mais quand le maître-coq prend son
vermouth, quand les marmitons causent et jouent avec les matelots, on oublie
les mouettes. Ces pauvres oiseaux désolés poussent des lamentations
interminables. Ce sont des griii sans
fin. Ils planent alors pour passer le temps et tournoient indéfiniment autour du bateau qui file cependant ses douze ou
quinze nœuds, et qui malgré cela à l’air parfaitement immobile. Mais, quand
arrive le coup de feu, quand les épeluchures tombent drues à la mer, alors il
pleut des mouettes de partout, de l’avant, de l’arrière, de la nue : c’est une
trombe tournoyante qui perpétuellement crie et se bat.
Tout cela, c’est
le bonheur, le beau temps, la pâture abondante, la ripaille sur toute la ligne.
Mais il ne fait pas toujours beau sur mer ! quand le temps est gros, que
l’orage approche, quand la tourmente hurle dans les vergues, quand les
montagnes d’eau ne sont plus qu’une masse d’écume peignée par ce vent affreux ;
alors la vie de ces pauvres mouettes est terrible. Quelle action elles sont
obligées de dépenser pour pouvoir résister à ce courant ! C’est à croire à
chaque instant qu’elles vont être déplumées par l’orage.
Et cependant, non seulement elles
résistent, mais même elles avancent
contre ce vent qui
vous force à tenir de la main votre passe-montagne qui emboite cependant bien.
Que la lutte pour la vie est dure, même
pour ces oiseaux si bien organisés !
Je mets ensemble
ces deux oiseaux de vol absolument différent parce que ce sont des voisins. Ils
naissent, vivent, chassent et meurent ensemble.
Malgré qu’ils
soient loin d’être des amis, la proximité perpétuelle, les appétits semblables,
établissent entre eux une connaissance telle que la disparition de l’un semble
presque affecter l’autre. Cependant les rapports qu’ils ont n’ont lieu qu’à
coups. de bec ou de serres. Ce n’est pas le milan
qui attaque ; il est bien trop pacifique pour cela, ce sont ces endiablées corneilles qui ont
toujours quelque niche féroce à faire, entre autres voler les œufs.
J’ai en face de ma fenêtre
deux gros arbres
; sur l’un nichent mes milans, sur l’autre mes corneilles. J’emploie le prénom
possessif, parce que la connaissance est telle entre nous, et si ancienne que
je considère ces oiseaux comme une partie de mon bien. Il y a vingt ans que
j’habite cette maison. Le couple de milans est le même que le jour de mon
arrivée. Quant aux corbeaux il vient de leur arriver un malheur, la femelle est
morte ces jours-ci. Elle est rentrée à ce qu’il paraît dans son nid pour y
mourir.
Il était onze
heures quand la nouvelle en fut annoncée par les cris des jeunes. À l’instant
tout le voisinage corbeau fut sur l’arbre, et ce fut toute la journée un
concert assourdissant comme quand il
meurt quelqu’un chez les Arabes. Il devait certainement y avoir des pleureuses payées,
car il n’est pas possible
que tout ce monde de corneilles eût une pareille affection pour ma voisine, qui,
soit dit entre nous, avait le caractère : assez acariâtre.
Le mâle depuis
cette époque a disparu, abandonnant ses trois jeunes, dont l’éducation est au reste achevée.
La femelle sèche dans son nid. Ce doit être pour
eux le mode d’inhumation classique. Les trois petits sont venus coucher, avec beaucoup d’effroi,
près du corps de la défunte,
qui doit à l’heure actuelle être réduite à l’état de squelette.
Voilà la vie de famille
de l’oiseau quand on peut bien étudier ce qu’il fait, lorsqu’on se rend bien
compte de ses actes. Cet enterrement ressemble étrangement à ce qui se passe
dans la famille d’Orient quand elle perd un de ses membres : même cri de
visiteuses, même assemblée bruyante,
même expansion outrée de sentiment.
Les milans sont
venus voir ceq ui causait ce remue ménage. Ils ont plané sur le nid à maintes
reprises, montrant qu’ils prenaient part au malheur qui fondait sur leurs
voisins, puis ils remontaient sur un point élevé où ils philosophaient sur les
vicissitudes de ce bas monde.
Ce rapprochement excessif de l’oiseau
est, quand on l’aime, souverainement intéressant. Il faut être bon pour lui, sans cela on ne voit
qu’une bête appeurée qui ne cherche qu’à vous
fuir ; mais quand, avec du temps et de la douceur, on a capté son amitié, le
spectacle devient charmant. Ainsi, la corneille, le milan, viennent vous
reconnaître ; c’est une franche
salutation qu’ils vous adressent et qui n’a rien de semblable au dire de
l’oiseau qui vous crie : J’ai faim ! n’as-tu pas quelque chose à me donner ?
L’oiseau vous parle, le milan par gestes, le corbeau avec la voix. Son cri,
qui, pour beaucoup d’inattentifs, est un bruit rauque et désagréable, devient
pour l’observateur un glossaire assez complexe.
On dit que le
vocabulaire de la langue éléphant contient une soixantaine de mots ; celui du
corbeau doit être à peu près aussi complet. A force d’attention je suis arrivé
à me persuader que je comprends une vingtaine de leurs cris. Il y a une chose
certaine c’est que chaque traduction que je donne est corroborée par l’acte de
l’oiseau.
Le milan n’a que
cinq ou six intonations différentes. Il doit parler par gestes. Je n’ai jamais
réussi à comprendre que le cri de guerre et celui de la découverte.
Ces deux oiseaux
nichent à la même époque. Les corneilles font deux nids, quelque fois trois.
Ils ressemblent assez, en plus gros, aux nids de pies des campagnes d’Europe.
Les milans n’en font qu’un, gros, énorme ; on le voit d’une lieue ; le couveuse
y est complètement cachée.
La grande occupation du corbeau mâle est de saisir un moment d’absence
du milan et de
lui voler ses œufs. Il a réussi cette année, mais les milans se sont remis à
l’ouvrage et ont refait une nouvelle nichée qui, cette fois, est venue à bien.
Les milans jeunes
sont sans voix ; les jeunes corbeaux en ont au contraire dès le jeune âge une
superbe qu’ils gardent au reste toute leur vie.
L’extrême
jeunesse est complètement différente dans les deux oiseaux. Les corneilles
pouvant à peine voler sautent déjà de branche en branche et visitent tout
l’arbre où est le nid. Les milans du même âge sont déjà sérieux comme leurs
parents. Ils sont perchés la
journée entière sur le bord du nid et
n’ont d’autre oc
cupation
que de soigner la croissance de leurs longues rémiges.
Plus tard, dans les
premiers essais de vol, la différence se continue. Ils sont bien intéressants
pour l’aviateur, ces premiers coups d’ailes des jeunes milans, qui deviendront
dans quelques mois de si fins voiliers. Ils ne savent pas voler. Ils ont peur
du vide, ne savent pas se diriger, exagérant l’effort à produire. Il semble
qu’ils sont trop légers, et que leurs ailes sont trop grandes. La distance dont
ils disposent paraît disproportionnée.
Les premiers
planements sont curieux. Ils commencent par quelques tours entiers de l’arbre
où est le nid, mais ce planement est souvent interrompu par des battements ; ce n’est que plus tard qu’ils exécutent un
cercle complet. Ce savoir ne vient que petit à petit ; on dirait à les voir
étudier cette manœuvre qu’elle est difficile à produire, et que là se trouve
une sérieuse difficulté.
Les jeunes
corneilles qui resteront toute leur vie des rameurs endurcis se tirent de
toutes les difficultés par de nombreux battements d’ailes.
Dès les premiers
exploits des milans, la lutte entre les deux espèces commence. Les petits
corbeaux se lancent à la poursuite de leurs jeunes voisins, dont les premiers
orbes gracieux semble irriter les nerfs. Les pères et mères des deux espèces ne
se mêlent pas des querelles de la jeunesse, ce qui fait que ces luttes n’ont
aucune acrimonie. On sent, en les voyant, que c’est dans le sang des corbeaux
de poursuivre des milans, mais qu’au fond ils ne leur en veulent pas autrement.
L’oiseau, malgré
ce rapprochement excessif est quelquefois difficile à comprendre. Les actes de
sa vie, surtout ceux qui touchent à la vie sociale, à l’ensemble de l’espèce,
ne sont pas un livre ouvert pour notre intelligence. On voit des faits se
produire, mais on ne sait comment les expliquer ; et cela, malgré la proximité
qui permet de bien voir, la répétition de ces faits qui évite la surprise et
procure à l’intelligence l’occasion de comprendre.
J’offre celui-ci au
lecteur, qui sera peut-être plus heureux que moi, avouant que je n’y ai rien
compris.
Depuis l’aurore
se sont des criailleries de corbeaux interminables.
Je suis allé voir de quoi il retournait, et j’ai vu l’arbre, sur lequel ont niché mes amies les corneilles mantelées, envahi par un
peuple de corneilles tout aussi mantelées qu’elles.
Ceci se passe sur
les énormes lebecks qui sont à vingt pas de mes fenêtres.
Il faut dire que
les petits sont grands ; ils volent presque comme père et mère, et vont déjà se
promener sur les terrasses voisines.
Tous les matins j’ai à
peu près ce concert depuis quelques jours, mais cependant beaucoup moins
intense. Il se tient tantôt sur le dôme de l’église, tantôt ; sur un
observatoire à côté.
Ce matin,
l’arbre, la demeure conjugale, là où sont les deux nids, le vrai et le faux,
sont criblés d’oiseaux noirs qui gueulent, qui braillent à tue-tête. Je crois
comprendre les mots : en avant, en route ; le
go on des Anglais le traduit mieux.
Il faut voir le
père et la mère corbeau ! Quelle rage ! Ces insolents visiteurs n’ont-ils pas
eu le temps d’aller dans le vrai nid voir… la couleur du linge sale.
Le mâle a piqué
sur ce tas de curieux qui s’est rondement éclipsé, mais non sans de fortes
moqueries en style crôo. Ils ont
alors chargé ensemble, père et mère, et les trois quarts de la bande sont allés
sur l’observatoire en face et de là les ont incendié de jurements : on aurait dit des femmes arabes.
Moins une
douzaine de têtes noires réparties dans l’épaisseur des branches, l’ordre était à peu près rétabli. Mais, pas de chance !
un vol de nouveaux arrivés débarque à tire d’aile sur l’arbre de la famille en
sevrage ; car cela semble être un sevrage en toutes règles. Les corbeaux
réfugiés sur l’observatoire, voyant aborder les nouveaux venus, piquent tous de
là-haut en envahissent de nouveau l’arbre.
Alors la rage de
mes voisins n’a plus de borne. Le mâle, dans sa furie frappe les branches à grands coups de bec. Mais que
faire ? Ils sont trop nombreux, force est donc de se taire. J’avais envie de
leur venir en aide, mais je me souviens du proverbe : Des affaires de corbeaux il
ne faut pas se mêler.
Je laissai donc faire.
Dans un coin, cependant,
près du vieux nid, un conciliabule s’établissait. Ce qu’on y disait était
probablement pas mal irrévérencieux pour mes voisins. − J’ai bien entendu mais pas compris : ce devait être dit en
langue verte. −_Quand soudain la femelle se précipita avec fureur sur une
de ces commères. Elles s’empoignèrent du bec et des ongles, battant des ailes,
tombant de branche en branche, et finalement arrivèrent à terre sans se lâcher.
La bataille était
plus que sérieuse. La bande entière descendit pour contempler la prise de bec. Les plumes volaient que c’en était
une bénédiction !
Je ne sais ce qui serait
arrivé si le combat n’avait
été dérangé par une négresse
qui venait étendre du linge ;
ce qui força combattants et spectateurs à remonter dans l’arbre.
Je fus forcé
d’interrompre un moment cette étude. Ce qui se passa pendant ce temps, je ne
sais, mais quand je suis revenu, la troupe criarde était maîtresse de l’arbre
sacré ; l’asile de la famille était devenu un vulgaire perchoir. On entendait
au loin les cris éraillés des jeunes, disant au père et à la mère qu’ils
n’entendaient rien à la politique sociale, et que leurs estomacs étaient vides.
Cet acte de
communauté, cette émancipation forcée d’une famille par la tribu, me semble intempestif. Il faut une année
entière pour élever un corbeau. Ce ne sont pas les premiers dont je vois faire
l’éducation. Mes amis avaient raison, les petits sont encore trop petits pour
être abandonnés.
Pendant quinze
jours ils sont venus tous les matins se poser en masse sur l’arbre.
Leur but n’est
pas facile à comprendre. Cependant ils en ont un. Est-ce pour préserver par
leur nombre cette jeune famille ? — Ce n’est pas probable, attendu que les
petits sortaient et allaient même assez loin ; puis ils resteraient toute la
journée, tandis qu’à dix heures tout est fini, chacun est allé à ses affaires.
En somme je n’ai
pas compris.
Ils sont une
trentaine sur le sommet de ce grand lebeck, ayant l’air de n’avoir d’autres
occupations que de croasser. Cela ennuie fort les milans qui ont leur nid sur
l’arbre voisin. Toutes les cinq minutes le milan mâle plonge, éparpille ces criards et remonte aussitôt
avec une dizaine de corneilles à ses trousses. Il s’élève en décrivant
des cercles suivi avec succès par ses
poursuivants, mais arrivé à une centaine de mètres de hauteur il faut cesser la poursuite, car pour eux on n’arrive
pas là-haut sans battre fort, tandis que le milan monte
en tournant, sans se fatiguer, et monterait comme cela indéfiniment. Aussi,
l’un après l’autre, les voit-on lâcher la partie, plier les ailes et piquer
vers l’arbre.
Si le milan était
adroit, s’il employait les moyens dont il dispose, la poursuite des corbeaux ne
serait pas possible : il n’aurait qu’à plonger de très haut comme le faucon et
utiliser sa chute pour la remontée ; les corbeaux ne le suivraient pas
longtemps dans cet exercice. Mais on dirait qu’il n’a pas conscience de cette
ressource, car généralement il ne brille pas dans cette poursuite. Il attaque
et fuit aussitôt, sans beaucoup de frayeur c’est vrai, mais c’est toujours une
retraite.
Il convient de
dire que le corbeau l’attaque rarement seul, c’est ordinairement contre le
couple que le milan a à faire. Quand les corneilles sont bien animées elles ont
presque toujours des plumes de l’ennemi. Celle qui est en dessous occupe le
milan, et pendant cet instant celle qui est au dessus plonge et le déplume.
Ce coup est produit
avec beaucoup d’adresse
et une grande rapidité, car le corbeau
n’ose jamais braver la serre du milan qui, quand elle tient, ne lâche
plus. On le voit bien quand une bande entière attaque un de ces rapaces. Si le
milan est en plein vol, il monte jusqu’à leur
faire perdre haleine.
S’il est près de son nid, il se pose sur une branche maîtresse, et là, bien campé,
attend courageusement l’attaque de la bande criarde. Aucun n’ose alors offrir franchement le combat ; il y aura bien
quelque surprise, par derrière, mais en somme rien de bien sérieux ne se
passera quand le milan offre le combat.
Malgré ces
batailles perpétuelles entre ces deux voisins irréconciliables, je n’ai jamais vu mort de bête ; cela doit tenir aux modes différents de combattre qu’ont ces deux espèces
d’oiseaux.
La corneille est
bien le gros oiseau le plus vivant de la création. Elle a l’activité fébrile de
la mésange, pondérée par un petit cerveau qui est une merveille. Elle est
drôle, spirituelle, réfléchie, sage mais méchante, et cela, non seulement
contre le milan, ennemi de race, mais contre sa propre espèce.
Un jour, ma
femelle corneille devait avoir pondu son œuf ; c’était le 15 mars ; elle
couvait avec une assiduité exemplaire. Un corbeau vint au nid, et là, lui donna
une distribution de coups de bec épouvantable. Je crus d’abord que c’était le
mâle qui usait de son droit d’époux, comme réparation de quelque faute qui
m’était inconnue. La pauvre femelle criait comme une malheureuse, mais recevait
les coups sans bouger de dessus les œufs : quand soudain je compris !
L’assaillant quittait précipitamment l’attaque et filait au plus vite. Je vis
alors, arrivant à toute vitesse, bas dans la rue, le mâle venant au secours des siens.
C’était tout
simplement la voisine, qui jalouse de voir une nichée pondue à son heure juste,
venait passer sa mauvaise humeur et donner à la couveuse une tirée de plumet homérique.
Le beau côté de
cette vulgaire crépée de chignon est la conduite de ma corneille. Si elle
s’était levée du nid, si un œuf avait été visible seulement une demi-seconde,
il était troué.
Elle les a défendus, ses chers œufs,
l’espoir de la famille à venir. Les plumes ont volé au vent, le sang a coulé, la rage de se
battre devait la dévorer, car ce sont fières bêtes que les corbeaux, mais elle
n’a pas bougé et ses œufs sont intacts.
Voilà le vrai
courage ! Commander à ses instincts querelleurs d’une pareille façon est le
fait d’un cerveau supérieur.
Il y a souvent
des duels de corbeaux. Ils se tiennent par les pattes et frappent du bec. La
galerie, toujours nombreuse, surveille les coups et est tellement empoignée par
les péripéties du combat que j’ai pu les approcher dans ce cas à quelques
mètres. Un jour j’ai pensé prendre les deux combattants. Je crois que si je ne
les avais séparés, vu l’acharnement qu’ils y mettaient, ils se seraient battus
jusqu’à ce que mort s’ensuivit.
Les milans entre
eux se querellent rarement ; on voit cependant quelquefois le spectacle suivant
: deux oiseaux attrapés par les griffes, descendre du haut des nues en tournoyant
et ne se séparer qu’arrivés presque à terre.
Ordinairement la
lutte est moins acharnée que cela, elle se borne à des plongées sur un
envahisseur, mais, celui qui se sent en faute prend la fuite avec une telle
célérité que la bataille est toujours évitée.
J’ai assisté à un
magnifique essai de coup de canif dans le contrat.
Une grosse
femelle au temps des amours était posée, attendant… son heure, quand un milan,
célibataire probablement, se précipita sur elle.
La résistance fut
molle ; cependant il y eut résistance, mais surtout nombreux cris poussés
d’appel au secours. Le mâle qui planait par là autour accourut pour défendre
son bien. Il le fit en toute conscience, mais où il manqua de caractère, c’est dans la poursuite. Il se contenta de renvoyer à grande
vitesse ce laron d’honneur sans avoir l’air de lui en vouloir autrement. On
sentait que pour lui, cet acte ou le vol d’un débris de volaille étaient sur le
même plan.
Chez les
corbeaux, cela ne se serait pas passé comme cela : leur vive intelligence, leur
tempérament colère, auraient donné à ce cas une tournure tout à fait sérieuse.
Le milan est beaucoup plus pacifique ; la pensée est lente chez lui, son
activité n’est grande que dans le vol. Là il est maître absolu ; c’est l’oiseau
qui produit les plus grandes difficultés du vol plané.
Etudions-le,
regardons-le se promener avec aisance autour de ces miliers de terrasses du
Caire pour accomplir en conscience sa mission de nettoyer. — Au vol, le milan a pour note
particulière de faire constamment des contorsions curieuses
; sa queue se dirige à gauche,
à droite, il avance une aile, baisse l’autre, se retourne subitement sur
lui-même. Tous ces mouvements sont non seulement très visibles mais même
exagérés.
Quand on
réfléchit aux tours de force constants qu’il a à produire on s’explique ces
mouvements exorbitants. Ils nous paraissent surtout excessifs quand on les
compare à l’allure simple et grandiose des grands voiliers. L’explication de
ces différences de procédés dans le vol est simple, elle est de suite indiquée
par les effets produits.
Le milan fait ce
que l’on pourrait nommer les difficultés de haute école dans le vol des
voiliers, tandis que le vautour ne produit que le parcours simple. Aussi le bon
sens nous indique-t-il que nous devons prendre ce dernier pour modèle, et non
cet espèce d’acrobate sans le vouloir, qui est obligé pour pouvoir vivre
d’exécuter constamment les difficultés extrêmes du vol.
Le milan est donc
le planeur par excellence ; c’est lui qui peut produire ce vol dans les
conditions les plus difficiles. Il lui faut ce talent,
qu’il possède du reste à un degré
extrême, pour pouvoir voler presque sans battement dans les villes où se
trouve son territoire de chasse. A chaque angle, à chaque grande surface, le
vent est brisé ; il lui faut donc parer à cette infinité d’angles de vent, de remous, ascendants, descendants, angulaires, circulaires ; et, pour arriver à se sustenter dans ce chaos de courants, il
faut avoir ce qu’il possède : la science complète du vol. Dans ces mêmes
conditions, tout autre oiseau est perdu, et se met tout de suite à la rame pour en sortir. La corneille, et le percnoptère, qui sont cependant
des malins, ne l’approchent pas dans ces manœuvres difficiles, même de
loin. Le grand vautour lui-même ne
ferait pas beaucoup mieux s’il se trouvait dans le même cas.
Nous trouvons
donc en cet oiseau le maître à consulter, dans les cas difficiles. Il est vrai
que nous n’en sommes pas encore là ! mais excès de bien ne nuit jamais. Nous
devons donc le classer dans nos
souvenirs comme un professeur des hautes études. Il n’a en somme qu’un défaut, mais irrémédiable,
c’est sa faible masse. Cette légèreté fait que ses évolutions manquent
d’ampleur ; aussi, malgré sa grande surface, est-il souvent rameur.
Mais, il est est
des jours où il est sublime. — Etonnant ne rend pas ma pensée. — Certain vent
particulier, un état spécial de l’atmosphère, l’engagent à exhiber ses tours
d’adresse les plus extraordinaires.
C’est alors qu’il
produit ces chutes effrayantes de mille mètres de plongée. Il ne permet pas
l’accélération excessive — c’est vrai, — mais cependant, ses ailes fournissent
tout à fait l’aspect d’un météore fendant les airs.
Après l’avoir YU
vivre, voyons-le mourir.
Beaucoup de
personnes ont dû se demander comment meurt un oiseau dans la vie sauvage.
Je parle seulement des grands volateurs.
Je m’étais
persuadé que l’oiseau, se sentant malade, restait philosophiquement à son
perchoir, pour y attendre la mort.
En réfléchissant
aux besoins de ces animaux, on arrive à penser que la mort doit ordinairement,
ou au moins très souvent, être subite. La maladie d’un jour chez les granivores
est la mort certaine par inanition. Chez les insectivores, la résistance à la
faim peut durer un peu plus, mais ne dépassera probablement pas deux jours. Les
rapaces sont privilégiés. J’en ai eu pour exemple mon grand aigle,
que croyant mort,
j’ai laissé cinq
jours
sans boire ni manger, et que, au bout de ce temps, j’ai trouvé perché, lisse,
l’œil brillant, et jouissant de toutes ses facultés, surtout de celle de
l’estomac.
Cependant, j’ai
vu le fait suivant : un milan mourir à trois cents mètres dans les airs. Je le
regardais voler par le plus grand des hasards, car au Caire, il y en a tant
que, tout fanatique du vol que je suis, je ne leur prête pas toujours une
grande attention.
La mort dut être
rapide comme un coup de foudre. 11 n’a été tué ni par un coup de fusil ni par
un autre oiseau, et de là-haut, trois cents mètres, il est tombé comme un
plomb, faisant cependant des écarts énormes, quand le plan d’une de ses ailes,
par le fait de la jointure qui ne pouvait plier davantage, portait en plein sur
l’air. Malgré sa grande surface la chute fut très rapide.
Je le vis entre
les mains des Arabes qui l’avaient ramassé ; il était sans blessure et encore chaud.
Je n’ai pu savoir
de quoi il était mort. Il ne m’était pas possible de songer à l’autopsie, brisé
comme il était.
(Buphus)
Le vol de cet
oiseau est tout ce qu’il y a de plus élémentaire. Son poids est minime comparé à
sa surface, aussi se meut-il lentement, et même, sitôt que le vent est un peu
fort, n’avance-t-il qu’avec la plus grande difficulté. Pourquoi a-t-il cette
construction particulière ? Ses jambes sont cependant vigoureuses et ne sont
pas aussi longues qu’elles le sont généralement dans la famille des hérons. Il
est cependant probable qu’il y a une raison autre qu’un phénomène d’atavisme,
et que tout est pour le mieux dans sa conformation. Cependant il ne faudrait jurer de rien. Il est certain que l’atavisme est dans
la
création une force qui s’oppose constamment aux perfectionnements nécessités
par les besoins ; c’est en résumé le frein de la loi du progrès.
Cet animal est
assez rare en Europe. La première fois qu’il me fut donné de voir cet oiseau,
ce fut dans le fond de la Mitidja. Nous étions en face d’un grand troupeau de bœufs,
et sur ces animaux étaient
perchés de gros oiseaux blancs
comme la neige
; le bétail semblait bien les connaître, car il ne s’ocupait pas
plus d’eux que des étourneaux qui voltigeaient par milliers entre leurs jambes.
En Algérie, le
garde-bœuf est rare, surtout près de la côte. Pour le voir chez lui, il faut
l’étudier en Egypte ; là est sa vraie station d’hiver. Il y vient depuis Ménès,
et de cette époque date un traité passé
entre lui et ce pharaon
: je ne me souviens
plus à quel propos la légende raconte ce fait, mais il y a à
ce sujet une histoire dans laquelle le héros est un héron blanc. Tant est que fellah et garde-bœuf sont, depuis
cette époque, une paire d’amis.
On est étonné de
la bonne familiarité, de la confiance placide de cet oiseau. La corneille est
certainement peu timide, mais ses yeux pleins de malice indiquent qu’elle se
fie bien plus à sa jugeotte qu’à la bonté
de l’homme ; pour notre
petit héron, c’est
différent, c’est la confiance simple et naïve qui le
pousse à vous attendre à dix mètres. Cette mesure de longueur est à l’usage de
l’Européen, habillé de noir, qui est méchant, cruel, qui tue les charmants
oiseaux de la nature pour satisfaire un simple caprice, mais pour l’homme à la
chemise bleue, la mesure est bien plus courte : elle se restreint presque
jusqu’au contact exact. Aussi voit-on souvent le fellah, qui arrose son blé ou
son bersime, être entouré de ces
oiseaux qui se promènent gravement en rond autour de lui. L’homme des champs
aime ce compagnon silencieux, qui est comme lui ordinairement les pieds dans
l’eau ! il se distrait à le regarder chasser les vers que sa pioche ou sa
charrue retournent au jour.
Nous n’avons pas
su nous autres, gens du Nord, inspirer cette confiance, surtout nous Français,
avec nos mœurs brouillonnes ; nous avons réussi à être craints de tout ce qui a
plumes. Quel oiseau libre ose venir avec nous ? La cigogne nous a fuis. La
corneille se gare de nous comme de la
peste ; les merles ont peur d’être dénichés. Le coucou, malgré qu’il n’ait pas
cette crainte, préfère cependant les grands bois de la Germanie où il se sent
mieux chez lui. Il n’y a que ce polisson de moineau, aussi remuant que nous,
qui puisse s’accommoder de notre voisinage. On prétend cependant qu’il y a des
vols de garde-bœuf dans la plaine de la Crau ; mais, en y réfléchissant un peu,
on voit qu’ils abordent notre sol sur les points inhabités.
En Egypte, ce n’est
pas la solitude qui l’attire, car la campagne nilotique est trois fois plus peuplée
que la campagne française : c’est la mansuétude de ses habitants qui le décide à hiverner sur ce point. Les hommes
ne lui veulent que du bien, les enfants eux-mêmes ne s’occupent guère plus
d’eux que des poulets du village.
Je les ai vus
cependant une fois s’amuser à les prendre.
Le moyen employé
est aussi primitif que le sont les chasseurs et le gibier. En fait de fusil, ces gamins avaient
une ficelle de cinq ou six mètres.
Ils prirent un des petits crapauds
qui grouillent dans ces terres noyées, l’attachèrent par le milieu du ventre et le jetèrent au
loin.
Les hérons blancs luttèrent de vitesse pour s’en emparer, et le plus habile
l’engloutit avec la ficelle.
Cela ne passait
pas facilement, mais enfin, à force de tours de cou, le crapaud arriva à l’estomac.
C’est ce qu’on
attendait ! Hélas, le pauvre oiseau eut beau dire par ses regards que c’était violer la foi des traités ; il eut
beau essayer de briser la corde en s’envolant, il fallut se résoudre à être
remorqué jusqu’à ces diables de gamins, à être pris, et même à rendre gorge,
car ils retirèrent sans vergogne le batracien.
Il resservit pour
en prendre un second, et voire même un troisième, jusqu’à ce qu’enfin (ils les
prenaient pour moi), après les avoir bien vus, bien contemplés, mesurés,
vérifiés, dessus, dessous, sous les ailes, je n’eus rien autre de mieux à faire
que de leur rendre la liberté.
Ce que c’est que
le pouvoir de l’habitude ! Ils furent se poser furieux, mais pas effrayés du tout, tout simplement, avec le gros de la bande ; et le gros de la bande était à quinze pas. Dire que les gamins les reprirent sur
l’heure serait peut-être s’avancer un peu, car ces oiseaux se ressemblent
tellement qu’on ne peut préciser un individu ; cependant il n’y aurait rien
d’impossible.
C’est la seule
niche que j’aie vu leur être faite par les indigènes, encore faut-il convenir
que c’étaient des enfants, et qu’ils avaient
été incités par l’auteur, au moyen de la promesse de quelques piastres de
bacchich.
Le Puffinus Kulhii
est un oiseau rare. Il a un drôle de nom, mais comme je n’ai pu réussir à connaître son appellation vulgaire,
ou du moins qu’il semble en avoir beaucoup,
je suis forcé de
lui laisser son nom zoologique.
Bref, ce puffin
se rencontre au plus près de la France, aux Baléares, dans les mers de la Corse
et de la Sardaigne.
Il niche,
ras l’eau, dans les grottes
des falaises.
Je décris cet
oiseau parce qu’il est, dans la gent ailée qui nous entoure, celui qui prime
comme étroitesse de l’aile comparée à son envergure.
C’est donc un
sommet de rameau, c’est à ce titre qu’il est intéressant. Il est l’albatros de nos
mers. La largeur de ses ailes étant un, l’envergure est dix. Le goëland qui est
l’oiseau commun à ailes étroites qu’on peut étudier le plus facilement n’a
comme proportion que comme sept et demi est à un. C’est donc un type bien franc
que nous étudions, aussi est-ce l’oiseau des mers d’Europe qui supporte le
mieux la tempête.
Par le calme, il
est posé sur l’eau et n’est presque pas visible ; mais dès que la brise
fraîchit, quand la mer devient noire, et que la vague commence à blanchir, il
entre en possession de ses facultés.
Il vole alors ras
l’eau, dans le creux de la vague, les ailes parfaitement rectilignes, puis
s’élève de quelques mètres, présente son ventre blanc à la brise pour faire
provision de vitesse et se replonge entre deux lames qu’il suit en planant
comme il suivrait un chemin ; jusqu’à ce que, au bout de deux ou trois cents
mètres, il s’élève de nouveau, reçoive le coup
de vent et s’enfonce encore entre les vagues.
Dans cette
manœuvre de prise de vitesse, il a cela de curieux que ses ailes au lieu d’être
parallèles à l’horizon lui sont au contraire toujours perpendiculaires.
Il franchit ainsi
de très grandes distances, mais comme il nage parfaitement et que la
perspective de passer la nuit sur l’eau ne l’effraye nullement, il est sans
inquiétude, ce qui fait qu’on l’aperçoit souvent à trente ou quarante lieues
des côtes ; aussi est-il le dernier être ailé qu’on rencontre dans ce désert
d’eau qu’on nomme le large.
La note
particulière du vol de cet oiseau est, je l’ai dit, de pouvoir résister à un
courant d’air qui entraîne avec lui tous les autres oiseaux. Cette qualité a,
comme contre-partie, de le rendre inactif par le calme, et même par un vent
moyen.
Il peut voler par
le calme, mais difficilement, témoin le fait cité dans l’Empire de l’air, au chapitre : Action
de la vitesse. Il ne se laissera pas passer dessus par un bateau,
assurément ; on le verra au contraire courir sur l’eau et s’éloigner, mais il
n’ira pas bien loin et se posera dès qu’il se sentira en sûreté. Il passera non
seulement la journée, mais des jours
entiers sur l’eau, occupé à pêcher des méduses et tous les zoophytes qui
flottent perpétuellement dans la mer.
Mais que le vent
se lève, qu’il devienne assez fort pour balayer mouettes et goélands et les
forcer à se réfugier à terre, alors, à cet instant, la mer est à lui seul ; du
grand large à la côte, toute cette immensité devient son domaine incontesté et
cela, de par le droit de l’étroitesse de ses ailes : lui seul peut voler par ce
temps de perdition.
Aussi les marins l’ont
bien remarqué ; c’est, suivant
les points, le satanique, l’oiseau
des tempêtes, et une foule d’autres noms tout aussi peu rassurants.
Son aisance dans
le vol est grande par ce vent d’orage. Il devient confiant, chassé à quelques
mètres du navire et ne bat plus des ailes. Des pointes de ses rémiges il palpe
la vague, enlève avec le bec, en plein vol, dans cette eau qui semble être en
ébullition, tant elle est fouettée par le vent, des choses qui n’ont pas été
rejetées du bord.
Il ne suit pas le
navire, mais marche parallèlement à lui, dédaigne les détritus du bateau, très
rares au reste par ce temps où les fourneaux ne sont pas allumés et ne vit que
de produits marins.
C’est bien le
satanique qui se complait dans la désolation.
Tout est fermé à bord,
tout est serré, arrimé ; le pont est balayé
par les coups de mer.
Dedans, le
bâtiment craque, gémit comme une bête surmenée. Il faut se tenir aux rebords de sa couchette pour ne pas
tomber.
En haut, les
hommes ont leurs grosses bottes et leurs vêtements de toile cirée. Les
officiers étudient anxieusement les convulsions de la grande tourmentée, sans
peur assurément, mais avec cette tristesse fatale qui est 1e propre des gens de
mer.
Pas un bout de
toile aux mâts !
La cheminée blanchie
par le sel fume comme une enragée : il faut pouvoir résister à ce vent debout
qui retarde la marche. Et tout danse, et tout hurle, mâts, vergues et cordages.
D’énormes paquets de mer embarquent à chaque instant.
Que l’homme est
petit devant la tempête !
Et entre deux
embruns on aperçoit ce démon d’oiseau filant gaiement, sans effort,
gracieusement même, sur cette écume rugissante ; s’élevant avec la montagne
d’eau et, arrivé au sommet, redescendant ses pentes, explorant ses vallées, se
perdant dans ses dépressions. Puis au loin on le voit reparaître devant la
crête d’une vague monstrueuse qui crève avec un bruit de tonnerre, et ce
spectacle terrifiant n’est pour lui qu’un sujet de joie, car c’est le flot qui
apporte et étale devant lui les animalcules marins dont il se nourrit.
Par cette mer
démontée, il est impossible à cet oiseau de songer à se poser sur l’eau ; il
serait roulé par chaque lame qui déferle. On doit présumer que, quand la nuit
approche, il doit gagner des parages où l’eau est moins secouée. Cela doit lui
être facile, porté par un vent qui a souvent plus de vingt mètres, il doit être
en une heure à plus de trente lieues de là.
C’est un bien
étrange oiseau, d’allure tout à fait curieuse.
Les mouettes sont
presque des animaux domestiques ; lui est un sauvage, tellement en dehors de
l’influence de l’homme qu’il semble l’ignorer. L’homme, au reste, lui rend la
pareille. Je n’ai jamais pu décider les gens de mer à causer longuement sur son compte
: ils le craignent.
Le montrant un
jour à un quartier-maître des Messageries, vieux loup de mer, il me fut répondu
ceci « Ne causons pas de cet oiseau, il porte malheur ; quand on le voit, on
peut compter ses chemises. Locution qui, dans la Méditerranée, indique que le
temps n’est pas beau ».
Je viens
de voir une centaine de pélicans passant
sur la ville et allant
du Sud au Nord. Quelle
majesté dans la translation ! J’en suis encore tout ému.
Un aviateur qui a
cinq minutes ce spectacle sous les yeux se remet tout de suite à l’ouvrage ;
les refroidis, les endormis sont secoués par cet exemple.
Le temps est
calme en bas : là-haut, par 200 mètres où ils sont, il doit y avoir une légère
brise, quelque chose comme 5 à 10 mètres, et cela suffit pour supporter sans
effort cette tonne de chair et de plume.
C’est tout à fait
le grand vautour qui avance, il ne lui cède que peu comme régularité de marche.
Il semble que
rien ne doit être facile comme la reproduction du mouvement. Aucun battement.
Ils sont restés en vue dix minutes au moins, et entre tous je n’ai pas aperçu
un seul coup d’ailes.
Ils ont l’air
d’aller loin. C’est au moins aux grands lacs des bords de la mer qu’ils se
rendent : soit environ 150 kilomètres qu’ils
ont encore à produire. Ils y seront
dans deux ou trois heures.
Le vautour et le
pélican sont deux grands professeurs du genre de vol que nous voulons
reproduire. Ni cahot, ni secousse, rien que du vulgaire avancement, sans aucune
gêne et sans l’ombre de fatigue ; et cela produit avec une régularité de
machine. C’est la locomotive qui se promène, le tour mécanique qui élabore,
sans effort son ruban de métal.
Aviateurs, tâchez
de voir, là est tout. C’est la lime qu’on retrempe, le ciseau qu’on aiguise.
J’étais amolli dans la recherche, me voilà hanté pour huit jours par ce
spectacle.
Voyez ! Quand vous aurez vu, l’analyse sera facile.
Confinés dans des
caves, comme le sont les malheureux aviateurs des grandes villes, il est clair
qu’ils ont tout à deviner. La prescience est chose rare, les mathématiques
produisent les effets que j’ai dit, il faut donc de toute nécessité aller
étudier.
Moi-même, je ne
suis pas parfaitement bien ; malgré qu’on puisse considérer le Caire comme une
grande volière.
Que me
faudrait-il, grand Dieu, pour me contenter !
Voici
cependant, les principaux oiseaux qui habitent la ville et que je puis encore
observer, malgré la difficulté que j’ai à me déplacer.
Commençons par
les plus petits.
Les sylvies sont
en Egypte ce qu’elles sont partout : une goutte de vif argent qui court, saute, se démène comme
un petit diablotin qu’elle est. Ce n’est point
un oiseau de passage,
elle niche dans les maisons, mais malgré cette proximité permanente de l’homme,
on la connaît à peine, cela tient au peu d’éclat de son plumage et à sa
petitesse.
La bergeronnette
nous arrive en octobre. Celle-là, c’est l’amie de l’homme, c’est le marabout de l’Algérie : être sacré pour
tous. Elle vit de moustiques, et il y en a tant ! aussi est-elle familière à
l’excès. Il y a en pleine ville du Caire un petit bras du Nil qui traverse la cité d’un bout à l’autre. Ce canal est vaseux,
peu propre ; niais, tel qu’il est, il fait le bonheur des bergeronnettes qui
s’y donnent rendez-vous, qui y chassent vers et mouches, de l’aurore à la nuit.
De temps en temps, elles montent pour prendre l’air et un peu de soleil ; c’est alors sur les terrasses
qu’elles font la guerre aux insectes. Elles ne nous quittent qu’en
avril pour aller
nicher dans le Nord. La quantité de ces bestioles est énorme : on peut dire qu’il y en a cinquante par
hectare de la terre d’Egypte.
Nous avons, comme
l’Europe, nos hirondelles : celle des rochers (hirnndo rupestris), qui
couche dans les carrières de la montagne et vient chasser en ville.
L’hirondelle des fenêtres (h. urbica),
qui est très abondante ; et enfin notre hirondelle de cheminée (h. rustica), celles des étables de vos
campagnes, qui chez nous niche partout, même en plein café arabe, malgré la
fumée des narguilhés, malgré l’odeur épouvantable du hachich, les disputes et
les crailleries des Egyptiens de basse classe qui fréquentent ces lieux. Tout
cela ne la regarde pas ; elle entre et sort imperturbablement, étant forcée de
passer près de l’homme, à le toucher. Ce n’est pas exactement le même oiseau
que celui de l’Europe, c’est une
variété qui a le ventre rouge brique d’un ton charmant.
Le moineau
d’Egypte est le moineau franc, il n’a qu’une légère différence, c’est qu’il est encore plus lutin que les nôtres. Les
marchands de riz de la ville ont une véritable rente à payer à cet animal, car
il s’approvisionne tout simplement aux tas qui sont exposés à la vente dans des
couffes et cela à la barbe du patron, qui jamais ne s’est fâché contre ces
pillards audacieux. Quand cependant ils viennent en trop grand nombre ou qu’ils
font trop de bruit, le marchand daigne
leur adresser, lentement, un coup de chasse-mouches ; alors la bande étonnée de cette outrecuidance,
va se poser sur les étagères un peu plus loin et retombe à l’instant sur la
montagne de riz.
J’en ai eu longtemps
un nid dans ma chambre à coucher. Quand nous dormions trop longtemps le matin,
ma femme et moi, ces oiseaux venaient nous réveiller pour pouvoir sortir. Je me
souviens d’un spectacle bien amusant : ma femme triant des lentilles sur une
grande table et tous les mauvais grains au fur et à mesure que sa main les
éloignait, étaient enlevés, et cela par une vingtaine de moineaux effrontés et
quatre ou cinq tourterelles qui ne doutaient de rien.
C’est
positivement avec ces animaux la vie commune. Au reste, nous nous y prêtions un
peu ; il y avait constamment le plat d’eau fraîche-pour désaltérer tout ce
petit monde, et le plat n’était nullement au large, mais dans un endroit très
passager ; tourterelles, moineaux, corbeaux mêmes y venaient boire.
Ce petit bras du
Nil dont j’ai parlé et sur lequel donnent mes fenêtres, a ses oiseaux pêcheurs ; le martin-pêcheur vert, l’escarboucle l’habitent constamment pendant le temps
de
l’inondation. De loin en loin, nous avons la visite du céryle, le grand
martin-pie, qui crie toujours comme
un possédé ! Il se tient pour pêcher à la hauteur du second étage et de là
pique sa tête sur le fretin qui est abondant dans ce canal comme dans toutes
les eaux venant du fleuve.
Les sternes,
en hiver, sont à poste fixe sur
le grand Nil.
Quand les froids
doivent être rigoureux, il y a, pendant les mois de janvier et février, un
monde de mouettes et goëlands qui quittent la Méditerranée pour venir habiter
nos eaux tranquilles. Les canaux de la Basse-Egypte, les grands lacs, les
terres noyées du Delta sont pour les oiseaux de mer un véritable refuge pendant
la mauvaise saison ; aussi arrivent-ils par milliers. J’ai remarqué, au reste,
depuis vingt-cinq ans que j’habite l’Egypte, que tout hiver rigoureux est indiqué
par la présence d’oiseaux rares qu’on ne voit pas dans les années ordinaires.
Ainsi, l’année de la banquise, j’ai eu l’occasion d’acheter, pour une
bagatelle, deux oiseaux qu’on ne voit pas souvent, même dans l’extrême-nord :
le cat- marin (columbus arcticus) et,
c’est à n’y pas croire, la grande chouette lapone. Je ne voulais pas en croire
mes yeux, mais c’était bien la belle (ulula
cinerea), il n’y avait pas d’erreur. Ces deux oiseaux étaient vivants et
sans blessure, je les gardai tout l’hiver, et, au printemps, les ayant
suffisamment étudiés, je leur donnai la liberté. J’espère pour eux qu’ils vivent encore.
Un merle qui est bien rare en France,
le merle bleu (turdus cinœus) nous arrive en pleine
ville, le 15 mars, et reste un bon mois chez nous.
Il est défiant
comme tous ses congénères. On le voit surtout de grand matin, sur les vieilles
maisons qu’il semble prendre pour des rochers, furetant, se coulant entre les
pierres, cherchant sa vie avec cette circonspection cauteleuse qui est la
tournure particulière de ses cousins
à becs jaunes. On ne les prend pas ; ils sont bien trop malins pour donner dans
un piège quelconque. C’est, en somme, un insoumis qui ne se laisse voir que de
l’Arabe dont il a étudié longuement l’indifférence à son égard.
La huppe au
contraire est d’une confiance excessive. Quand on habite la ville indigène, on
a souvent la visite de ce ténuirostre. Ces maisons pittoresques à ne pas s’en
faire d’idée ont un charme pour les oiseaux sauvages. Pour eux, les hommes qui
habitent ces maisons doivent être meilleurs pour les bêtes du bon Dieu que les
Européens qui vivent dans la nouvelle ville, où les maisons sont bien alignées,
où tout est sec, aride, tiré au cordeau. La huppe ne vient pas là, elle n’y
pourrait vivre et, en tous cas, s’y ennuierait ; au lieu de cela, dans ces
monuments un peu délabrés de l’ancienne ville, tout est à sa convenance. Les
murs immenses lui font l’effet de flancs de montagne, le jardin passablement
abandonné a des recoins ombreux et sauvages où elle trouve sa vie ; il y a, en
somme, tout ce qu’il faut pour lui plaire, entre autre pas mal d’immondices à
retourner ; aussi est-elle là chez elle. Comme jamais on n’en a tué une seule,
jamais elle n’a eu peur de l’homme ; et c’est franchement un éloge à faire de
la population indigène.
Aux
tourterelles maintenant :
La haute ville a
des milliers de nids de ces oiseaux. Cette variété qui n’a pas de représentants
en Europe est tout à fait gracieuse : sa longue queue, sa petite taille, son
air innocent, doux et familier, en font un animal presque domestique : on a ses
tourterelles au Caire comme en Europe on a ses canaris, seulement elles sont
libres. Comme familiarité, jugez-en par le fait suivant :
J’étais en train
de jouer au salon sur un orgue Alexandre grand format. Je faisais un vacarme effroyable ; on devait m’entendre du bout de la rue. Un de mes bons amis entra :
« Oh, qu’elle est bien empaillée ! » Je suivis son regard, et je vis qu’il regardait un mâle de tourterelle qui était en train de
couver.
Sur le rayon du
milieu d’une jolie petite étagère encombrée de bibelots, pendue par ses cordes
juste à un pied au-dessus de mon orgue, ces charmants oiseaux avaient osé
construire leur nid.
J’étais en train
de jouir de son erreur quand la tourterelle changea subitement d’œil pour mieux
contempler ce nouvel arrivant qu’elle ne connaissait pas. Mon ami fut tellement
étonné de voir qu’elle était vivante qu’il se retira à reculons de peur de
l’effrayer.
Voici donc un
oiseau nichant à portée de la main, à hauteur des yeux, ne s’effrayant de rien,
pas même d’un orgue qui hurle à toute pression. Il est difficile de demander
mieux d’un être libre.
Leurs cousins les
pigeons sauvages sont passés à l’état d’institution en Egypte depuis l’Ancien
Empire. Il y a des stèles de cette époque qui relatent que : un tel a la charge
de gardien des pigeonniers du Roi.
Malgré qu’il
habite un colombier il est cependant un oiseau sauvage.
Ces pigeonniers
sont bien curieux : ce sont comme forme d’immenses pains de sucre hauts comme
des maisons. Ils sont là-dedans par milliers. Un chef eunuque du Khédive Ismaïl
en possédait dans un village de la Basse-Egypte vingt-mille paires : il fallait
cinq tonnes de grain par jour pour les nourrir. Les voisins devaient
être bien à plaindre ! La ville du Caire n’a pas de grands pigeonniers,
c’est vrai ; mais ces oiseaux ne lui manquent pas pour cela. De tous les
environs, et, cela va jusqu’à dix lieues au moins, ils viennent aux grands tas de blé du Gouvernement, et là sont vite rassasiés. Il y en a des nids dans tous les grands édifices et même dans les
fentes de rochers des montagnes qui avoisinent la ville.
Ils passent sur
le Caire avec une vélocité qui ne permet pas de les confondre avec les pigeons
domestiques : au reste, ils ne s’accouplent pas avec ces derniers. Ils sont une
race à part, qui reste pure malgré
des voisinages quelquefois bien attrayants.
Les grands vols
de ces oiseaux offrent une étude tout à fait intéressante comme effets
d’agglomération, mais il n’est pas spécial à l’Egypte, j’en ai vu en France,
dans la haute Auvergne qui ne leur cédaient en rien comme nombre.
Il va de soi que
tout ce monde ailé deviendrait un fléau si les destructeurs étaient absents.
Ils n’ont garde d’y manquer ; la place est bien trop bonne, le choix et la quantité
ne
manquent pas ; aussi toutes les races de faucons sont-elles présentes, depuis
le faucon pieds rouges, gros comme un merle, jusqu’au pèlerin, le grand
chasseur du Moyen-Age, qui niche en
pleine ville tout comme la crécerelle des clochers de nos pays du Nord. Les uns
vivent de souris, les autres d’insectes. Les hobereaux font chaque soir un
repas copieux avec les grosses
nyctinomes qui nous arrivent des grottes du désert. Le petit aigle et l’aigle
impérial viennent aussi nous rendre visite ; il y en a quelques couples
autour de la ville, ce qui fait qu’ils passent assez
souvent sur nos têtes. Les poules les distinguent très bien des perpétuels
milans dont elles ne s’effarouchent guère. Quand, au contraire, l’aigle passe,
toute la volaille affolée rentre sous le plus proche couvert qu’elle rencontre,
serait- ce même un magasin.
Je ne dirai rien du milan ni de la corneille, il en a été
assez parlé dans ces ouvrages.
Il y a cependant un corbeau autre que la corneille mantelée,
qui est intéressant par son genre de
vol. Comme il vient souvent dans les faubourgs, il a rang de citadin.
Je trouve dans mes études une note sur lui, la voici :
Pyramides. 14 mars 1886.
J’ai vu dans cette promenade trois oiseaux intéressants.
Le petit aigle
fondant sur un renard que je venais de déloger du grand mastaba ouest, une paire de grands corbeaux, ainsi qu’un
couple de faucons pèlerins.
Le grand corbeau
du désert égyptien est toujours très curieux avec ses battements élastiques. Chaque
coup d’ailes semble
faire courber non seulement les rémiges mais l’aile
entière. Je ne sais à quoi attribuer cet effet d’optique, car cela doit en être
un, il est impossible de songer à faire ployer l’os.
Ils ont suivi en croassant
la face est de l’immense pyramide, et, arrivés au tournant de la face nord, le
coup de vent les a surpris et les a engagés à planer ; ce qu’ils font, au
reste, avec la même grâce que le battement. Ce corbeau est décidément bien
moins lourd comme allure que le grand corbeau européen. Il est de fait que ce
vol est bien curieux ! pour le décrire d’un mot, on pourrait dire que c’est le
type du vol élégant.
Les grands faucons
sont toujours d’une étude-intéressante, surtout sur ce point où ils restent en
vue pendant des heures entières.
Ce qu’ils ont
surtout de remarquable et de très particulier, c’est le vol rapide avec ses
battements lents quoique excessivement énergiques, mais ayant comme
particularité spéciale d’être produits les pointes des ailes près de la queue.
C’est le nec plus
ultra du coup de fouet, de la poussée en avant par le battement.
Si cette vitesse excessive
était supprimée, il y aurait chute immédiate
la tête la première ; et cependant il est en équilibre avec ou sans
battement.
Qui l’équilibre
ainsi, si ce n’est la loi du déplacement du centre de gravité ou de pression sous l’action de la vitesse ?
L’effet directeur de la queue n’y est pour rien, car lorsque le pèlerin prend ce vol rapide il a la queue aussi diminuée de surface qu’il lui est
possible de le faire : elle est alors juste de la largeur
d’une seule plume, et l’œil ne discerne aucun mouvement de direction
produit par ce gouvernail.
Jusqu’où irait ce
déplacement du centre de pression sous l’action d’une vitesse encore plus
grande ?
Voici la place
d’une expérience facile à faire. Répétez pour vous en persuader celle-ci, qui
date de loin pour moi.
Lancez un
aéroplane avec une fusée allongée fixée dans le corps de l’appareil. Faites de
la poudre d’action progressive, en fractionnant la charge et ajoutant de plus
en plus de pulvérin à mesure qu’on arrive plus près de l’ouverture. Tenez la
poudre légèrement humide et comprimez fort, vous obtiendrez une fusée intéressante comme progression dans l’effet du recul. Ainsi construite,
fixez-la par le tâtonnement sous l’aéroplane au point où l’appareil produit la
course la plus correcte. Allumez-la de façon à ce qu’elle se mette à
fonctionner quand l’aéroplane est en plein mouvement, c’est-à-dire, en pleine
course sous l’angle de chute d’environ 10 degrés. Dès qu’elle entrera en
fonction, l’angle de 10 degrés diminuera, il se transformera en 8°, 7°, 5°,
atteindra l’horizontale, gagnera l’ascension et finira par la spirale
et le brisement de l’aéroplane sous l’action d’une
poussée devenue trop forte.
Ceci nous mène à
penser que ce mot de coup de fouet, très employé par les aviateurs rameurs, est
un terme faux qu’il conviendrait de changer. Le véritable coup de fouet a une
action tout à fait brève. La détonation qu’il produit indique la rapidité du
déplacement de la mèche de cet
instrument. Dans le vol ramé rien de pareil ne se produit même dans le cas
extrême de cet acte de vol. La poussée en avant, fournie par toutes les remiges
formant ressort, existe, mais elle est d’une action longue et lente. La
pression ne se traduit pas par un coup sec, mais par une poussée allongée.
Cette action, parfaitement
visible dans le vol ramé du faucon pèlerin, l’est encore bien plus dans le vol à poussée
perpétuelle des oiseaux
de mer. Qui a regardé
voler cinq minutes une mouette est persuadé de cette
lenteur dans la poussée, qui n’a rien de comparable, comme effet avec l’acte,
explosible tant il est rapide, du véritable fouet.
Nous pouvons
donc dire que dans le vol ramé la poussée
en avant peut être d’autant
plus allongée (quoique cependant portant en plein et sans perte
d’effort) que la vitesse de l’oiseau ou de l’air, ou pour dire mieux le mélange des deux, est plus rapide.
Nous pouvons ajouter que chez
les oiseaux de mer le coup de poussée est
bien plus lent que le coup d’enlèvement dans le départ.
Les aviateurs qui
ont étudié le coup de fouet ne doivent avoir observé que l’oiseau à vol bref :
pigeons, tourterelles, etc, et qui étaient peu lancés ; car, le coup de poussée
donné en plein vol est même pour ces oiseaux un de leurs coups d’ailes le plus
lent.
Le lecteur
sait ce que nous avons comme vautours. La poule de Pharaon peut se rencontrer
sur chaque terrasse un peu haute. Les gyps
divers sont comme je les décris. L’arrian et surtout l’oricou sont très rares.
Il y a plusieurs années que j’en ai aperçu sur la ville ; mais cela n’implique pas que ces oiseaux aient quitté le pays. Pour les rencontrer,
ainsi
que les gypaëtes qui viennent de temps en temps nous visiter, il faudrait
habiter le faubourg nord ou le faubourg sud, l’Abassieh ou le Vieux-Caire ;
c’est là seulement qu’ils daignent se montrer, car les deux abattoirs sont dans
ces quartiers.
C’est un vrai
monde d’oiseaux que cette ville : j’oubliais tous les nocturnes.
Le plus petit est le plus drôle : c’est le scops. Mignonne
boule de plumes, bavarde comme une pie, familière comme une poule. Elle a
toujours quelque chose à raconter ! mais son dire n’est pas désagréable comme
la plainte lugubre de l’effraye ...qui
pousse sa plainte effrayante en secouant lourdement ses grandes ailes blanches,
elle dit cocomio d’une façon tout à
fait gaie.
Les hiboux, les
chouettes, otis brachyotus, etc. sont
les noctambules habituels de la vieille cité des Kalifes. Toutes ces tours
crevées, ces minarets démontés, croulants, où nul n’ose monter, sont un paradis
pour les oiseaux de nuit. Il y a même plusieurs couples d’ascalaphes, le
grand-duc d’Afrique. Dernièrement prenant le frais sur ma terrasse, un de ces
énormes oiseaux passa silencieusement à quelques mètres au-dessus de moi. Il
arracha à ceux qui le virent cette expression : Ah : la belle bête ! Il est de
fait qu’il était bien gros comme une femelle de dinde. Il passa lentement sans
même produire un murmure et disparut dans l’ombre de la nuit qui tombait.
La vue du grand
duc produit toujours une vive impression : cette grosse masse qui se meut
silencieusement est loin d’avoir un aspect usuel.
Je ne parlerai
pas de l’œdicnème qui se pose après le coucher du soleil sur les immenses
toitures des casernes turques, du charadrius
spihosus — le dominicain — qui nous visite la nuit. Ces deux oiseaux passeraient
inaperçus si leurs voix criardes ne venaient nous révé1er leur présence.
Mais un oublié :
le bihoreau, demande une mention :
Ardea nycticorax. — Le dernier de ces mots
latins veut dire corbeau de nuit ; et ce nom est bien juste, car
les cris qu’ils poussent, en volant lentement dans la
brume du soir,
font croire, à première audition, qu’il passe là-haut un vol de corneilles :
fait impossible à cette heure, car elles sont toutes couchées. En regardant, on
voit un vol d’oiseaux plus gros que les corbeaux, plus lents dans leurs
évolutions ; alors on écoute mieux, et on perçoit la différence dans leur cri.
Ces hérons ont
l’habitude de coucher tous ensemble sur quelques grands arbres assez rapprochés
les uns des autres pour que la tribu se sente parfaitement réunie. Ils
choisissent au Caire, pour établir leur héronnière, ces grands jardins
abandonnés depuis de longues années, et où personn ne va, sauf les quelques
gardiens qui sont sensés les entretenir et qui se soucient bien peu des
bihoreaux.
Ces jardins
oubliés produisent un effet curieux. La nature y reprend ses droits, les
graines se sèment et poussent
à leur aise où elles réussissent ; les dessous
des grands arbres prennent l’aspect de la brousse
sauvage, il y a réellement à s’y tromper ; aussi, en y réfléchissant, on arrive
à comprendre le spectacle que présente ce perchoir.
Qu’on se figure
une dizaine de grands lebecks tordant dans toutes les directions leurs longues
branches sans rameaux. Sur ces troncs lisses, parfaitement garantis de la
lumière par la végétation feuillée qui s’est réfugiée dans les sommets, sur ces
troncs, de gros oiseaux sont alignés, très rapprochés les uns des autres.
L’ombre est profonde ; on ne distingue pas bien, même en plein jour ;
cependant, quand l’œil s’habitue à cette obscurité, on perçoit les détails.
Leur plumage est gracieux, leurs formes sont loin d’être communes. Leurs becs
pointus, leurs yeux jaunes sont tous dirigés vers le spectateur qui se sent
impressionné par ces milliers de regards tournés vers lui.
Le soir arrive, ils partent par petites troupes
pour visiter les champs herbeux
de la Basse- Egypte, et, à l’aurore, ils sont tous rentrés.
Ce spectacle est
aussi bien peu connu des Cairotes, malgré qu’il y a moins de dix ans une de ces héronnières était située au
beau milieu de la ville... derrière
Scheppet hotel.
Comparez maintenant ce monde d’oiseaux aux hirondelles,
moineaux et colombes de Paris et il sera facile de comprendre combien l’étude
est commode au Caire et difficile en France ...Joignez à cela que tous ces oiseaux sont d’une familiarité insolente,
bien autre que celle du moineau français.
En Europe, les
voiliers sont rares. Quand on voit un milan, c’est par deux cents mètres, et cela arrive deux ou trois
fois par an, ou quand
on habite la campagne et qu’on regarde
en l’air ; ici, il n’y a qu’à lever les yeux. on en voit toujours.
Le corbeau est
assommant, il y en a trop. Le percnoptère est moins commun : les couleurs vives
du mâle le font déjà regarder ; mais, ce qui, sans être rare, est cependant
difficile à voir, c’est le grand vautour.
II ne faut pas être myope assurément, sans cela on le
confond toujours avec les milans qui encombrent le ciel. Il est ensuite
rarement en voyage le matin ou le soir ; c’est au milieu du jour qu’il faut le
chercher dans cette lumière intense du bleu cru du Midi. Au bout de quelques
minutes de cette étude de l’espace les yeux n’en peuvent plus, on voit mille
paillettes d’or se mouvoir sur la rétine ; il faut absolument. abandonner la
recherche. Mais quand on le voit, devrait-on perdre la vue, on ne l’abandonne que quand il s’éteint à l’horizon. Heureusement pour les yeux que ce n’est pas long.
NOM NOM
VULGAIRE SCIENTIFIQUE
9 Vo’’ 52 0.644 0.110 5.85 : 1
Scarabée sacré
Echasse Himantopus
×
ALLURE POIDS SURFACE
Envergure Largeur PROPORTI
moyenne
f. vespertinus Vo’’ 142 0.068408 0.700 0.100 7 : 1 céryle
rudis Vo’’ 94 0.035080 0.450 0.085 5.29
: 1 corvus
corone Vo’’ 415 0.144964 0.900 0.180 5
: 1 − V/o’’ » 0.117336 0.740 0.175 4.22 : 1 ardéas × Vo’’ 550 0.169758 1.020 1.180 5.66 : 1 larus canns Vo’’ 890 0.334328 1.480 0.195 7.53 : 1 − V2o’’ » 0.206716 otis houbara Vo’’ 1295 0.223196 1.160 0.200 5.80 : 1 − V5’’ 1780 0.250274 1.340 0.210 6.38 : 1 ardea cinera Vo’’ 1572 0.395468 1.614 0.270 5.97 : 1
Faucon Kobez Céryle
pie
Freux
−
Héron × Goeland
gris
−
Outarde
femelle
– mâle
Héron
gris
Vautour à gyps × Vo’’ 7389 1.014130 2.590 0.440 5.88 : 1
cou violet
Voici quelques
mesures que j’ai pu recueillir depuis 1881.
C’est bien peu,
je l’avoue, mais je ne chasse plus que très rarement. Elles combleront cependant
quelques-unes des lacunes qui existent dans mes tableaux.
Les procédés
n’ont pas changé
: c’est toujours
la mesure totale
dans la surface [3]. Il est inutile de dire que j’y ai
mis la même bonne foi dans les calculs.
Je me permets
cette affirmation, parce qu’il m’est revenu plusieurs fois des signes de
scepticisme sur la véracité de ces données. Heureusement, je possède encore une
grande partie de ces silhouettes avec leurs calculs à l’appui. Elles ont
fortement frappé quelques fervents du vol à la voile qui m’honoraient de leur
visite.
Quand on y
réfléchit bien, on arrive à penser qu’il est plus difficile d’inventer que
d’être véridique. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à essayer de crayonner une
ombre d’oiseau : là, quelque talent de dessinateur qu’on ait, on sera arrêté
net ; et c’est seulement le premier pas. Reste ensuite la donnée ornithologique
qu’il ne faut pas froisser, sans cela on n’arrive qu’à produire une œuvre
informe qui ne supporte pas un instant l’examen.
Les chiffres
et les dessins que j’ai donnés sont donc une œuvre honnête.
On peut s’y fier. En les
contrôlant, oiseau en main, on peut cependant trouver des différences
importantes, mais en contrôlant encore mieux, on arrivera à rencontrer juste
avec mes tableaux ; la différence reposera alors sur l’âge ou sur le sexe de
l’animal que je n’ai pas toujours précisés.
J’ai cependant
une correction à faire au tableau type larus, page 120. Les chiffres attribués
au pétrel géant sont ceux du flammant. C’est donc une simple erreur de
typographie [4].
j Je ne l’ai jamais
vu, hélas ! ce pétrel, ni le condor, ni la harpye, non plus que la grande
catharte des montagnes rocheuses. L’albatros m’est moins inconnu, car j’ai eu
le plaisir d’apercevoir sur la mer Rouge trois exemplaires du genre diomedea qui devaient être d.fulinigosa. Mais est-ce connaître un
oiseau que d’en avoir vu trois sujets perdus, égarés sur cette mer sans issue,
posés au loin sur l’eau et ne s’enlevant que pour disparaître dans le lointain ?
Il y a donc
encore beaucoup à étudier.
J’ai fait ma part
; aux autres de faire le reste.
Quand l’échelle
des êtres ailés sera parfaitement connue, il sera alors facile de voir que les
remarques que j’ai exposées sous forme d’aphorismes sont absolument exactes.
A ce propos, ne
conviendrait-il pas pour l’enrichissement du savoir de tous, de poursuivre
cette étude ? Ce que je n’ai pu achever, d’autres peuvent le finir. Ainsi il
est triste de dire qu’un seul des grands maîtres de la science du vol à la
voile a été étudié. Il ne m’est pas parvenu qu’on puisse parler du poids, de
l’envergure ou de la surface des oiseaux
suivants, qui doivent dépasser de beaucoup comme intérêt les gyps fulvus : les condors divers,
représentés par plusieurs variétés, au moins trois. Là doit être le roi des
voiliers, et, pour ma part, j’ignore tellement cet oiseau, malgré les cinq
exemplaires que j’ai vus en
différentes fois au Jardin des Plantes, malgré les descriptions d’Humboldt,
etc., que c’est comme s’il n’existait pas.
Et le plus grand
des planeurs rapides : l’albatros, qui saurait en parler sérieusement ? Là
encore, il faut des observations nombreuses, car si l’on en croit Lesson, Quoy
et Gaimard, et d’autres, il y en a beaucoup de variétés.
La Société de
Navigation Aérienne doit posséder des marins parmi ses membres. Ne pourrait-on
pas les prier de nous fournir ces données ? Les voyageurs seraient aussi en
position de nous rendre bien des services, car ce n’est que dans les pays
inexplorés que se trouvent ces oiseaux intéressants.
Seulement, si ces
messieurs veulent bien se charger de ces recherches, il faut absolument les engager à procéder de la
même manière que sont établis mes tableaux, c’est-à-dire :
Indiquer tant
bien que faire se pourra à quel oiseau on a affaire. Ce point est difficile,
mais il ne doit pas nous arrêter, car devrait-on remplacer le nom scientifique
de l’animal par un X, il resterait toujours son poids, qui pour nous,
aviateurs, serait presque une dénomination suffisante. On ne peut demander aux explorateurs d’être des ornithologistes ; une bonne description bien détaillée nous permettra
probablement de poser un nom sur un inconnu.
La question poids
est aussi pour eux bien difficile. Ils s’en tireront au moyen d’un dynamomètre
de 0 à 25 kilogrammes. Cet instrument peut être réduit au volume d’un simple
ressort rigoureusement gradué.
Puis, prendre
bien exactement l’envergure de l’oiseau, la largeur moyenne de l’aile. On y parvient en notant plusieurs largeurs à
des hauteurs de l’aile différentes, et en en prenant la moyenne. Enfin mesure
de la pointe du bec au bout de la queue.
Avec ces
grandeurs on peut déjà, au moyen de méthodes empiriques, approcher d’assez près
la surface exacte de l’oiseau.
Voici la formule dont je me sers au besoin, mais le moins possible.
Surface = Envergure x largeur de l’aile + 1/10 du produit.
S’il était
possible d avoir une silhouette de l’oiseau étendu à l’allure vent 0 à la
seconde, c’est-à-dire à la tournure qu’il
prend quand il vole sans vent, cette
feuille de papier
deviendrait
un point de repère pour l’aviation. Mais c’est probablement trop demander aux
explorateurs dont les nombreuses périgrinations s’opposent à ces transports.
Les marins, au
contraire, auraient toutes facilités de reproduire l’albatros sous toutes ses
allures. Dans ces dessins il est à leur recommander de laisser absolument de
côté leur savoir de dessinateur. Ce qui nous fera plaisir
c’est le tracé
simple, fait avec un crayon
tenu perpendiculairement au sujet. Dans cette position il est impossible
de se livrer à aucun écart
d’imagination ; l’animal a son contour reproduit avec une naïveté qui est la
qualité que nous désirons.
Donc, nous nous
permettrons de demander :
A ceux d’entre
nous qui visiteront les Andes, les Cordillères, ou les Montagnes Rocheuses :
les condors, la grande catharte (catharta
californianus), le varcoramphe papa.
Aux voyageurs qui
visiteront le Brésil et la Colombie, le grand autour de l’équateur américain (trasactus harpyia).
A ceux qui
parcourront l’Afrique centrale, le grand autour des pays nègres, oiseau
inconnu, que je demande la permission de nommer A. Arnouxii, du nom du
voyageur tué à Obock qui, le premier, en rapporta les plumes que j’ai vues.
Dans ces régions
se rencontreront facilement le gypaëte abyssin, celui des monts de la Lune, les
vautours : arrian, oricous divers, et, un autre grand vautour inconnu dont j’ai
souvent entendu parler par les nègres originaires des contrées équatoriales de
ce continent. Ils décrivent cet oiseau, dans leur style exagéré comme ils
décrivaient le roch. Celui-ci n’a pas de nom, mais il a un poids !
Aux voyageurs de
l’Extrême-Orient, surtout à ceux qui parcourront en détail les îles de la Sonde,
les poids et mesures de la grande
chauve-souris acerodon
Meyerii, et, en général,
de toutes les grandes roussettes de ces pays où chaque île a sa variété.
Maintenant,
messieurs les marins, nous désirerions tous et ardemment savoir comment sont
construits les albatros, les fous, les frégates et tous les oiseaux de mer que
nous n’avons aperçus que dans les Museums. Vous pouvez facilement nous tirer d’embarras : un coup de fusil
heureux, deux ou trois vieux journaux collés ensemble sur lesquels vous
traceriez une silhouette, une pesée et c’est tout ce qu’il faut pour poser un
jalon sérieux dans l’étude de l’aviation.
DEUXIÈME PARTIE
APPAREILS AÉRIENS
Le chapitre qui,
dans l’Empire de l’Air, a pour titre «
Equilibre vertical et horizontal », page 27, est tellement écourté que je crois
devoir lui ajouter ici une annexe.
L’explication de la direction
horizontale n’était pas suffisante. Reprenons-la donc, car ce point est une des grandes difficultés
de l’aviation.
Il est dit,
démontré et prouvé que la sustention existe : plusieurs personnes ont été
portées par l’air. Moi-même, j’ai parcouru 42 mètres sans toucher terre, ayant,
pour me soutenir, un aéroplane de 12 mètres carrés de surface. L’air porte
donc.
Au fait, puisque
j’en parle, voici comment le fait s’est passé :
C’est encore dans
mon jeune temps que cela m’est arrivé, dans ma ferme de la Mitidja, et avec mon
appareil no 3, le léger,
celui que je portais comme une plume.
Cette expérience
précède de quelques jours celle que j’indique dans l’Empire de l’Air et qui se
termina par un petit accident [5].
J’avais réussi, à
force de combinaisons profondes et un déploiement de roueries à n’y pas croire,
à être seul dans la ferme. J’avais
déjà essayé les effets de mon appareil,
sauté de quelques mètres de
hauteur, je voyais qu’il portait, mais je n’osais expérimenter devant le public
de chez moi ; et le temps me durait de mieux voir ce que cet aéroplane était
capable de faire.
J’avais donc
envoyé tout mon monde... à la campagne, et je me promenais dans la prairie avec mon appareil sur les épaules,
courant contre le vent et étudiant son action de soutènement. Le vent était
presque nul, la brise n’était pas encore levée, et je l’attendais.
Près de là se
trouvait une route qui s’élevait d’un mètre et demi au-dessus de la plaine ;
elle avait été ainsi exhaussée par l’apport des fossés de trois mètres de
largeur qui la bordaient.
L’idée me vint de sauter ce fossé.
Sans mon appareil
je le franchissais facilement, je voulus essayer de le faire muni de mon
aéroplane. Je courus donc sur le travers de la route et je sautai le fossé
comme à l’ordinaire. Mais, oh horreur ! arrivé sur l’autre bord, mes pieds ne touchèrent pas le sol. Je
courais sur l’air, faisant des efforts inutiles pour atterrir : mon aéroplane
était fixé. Je n’étais qu’à un pied de terre et je ne pouvais l’atteindre ; et
je glissais sans pouvoir m’arrêter. Enfin, mes pieds finirent par rencontrer le
sol. Je tombai sur les mains, cassai une rémige, et tout fut fini. Mais quelle
peur j’avais eue ! Je me disais que si un simple léger coup de vent arrivait il
me lançait à 10 ou 15 mètres en l’air, et que là-haut j’étais renversé forcément et que je retombais sur le dos. Je savais
cela parfaitement, je
connaissais
les imperfections de mon appareil et les effets qu’il devait produire. Je
n’avais pas pu m’offrir un aéroplane complet.
Heureusement tout
se termina bien. Je mesurai ensuite la distance qu’il y avait de la marque de
mes pieds au bord de la route et je trouvai 42 mètres.
Voici ce qui a dû
arriver. Par le saut j’atteignais une vitesse de 5 à 6 mètres, et, au moment où
je franchissai le fossé, j’ai rencontré une bouffée de la brise qui essayait de
s’établir. Elle avait probablement 4 ou 5 mètres de rapidité, ce qui fit un
total... capable de me supporter.
Je ne dirai pas
que j’ai eu là l’occasion de savourer les voluptés de la vitesse, non, loin de
là, — j’avais trop peur ! − mais cependant je ne saurais oublier cet
étrange effet de glissement que je ressentis.
Comment se
fait-il qu’après une expérience pareille je n’aie pas continué mes recherches pratiques ? En voici la raison
dans toute sa simplicité. Le fait se produisait en 1865 au mois d’avril. Je ne
voulais plus me servir de cet aéroplane incomplet et me proposais d’en
construire un autre que je pourrais diriger exactement. Au mois de septembre,
les circonstances voulurent que je louai ma ferme ; je quittai l’Algérie et me
fixai en Egypte. Là, .je ne retrouvai plus les conditions d’expérience que
j’avais dans la Mitidja : j’habitais une grande ville et non la campagne, il
m’était donc impossible de rien faire sans me livrer à des déplacements
considérables. Sur ces entrefaites la maladie
survint : je fus immobilisé comme mouvement ; l’ancien gymnasiarque
devint un impotent auquel il n’est resté que la tête.
Cette face du
problème est donc jugée.
Il reste la
direction dans le sens horizontal.
Je me suis beaucoup
servi de l’observation, mais je dois avouer que, malgré que les bons modèles ne m’aient pas manqué, ce point
est bien celui qui a nécessité de ma part le plus d’attention. On a beau voir,
et cela tout le long du jour, si on ne comprend pas, ou, ce qui est plus
dangereux, si on comprend faux, on arrive à se forger des idées erronées qui,
plus tard, sont démolies pièce à pièce par l’expérimentation ; mais d’autant
plus lentement que l’idée préconçue était plus enracinée. Ainsi, expérimentons.
Ne pouvant
martyriser constamment les oiseaux, puis surtout trouvant en eux des êtres qui
n’obéissent pas, ne produisent pas les manœuvres que nous voulons étudier et
comprendre, adressons-nous à un appareil mécanique.
Nous prenons un aéroplane
élémentaire : deux ailes, un corps et une queue, le tout fixe, en papier. La
queue fait un troisième point d’appui et permet un pli correcteur qui assurera
l’équilibre vertical.
Nous avons établi
ce pli de façon à ce que nous ayons une chute aussi faible que possible ; c’est donc un point éliminé.
Notre aéroplane chemine en produisant un parcours horizontal de cinq ou six fois la hauteur
de sa chute. Beste à le faire aller soit d’une
manière
rectiligne, soit à gauche, soit à droite ; enfin d’être maître de sa direction horizontale.
Nous chargeons ce
petit appareil avec une pièce de monnaie garnie de cire. Ce poids éloigné du point de charge utile, fixé à droite ou a gauche,
fait tourner l’appareil du côté où est la charge.
Il produit la direction horizontale que nous cherchons, mais nous remarquons que son action est faible et
que ce n’est pas ce procédé que nous devons employer pour nous procurer une direction
active. Il peut servir pour décider le sens de direction d’un grand cercle,
mais est inutilisable dans toute manœuvre rapide.
Essayons d’un
autre système. Renversons la question, c’est-à-dire prenons un aéroplane à
mouvement de mains variables.
Après l’avoir mis
à l’angle qui produit le moins de chute possible, conservons cette même surface
totale, ’ mais changeons la position
et la surface respective des deux mains ; c’est-à-dire, en en augmentant une et
diminuant l’autre de la même quantité ; portant l’une en avant et l’autre en
arrière.
Nous remarquons
que ce genre de déséquilibrement est plus actif que le précédent, l’appareil se
met à tourner comme je l’ai énoncé page 229[6], c’est-à-dire qu’il se met à décrire
des cercles dans lesquels l’aile pliée est dirigée vers le centre et l’aile
étendue vers la circonférence.
A ce propos je
dois mettre le lecteur, qui voudrait répéter cette expérience, en garde contre
les difficultés qu’elle présente. Je relaterai seulement celle-ci :
Il arrive très
souvent que l’aéroplane tourne du côté de l’aile la plus longue, et cela avec un
entêtement qui engage non seulement à mettre en doute cette action de direction
mais même à la nier et à démontrer positivement le contraire. On arrive même à
penser qu’il est juste que l’aile la plus longue retarde sur l’aile la plus
courte et que le cercle décrit ait la grande aile pour centre, car elle fait
levier.
L’expérience et le raisonnement donnent donc tort aux oiseaux.
N’abandonnons pas
pour cela cette étude. L’observation indique que les oiseaux se servent très
souvent de ce moyen et l’observation est un fait sérieux.
Il faut pour
arriver à l’explication de ce cas difficile, raisonner encore mieux et
expérimenter avec plus de précision.
L’appareil avec lequel
on opère est un aéroplane défectueux, à surfaces inégales et à courbes
dissemblables au repos, qu’est-il sous pression de marche ? — Probablement
encore plus imparfait. Tandis que l’oiseau a deux ailes de surfaces égales et
surtout de courbes absolument identiques. Avec cela, quand l’aéroplane est
chargé du poids de l’oiseau, l’appareil vivant, loin de se déformer, gagne
tellement en perfection qu’on peut dire que ces deux ailes n’éprouvent aucune
difficulté à pénétrer l’air. C’est tellement vrai, que la vue de l’oiseau se
mouvant sans effort dans le fluide aérien, a fait naître l’idée de l’aspiration
: fait impossible, mais si l’aspiration n’existe pas, la faculté de pénétration
est telle chez certains volateurs, que le retard que peut donner la tranche de
l’aile peut être considérée comme une quantité négligeable.
Il est donc
compréhensible qu’une manœuvre d’une action faible, mais faite par un appareil
aussi perfectionné que l’aéroplane-oiseau, produise un résultat précis que nous
ne pouvons répéter que difficilement avec nos instruments défectueux.
En opérant
cependant avec un aéroplane très soigné, on voit se reproduire alors d’une
manière ponctuelle les phénomènes de direction produits par l’oiseau.
Toutes ces
reprises d’expériences — car on ne réussit pas du premier coup — nous font
remarquer que ce déséquilibrement est, comme le précédent, d’une action assez
faible, et qu’il ne nous permettrait pas d’expliquer les brusques évolutions
que l’oiseau se permet en pleine vitesse, d’autant plus que l’action de cette
manœuvre est plus accentuée par les vitesses faibles que par les fortes.
L’oiseau a donc
ces deux moyens de déséquilibrement, mais il doit en avoir d’autres plus actifs. Il s’agit de les découvrir.
Allons étudier.
Voyons sur nature opérer les professeurs : c’est le véritable moyen
d’apprendre. Le milan, qui a le vol si torturé, nous indiquera le procédé qu’il
emploie.
Nous venons de
recevoir une bonne leçon : vent fort, 15 mètres à la seconde. Mes milans, qui
ne me craignent nullement, planent à moins de 10 mètres au-dessus de ma tête et me permettent de les regarder
sans s’effrayer et se mettent
à ramer. C’est
donc tout à fait
le plein vol en chambre, visible, facile à étudier, et durant tant qu’on veut ;
et même avec reprise de l’exercice quand on n’a pas bien compris. En somme
aujourd’hui, il est commode au possible d’étudier ce point délicat du vol : la
direction horizontale.
Voici ce qu’on voit, revoit, ce que ces bons milans me ressassent à chaque minute.
Ils ont nécessairement le bec au vent. Comme la
désorientation est de chaque instant il y a, à chaque changement de direction,
un effort de l’annulaire qui remet l’oiseau dans la bonne direction. − Je donne le nom de plume annulaire à la
sixième plume de l’aile. −
La queue
fonctionne en même temps, mais on saisit parfaitement son peu d’action ; au
reste, pour ces oiseaux, plus le courant d’air est fort, moins ils se servent
de cet organe qui devient alors plus gênant qu’utile ; son emploi est dans
d’autres actes de la vie que nous n’avons pas à reproduire, chasse et lutte, et
par conséquent pas à étudier.
L’annulaire
travaille donc en permanence. Aussi, étudiez sur l’oiseau si vous le pouvez,
sur les gravures de l’Empire de l’Air,
qui sont calquées sur l’animal, la puissance de cette sixième plume. C’est elle
qui a le plus de surface de toutes les plumes de l’être ailé. Sa construction
est spéciale. On sent en elle un organe à part, qui a des fonctions précises : elle n’est pas faite comme les autres,
aussi sert-elle plus que les autres.
Voici ce qu’on
voit faire aux milans, et ce qu’après on découvre facilement dans les
évolutions de tous les voiliers.
Lorsque l’oiseau perd
sa direction, c’est-à-dire quand le courant d’air varie légèrement de point
d’arrivée, l’oiseau corrige sa marche en tordant la pointe de l’aile, en
l’accrochant avec cette large plume et se procure ainsi un retard de ce côté.
L’aile qui a fait cette manœuvre n’a donc pas été aussi vite que l’autre ; elle est restée en arrière, et comme les
ailes
sont étendues avec rigidité, ce mouvement s’est communiqué à tout l’aéroplane
et le changement de direction a été opéré.
Quand l’oiseau veut
varier intentionnellement sa direction, cette manœuvre est plus accentuée et
devient par conséquent plus visible que dans le cas précédent. On voit alors
l’annulaire quitter franchement le plan horizontal de l’aile, entraîner par son
contact les plumes avoisinantes et communiquer ce mouvement de torsion jusqu’à
la fin de la main. L’action de cette déformation du plan de l’aile se traduit à
l’instant par un changement subit dans le sens d’aller horizontal.
Ce n’est pas à la
longue que cet effet se produit, c’est à l’instant même. Cette manœuvre est donc infiniment plus active que les déséquilibrements produits par le transport à gauche
ou à droite du centre de gravité qui est procuré le plus souvent, en petit, par
la tête qui se porte du côté où veut aller l’oiseau, en plus accentué par le
transport général de tout l’être vers ce côté ; puis enfin, par le ploiement de
l’aile du même côté.
L’action de
l’annulaire est beaucoup plus énergique que tous ces procédés anodins, qui sont
surtout d’une action très lente et qui ne sont utilisés que dans le planement.
Les besoins du
vol dépassent de beaucoup les manœuvres dont nous venons de parler. Par les grands
vents, il arrive souvent que l’oiseau a à passer subitement du courant actif de l’air à un contre-courant, ce qui
l’oblige à changer de direction avec une célérité excessive. S’il n’employait que les moyens
décrits plus haut,
il serait souvent
lancé où il ne
veut pas aller. Dans ce cas l’oiseau exagère l’action de l’annulaire, il
n’accroche pas l’air, il le barre
complètement et arrête absolument de ce côté le mouvement de translation ce qui fait alors tourner dans le milieu
aérien comme si chaque coup pivot.
En avançant
encore plus loin dans les évolutions indispensables à l’existence de ces
animaux : chasse et lutte, on voit des cas nombreux où l’air n’est plus
seulement barré mais est frappé
énergiquement et avec toute la force dont dispose le volateur ; c’est une
claque nette portée sur un corps dense, car l’air attaqué avec cette rapidité
résiste comme un solide. Dans ce cas le rôle de l’annulaire est dépassé, l’aile
entière entre en action mue par toute la puissance musculaire des pectoraux : puissance
qui, quoiqu’on en ait dit, n’a rien de similaire comme action avec les muscles
correspondants des grands animaux ; témoin ce fait : une hulotte que je tenais
par les pattes s’est brisé une aile en frappant l’air pour s’échapper de mes
mains.
En somme, cette
déviation du sens de cours, cette direction horizontale est, hors les cas
extrêmes, produite par l’annulaire ; elle est le vrai gouvernail du vol de
parcours. Si on lui joint l’action excessive
de la présentation des plans des ailes on atteint
les déviations extra- rapides de la lutte.
Voilà les
procédés employés par l’oiseau pour agir activement. Ce sont eux qui permettent
au grand-duc de se tordre de force et non par action de chute dans le dédale de
la forêt. Ce sont les moyens utilisés par les oiseaux de proie dans la
bataille. Ils leur permettent de se mettre le ventre en l’air, de se tourner et
de se retourner à l’instant l’oiseau
sur lui-même comme sur un d’aile portait sur un corps dense.
L’attraction
n’est pour rien dans ces manœuvres : elle est trop lente, trop inactive, pour
pouvoir suffire à la brièveté de ces évolutions.
Ce
sont des coups de force et non des effets de décomposition de force. C’est donc un coup de gouvernail, qui se nomme
la pointe de l’annulaire.
Pour résumer
en quelques mots cette question de la direction horizontale, on peut dire que
le premier indice de direction, celui qui décide du sens d’un cercle de
planement, n’est pas discernable ; il est probablement produit par une
imperfection, plume qui manque ou par un transport de l’être qui appuie sur un
côté. Viennent ensuite les manœuvres qui peuvent s’apercevoir :
Tête portée du
côté du centre ;
Aile de ce côté
légèrement repliée ;
Annulaire
commençant à entrer en jeu et augmentant son action de retenue jusqu’à
communiquer un mouvement à toutes les plumes de la main qui la suivent ;
Pointe entière de
l’aile tordue pour les directions actives ;
Changement de
plan de l’aile qui produit le retard avec pression active des pectoraux.
Enfin, coups
de force, produisant les mouvements excessivement rapides dont l’oiseau
a besoin dans la lutte.
C’est bien ici le
cas de faire remarquer que, dans l’article Equilibre
vertical, toujours trop écourté, il n’a été question que des effets de l’attraction sur la masse de l’oiseau.
J’y ai analysé le volateur comme s’il était un être inactif. L’aéroplane animé, l’oiseau, joint à tous ces déséquilibrements verticaux des
coups de forces, plus ou moins puissants suivant le besoin, qui vont de la
pression indiscernable au tour entier sur lui-même n’ayant pour diamètre que
son envergure. Manœuvre que produit souvent l’hirondelle de cheminée parcourant
une rue et arrivant à fin de course contre une maison par exemple : là, pour se
retourner, elle fait quelquefois le tour sur elle-même verticalement,
c’est-à-dire qu’elle a un instant le
ventre exactement en l’air.
Mais, ce qui se
voit bien mieux et produit un tout autre effet, c’est cette évolution produite
par un aquiliné de forte taille.
Les aigles,
milans, faucons usent très souvent dans la lutte de cette position qui leur est
favorable, car les serres sont alors en bonne position pour atteindre l’ennemi
qui vole au- dessus d’eux. Dans les attaques manquées, l’oiseau de proie qui
s’est mis le ventre en l’air trouve quelquefois qu’il est plus rapide pour lui
de faire tour complet sur lui-même que de reprendre sa position normale de vol
par action de chute, qui est lente comme le sont les effets de l’attraction.
On voit donc en résumé que toutes les fois que l’oiseau a besoin d’une
célérité dépassant les effets
de la gravitation entrant en action, il supplée à la lenteur de cette force par
un apport de puissance personnelle ; qu’il aide,
en somme, l’action
de l’attraction, n’ayant
pas le temps d’en attendre les effets, et cela non seulement dans les
évolutions horizontales, mais même dans celles du sens vertical qui sont
infiniment plus rapides.
Ces deux directions
adaptées à une surface capable de porter font l’aviation exacte. C’est pour n’avoir pas analysé ces deux
moyens de se diriger qu’on en est encore à chercher ce mode de locomotion.
Pour nous en
convaincre, passons une revue succinte de ce qui a été fait en fait d’appareils
destinés à parcourir les airs et donnons-nous pour objectif ce point spécial :
la direction.
Nous ne
trouverons pas grand’chose, mais cependant comme c’est seulement par cette voie
qu’arrivera le succès, le moindre fait prend un intérêt sérieux. Nous y verrons
parfaitement que c’est dans ce manque de direction que gît l’imperfection de
presque tous ces appareils.
Il est dit à leur
article que les ballons pourront probablement arriver à une vitesse de dix
mètres à la seconde. Ce n’est pas suffisant, puis ils seront toujours très
encombrants et excessivement coûteux : passons donc.
Les appareils
rameurs demandent encore quelques insuccès pour être jugés définitivement. Ils
le seront bientôt.
Restent les
hélicoptères, les hélices, enfin l’ordre d’idées émis par La Landelle [7] et
qui a produit entre autre le roman de
Robur de Jules Verne [8] dans
lequel la puissance est tellement indéfinie que les hélices sont invisibles
tant elles tournent vite. C’est absolument du
domaine de la fantaisie, nous ne pouvons
le suivre. Qu’il y a loin de ces complications à la simplicité stupéfiante du mode trouvé par la Nature dans le
vol à voile : une surface suffisante et deux directions ; c’est tout ! Il ne
s’agit que de savoir et d’oser s’en servir.
Cette imitation
de l’être qui sait voler sans dépense de force semble avoir été ridée dominante
des appareils qui ont fonctionné ; car il n’y a pas à se le dissimuler,
l’humanité a réussi ce problème bien
des fois.
Icare s’est tué, donc il a réussi la navigation aérienne.
Je néglige l’accident qui n’a rien à
voir avec le résultat.
Simoni magicien,
sous Néron, réussit si bien à s’élever dans les airs que saint Pierre, qui
croyait voir en cet exercice l’œuvre du Démon, se mit en prière pendant que cet
aviateur planait ; et Simon tomba sur le Forum et se tua. Donc il a réussi.
Olivier de Malmesbury, bénédictin anglais, partant du haut d’une
tour, parcourut 120 pas
au moyen d’un aéroplane et se cassa la jambe : autre commencement de succès.
Paul Guidotti,
architecte de Lucques, en 1569, exécuta avec des ailes plusieurs expériences
qui réussirent. Dans celle où il se brisa une cuisse, il parcourut un quart de
mille : soit environ 400 mètres. Succès très intéressant. Que ne donnerait-on
pour avoir cet appareil !
Il est parlé, dans
tous les ouvrages, de l’aviateur Dante et de ses évolutions sur le lac
Trasimène. A quel système ranger l’appareil qui lui a procuré un tel succès ?
Car ou le récit est faux, ou il y a eu succès absolument complet. L’accident qui lui survint
ne signifie rien au point de vue de la réussite
; il n’infirme rien des procédés employés
par Dante.
C’est
comme si on voulait nier l’existence des modes actuels de locomotion parce
qu’il arrive des accidents.
Qu’a-t-il employé
?
A l’époque où fut
réussi ce problème que nous recherchons encore aujourd’hui, la mécanique était
dans l’enfance : on peut dire que tout était ignoré. Dante fut donc obligé de se servir d’un appareil tout à fait
élémentaire, car où trouver le moteur d’un rameur à cette époque où la vapeur
et l’électricité n’étaient pas nées ? Puis, la tradition nous relatant le fait
parle d’un grand fer qui s’est rompu, d’ailes, enfin elle donne l’impression
d’un aéroplane. Dante avait donc trouvé le vol à la voile ; et il n’est pas possible
de lui supposer une trouvaille {autre qui aurait été inexécutable à cette
époque où rien en mécanique n’était
faisable.
C’est donc très
probablement le vol à la voile qu’il a utilisé. Nous sommes portés à le croire
par une foule de considérations. Il avait fait ses premiers essais sur l’eau :
excellente idée ! et s’il les avait continués sur le lac son malheureux
accident n’aurait pas eu lieu. Les perfectionnements de l’appareil seraient
survenus et l’aviation était une science acquise à l’humanité. Au lieu de cela il se laisse tenter par le désir de plaire au souverain, exécute ses
expériences sur la terre ferme : un accident survient. Sur le lac ce petit
malheur était un simple bain, sur terre ce fut une jambe brisée et l’aviation
arrêtée dans son étude.
Ces trois jambes
brisées : Malmesbury, Guidotti et Dante ; accidents absolument semblables, nous
portent à penser que les appareils étaient à peu près les mêmes. On peut
supposer que la position de l’homme était la verticale, puisqu’ils sont tombés
sur les jambes qu’ils se sont rompues. Cette position debout implique un
appareil simple, quelque chose de ressemblant à celui dont je me suis servi
sous la rubrique 3ᵉ essai [9].
Et cette autre
réussite récente Francisco Urujo aurait fait en 1863, d’après le Courrier d’Andalousie, de Malaga, une lieue
en moins d’un quart d’heure, parcours mesuré en ligne droite, mais qui par le
fait a dû être bien plus long.
Ce paysan
espagnol, assurément mal outillé, peu lettré, c’est probable, et qui fournit
cependant un résultat complet !
D’abord le-fait
est-il vrai ?
Il est presque
certain qu’il n’est pas faux, car la tradition et même des écrits ne sont
généralement pas si inventifs que cela. Dire que ce qu’on raconte est
absolument exact et peut-être un peu exagéré, mais la légende doit reposer sur
un fait positif ; il n’y a pas de fumée sans feu. Urujo avait probablement vu
les planeurs exécuter leurs évolutions qui ne demandent aucune dépense de
force. Il avait eu la possibilité d’étudier dans son pays le gyps occidentalis des sierras, qui vole
parfaitement ; il s’était dit que ce problème n’est qu’un tour d’adresse et
avec de la patience et beaucoup de bon sens il était parvenu à l’imiter.
Servons-nous
maintenant pour nous diriger dans cette revue de ce qui a été fait du tableau
d’aviation de M. E. Dieuaide[10].
Le premier,
1.500, de Léonard
de Vinci, est tout à fait, d’après
le peu qu’on en voit,
mon essai n °1 [11]. Il est, au reste, difficile de s’en
faire une idée précise. Ce qui en est représenté indique qu’on a affaire comme
pensée dominante à un rameur, mais on ne peut aller plus loin, car rien n’est
indiqué comme direction et comme surface.
1678. — C’est
l’intéressant appareil de Besnier. Ce système a fait rêver nombre
d’intelligences, surtout étant donné le résultat.
Mais malgré
l’ascension obtenue, à ce que l’on dit, nous ne voyons pas comment il peut se
diriger. Puis, cette station n’est possible que pendant un temps excessivement
court. Il est impossible de penser à aller loin. C’est donc un appareil jouet
et rien autre.
1709. — N’est pas
sérieux : passons.
1742. — De
Baqueville n’a pu se casser la cuisse avec un appareil semblable à celui qui
est dessiné dans ce tableau. Cet engin ne porte pas.
Rétif de la
Bretonne est une rêverie. 1784. — Gérard. Il est difficile de discerner quelque chose dans ce dessin. Quel est le
propulseur ? Où est la direction ?
1784. — Launoy et
Bienvenu. Hélicoptère.
1806. — Jacob Degen.
Toujours l’idée d’enlèvement, de sustention, mais rien n’apparaît comme direction. L’idée de
l’ascension prime sur celle du glissement. Le rameur a plus impressionné
Fauteur de ce système que le voilier.
1842. — Henson. Il
ne manque que la faculté de pouvoir déplacer le centre de gravité. La queue y
est. Les deux hélices qui doivent procurer la vitesse sont en place. Avec cet
engin, et donnant aux hélices la force désirable, on irait à peu près où le
hasard mènerait.
1845. — Cossus.
Hélices, pas de direction visible.
1851. — Aubaud.
Appareil qu’il serait intéressant de mieux connaître. C’est l’idée fournie par
la vue des grandes flèches ou traîneaux aériens. Il y a là tout un ordre
d’idées nouvelles en aviation à poursuivre. Pour faire le premier pas dans
cette étude, on n’a qu’à étudier la marche d’une flèche de grande taille, type
lent, c’est-à-dire à grande surface à l’arrière. Dès que cet engin atteint deux
mètres de surface, il captive par la lenteur de sa marche ; c’est tout à fait
le mouvement des grands planeurs.
1852. — LETUR. Embryon du vol à la voile
et des aéroplanes superposés. Letur
aurait dû être pourvu d’un
béret parachute et n’étudier que sur l’eau. Il n’aurait pas produit le vol
plané, mais il l’aurait ébauché.
1852- MICHEL LOUP. Impossible de comprendre cet appareil d’après
le dessin. 1854.− BRÉANT. Rêverie.
1856. — CARLINGFORT. Ombre de l’autour volant à toute
vitesse ; mais c’est tout ce qu’on peut y distinguer. Hélice admise suffisante
et parfaite, mais qui dirigera l’appareil ? Fortement lancé, la queue
aura assez d’action
pour le diriger
verticalement, mais quant
à la direction horizontale,
on n’en voit pas la trace.
1857. — LE BRIS.
Premier appareil. Essayé, d’après de la Landelle, sur la route de Douarnenez, au moyen d’une
charrette lancée au grand galop.
Les ailes devaient
être
fixées pendant cette
expérience. Il eut un demi-succès.
1857. — DU TEMPLE.
Cet appareil se distingue des autres par un bâti extraordinairement simple. On
doit cependant lui reprocher le défaut de sa qualité, qui est le manque de
tenue dans deux sens. Au reste, nulle direction, autre que celle que peut
donner la queue, n’est indiquée.
1859. — BRIGHT. Hélices.
1860. — SMYTHIÈS.
Combinaison indéchiffrable.
1863. — DE PONTON D’AMÉCOURT. Charmant petit
appareil qu’on peut voir au musée de la Société de la Navigation Aérienne. Malgré
la perfection de cette petite machine à vapeur,
le résultat a été négatif : l’appareil n’ a pas pu s’enlever. Mais l’aurait-il
pu, où serait-il allé ? On est toujours à côté de la question.
1863 — G. DE LA LANDELLE. Même idée que la précédente, mais agrandie. Le roman de
Robur' est échafaudé sur cette rêverie.
1863 — DE LOUVRIÉ. Surface mise en mouvement par
un moteur quelconque. Pas d’organisme de direction.
1864. — D’ESTEKNO. Aéroplane ayant la tournure de
l’épervier. C’est assurément, au point de vue du vol à la voile, l’appareil le
plus parfait qui soit dans ce tableau. Cependant, d’après ce dessin, nous
devons dire que rien ne décèle les organes de la direction horizontale. Comme
la queue est insuffisante, puisqu’elle n’agit que par les grondes vitesses et
n’a presque d’action que dans la direction verticale, il manque donc une
direction. Cet appareil n’est donc pas dirigeable.
1864. — DE GROOF. Si son système était tel que la gravure
nous le représente, il n’est pas
étonnant qu’il se soit tué.
1864. — STRUVE ET TELESCHEFF. Rêverie.
1864. — CLAUDEL. Appareil qu’il faudrait pouvoir
étudier en détail. Que sont ces ailes tournantes ?
1866. — BOURCART. Système Besnier
perfectionné, mêmes effets
produits.
1867. — LE BRIS. Essai de Brest. Faute de vent et
surtout de facilité dans l’expérimentation,
cet appareil s’est
mal enlevé. C’était
l’essai du désespoir, fait à vide,
par conséquent le résultat en était certain. D’après la photographie qui
est à la Société d’aviation, la surface
est suffisante, mais avec ces ailes fixes
d’une seule pièce,
la direction verticale est insuffisante
: elle ne réside que dans l’action de la queue. La direction horizontale ne
paraît nulle part ; par conséquent cet appareil est comme les autres, indirigeable.
1867. — KAUFMANN. Mélange de planeur et de rameur.
Il y a assurément quelque chose dans cette idée, qui n’est pas neuve entre
autres ; mais, qu’il faut faire grand pour pouvoir sustenter une machine à
vapeur à action presque constante, plus sa provision de charbon ! Toujours sans
direction.
1867. — SMYTH. Même sujet,
mû par un moteur à gaz. Où met-on la provision de gaz ?
1867. — BUTLER et EDMARDS. Flèche ordinaire, type
rapide actionné par un moteur quelconque. Direction verticale presque
suffisante, direction horizontale invisible. Cette idée sera reprise plus tard
: elle a de l’avenir. La direction horizontale peut être fournie par un simple
gouvernail de bateau.
1868. − STRIXGFELOM. — Aéroplanes superposés.
Appareil à étudier. L’intérêt de ces aéroplanes n’a été qu’entrevu. La nature
l’indique comme capable de diminuer l’étendue,
et c’est d’un intérêt de premier ordre en construction. Comme appareil
d’aviation, tel qu’il est représenté, il est, comme ses prédécesseurs,
ingouvernable.
1871. — PRÉGENT. Rameur à quatre ailes. Il y a bien
des inconnus dans un tel appareil. Deux ailes sont bien difficiles à diriger ;
que sera-ce quand on en aura quatre à soigner ? Puis, il y a la vapeur !
Jusqu’à ce que les appareils légers soient entrés dans le domaine de la
pratique, il convient de s’abstenir. L’idée qui a pesé sur cette conception est
le désir de voler par le calme. En adaptant à ce système des organes de
direction suffisants, il est probable qu’il fonctionnerait dans l’air
tranquille, mais à coup sûr, par un vent actif, il ne supporterait pas mieux le
courant que ne le supporte son modèle, la libellule, malgré ce qu’on dit de cet
insecte.
1871. — DAUJARD. Il a manqué à cet inventeur la vue
des grands modèles. Il est difficile de tout créer. Les propulseurs sont insuffisants, et l’aéroplane est en longueur
au lieu d’être en largeur. Le type qui a inspiré cette construction
semble être l’insecte coléoptère. Appareil qui, pourvu d’une direction
horizontale, fonctionnerait lentement dans l’air calme.
1871. — POMÈS et DE LA PAUZE. Hélicoptère actionné
par un moteur à poudre. En supposant ce moteur trouvé pratiquement, on n’aurait
pas pour cela la navigation aérienne. Cet appareil pourrait monter en l’air,
mais ne saurait ni y stationner, ni s’y diriger.
1871. — THOMAS MOY. Appareil possible en chambre,
mais impraticable en pratique. Supposons-le là-haut, par mille mètres, aux
prises avec une de ces brises d’hiver qui n’ont pas moins de 25 mètres de
vitesse à la seconde, et supposons que la route à suivre soit contre le vent :
rien que d’y penser fait peur ! Pour résister à des courants pareils, il faut
une autre rigidité que cela : pas tant de ficelles qui barrent l’air, tout
comme une surface, pas de bâtis pareils, de grappins ; et surtout pas d’hélices
de cette taille, qui jamais n’arriveront à tourner assez vite pour produire un
travail utile dans un courant de 25 mètres. Regardez
l’être créé pour se mouvoir
dans de pareils courants : quelle simplicité de forme ! quelle correction de coupe !
1871. — PENAUD. Flèche animée, poussée par l’action
d’un ressort en caoutchouc tordu sur une hélice. C’est plutôt un jouet qu’un
appareil d’aviation.
1871. — JOBERT. Oiseau mécanique.
1872. — HUREAU DE VILLENEUVE. Même sujet.
1872. — PENAUD. Même sujet.
1872. — JOBERT. Même sujet
à quatre ailes.
Ces quatre petits
chefs-d’œuvre sont inspirés par les modèles que leurs auteurs ont pu étudier :
les rameurs. S’ils avaient eu sous les yeux des voiliers, nul doute qu’ils
auraient reproduit ce vol bien plus facile à imiter.
1874. — ARCHEMBACH. Machine difficile à comprendre : passons.
1876. — PENAUD et GAUCHOT. Il est peu commode de se
former une idée sérieuse d’un appareil d’après une seule vue. Le point intéressant
de cet aéroplane doit être dessous ; comment le comprendre ? Pénaud était trop
fort pour faire une œuvre absolument incomplète. Ici, on ne voit presque
rien : deux petits gouvernails horizontaux et un vertical ; tous trois insuffisants
comme action. Les deux hélices telles qu’elles sont dessinées pourraient être
supprimées. Comment part cet appareil ?
Il y aurait un
petit livre bien intéressant à faire, c’est le compte rendu détaillé de tout ce
qui a été produit par l’aviation, avec dessins sérieux à l’appui, coupe, plan,
détails, enfin tout ce qu’il faut pour bien faire comprendre un sujet
mécanique. Les archives de la Société
de Navigation Aérienne doivent contenir des documents assez nombreux pour permettre de produire cet ouvrage, qui aurait entre
autre utilité celle
d’éviter d’inventer des appareils déjà construits.
1877. — E. DIEUAIDE.
Toujours la perpétuelle obsession de l’ascension. Un bon ballon vaudra toujours
mieux pour s’élever dans les airs que le meilleur hélicoptère ; et surtout pour
en redescendre.
1877. — MÉLlKOFF. Même
sujet. Hélice intéressante.
1877. — DE LOUVRIÉ. Rameur dont les ailes sont actionnées
par un moteur. Direction verticale insuffisante et absence de direction
horizontale.
1878. — CASTEL, et
1878. — FORLANINI. Deux hélicoptères qui ont
fonctionné. Qu’il y a loin de l’hélicoptère
à l’aviation telle qu’on la désire.
1878. — POMÈS. Pour que cet appareil ait pu
fonctionner il faut qu’il ne ressemble pas au
dessin.
1879. — BRÉAREY. Aéroplane ayant la tournure d’une
raie. Il n’est pas impossible d’obtenir un léger succès avec cet appareil par
un temps calme, surtout si on parvient par des organes absents à le diriger
horizontalement.
1879. — TATIN. Aéroplane qui, malgré qu’il ait
quitté le sol, n’est pas maniable. Cette expérience démontre qu’à 8 mètres de
rapidité la résistance de l’air sur cette surface était suffisante pour
soutenir son poids. Combien de données manquent pour pouvoir se faire une idée
sérieuse de ce problème. L’expérience est-elle faite par le calme ? Quel est le
poids de l’appareil ? Quelle en est la surface ? et quels sont les organes
directeurs ?
1879. — DANDRIEUX. Retour
à la machine Besnier.
1880. — EDISON. Est-ce que sérieusement le grand
électricien aurait produit une œuvre aussi enfantine ? Je ne puis le croire.
En résumé nous
voyons que de tous les appareils contenus dans ce tableau, aucun n’est
dirigeable. Ils portent presque tous, mais la direction en est absolument
impossible. Donc
aucun
n’a fonctionné et ne pouvait fonctionner. C’est, pour la plupart, l’imitation imparfaite
de l’être qui vole. L’étendue de surface portante a frappé tous les chercheurs,
mais là s’est arrêtée l’étude.
Ce que je prêche,
c’est l’appareil complet muni de ses directions. C’est le voilier reproduit de
la manière la plus simple possible. Les deux directions sont copiées sur
l’oiseau : elles sont exactement les mêmes, par conséquent il n’y a pas
d’erreur.
Le voilier vole,
son imitation précise doit pouvoir voler.
L’aéroplane indiqué
page 250 de l’Empire de l’Air, peut fonctionner. Si on lui joint deux organes pouvant jouer le rôle de
l’annulaire de l’aile d’un oiseau, et qui ne sont pas indiqués dans la gravure
faute d’espace, on aura les directions pareilles à celles qu’emploient les
grands voiliers dans leur vol de parcours.
Le vol de longueur, celui que nous désirons produire est donc possible.
Je reconnais
cependant que cet appareil est bien loin d’être complet. Pour arriver à la perfection
du vol de lutte, il lui manque. une foule de choses :
1° La torsion
possible de l’aile sur la tête de l’humérus. Mouvement impossible dans cet
appareil, mais qui est presque compensé par la forte déformation qu’on peut
produire dans la région de l’aile que j’ai nommée place de l’annulaire. Cette
torsion destinée à produire un plan qui accroche l’air à l’extrémité de l’aile
et qui produit ainsi un retard et un changement de direction horizontale,
s’obtient très facilement et de beaucoup de manières différentes ; toutes
bonnes du reste : l’essentiel est d’arriver à barrer l’air.
Ainsi on produit
cet effet au moyen d’une simple corde cheminant dans des anneaux fixés sous l’aile, afin d’éviter le traînement, arrivant
à la place où se tiendrait le pouce dans cette main emplumée, ét s’attachant
à l’extrémité de l’annulaire. Il est clair qu’une traction exercée sur cette
corde se transmettra à ce point d’attache et aura pour effet de le rapprocher
de l’autre point d’attache et par conséquent de creuser l’aile ; seulement,
comme le côté d’avant est ferme et même très rigide et que le côté arrière est
élastique, c’est l’arrière qui se déformera, c’est l’annulaire qui présentera
alors son plan à l’air ; plan qui, par conséquent, ne glissera pas comme le
reste de l’aéroplane et surtout comme la partie pareille de l’autre aile qu’on
n’aura pas déformée. Il n’y aura donc plus égalité de faculté de glissement ;
l’aile intacte glissera mieux dans l’air que l’aile déformée.
Dans l’aéroplane de Massia-Biot, j’avais
employé un autre
moyen pour arriver
au même résultat : la’
déformation de l’aile qui doit rester en retard. Ce gauchissement-était ainsi produit.
Les premières
rémiges de chaque aile, formées par deux bambous légèrement courbes avaient en
acte de vol ordinaire leurs convexités placées du côté de l’aile. Ces bambous
étaient chacun emprisonnés dans deux douilles
qui les serraient assez pour les maintenir en position, mais leur permettaient, sous
l’action d’un effort de la main, de tourner sur eux- mêmes. Comme leurs deux
bouts dépassaient d’un mètre environ chaque douille, ils servaient en même
temps d’organes de direction pour l’avance ou le recul des extrémités des
ailes. Ces deux barres venaient presque toucher la poitrine de l’aviateur, qui
s’en servait pour porter
les pointes des ailes en avant ou en arrière
suivant les besoins
de
l’équilibre
vertical. En même temps, on pouvait, en les tordant, les faire tourner sur eux-
mêmes dans leurs douilles, par conséquent, porter leurs extrémités en l’air. La
courbure de ces bambous faisait que la toile fixée sur eux formait alors un
plan relevé, allant du premier au
second bambou ; place qui devenait différente de celui du reste de l’aile.
Il est clair que l’aile qui présentait ce plan de relèvement ne fendait plus aussi facilement l’air que celle qui était restée
intacte ; cette
aile déformée restait
donc en retard
sur l’autre : c’était l’effet cherché.
A l’article « Gouvernail vertical », je parle d’une autre variante de
direction horizontale. Il y a cent moyens
différents à employer, qui, tous produisent cet effet, hors duquel on va à peu de chose près, horizontalement, où
le vent veut bien vous pousser.
2° Il manque
encore à cet aéroplane, pour être complet, la flexion du coude qui existe dans
le bras de l’oiseau : flexion dont il se sert à chaque instant, mais qui n’est
pas cependant indispensable, comme je vais le prouver. Il y a un fin volateur
qui, on peut le dire, ne se sert pas de cette flexion : c’est le martinet. On
peut considérer son aile comme faite d’un seul morceau, lié au corps par une
charnière. Les hirondelles ont l’aile disposée de la même façon, mais moins
accentuée, puis viennent, à ce point de vue spécial, les engoulevents et les
podarges.
Ce type d’aile en
deux morceaux, on pourrait même dire avec justesse en un seul morceau, est
infiniment plus facile à reproduire que celui de l’aile en deux parties. Le
premier ne demande qu’une charnière et le second en exige deux.
Rien n’est
délicat à construire comme cet organe de flexion. Dans mon deuxième essai, je
m’étais permis l’aile en trois temps. J’avoue avoir eu un insuccès complet ; il
était visible, à mesure que l’aéroplane s’achevait, qu’il pécherait par le
manque de solidité. Aussi, à l’essai, ne tint-il pas ; ces quatre charnières
jouèrent à qui mieux mieux.
Généralement,
dans toute conception, on procède du compliqué au simple. Pour mon compte, j’ai
fait comme tout le monde. Mes premiers aéroplanes, premier, et deuxième essai,
avaient l’aile en trois temps. Celui qui est dessiné à la page 250, n’en avait
déjà plus que deux. Celui que je décrirai plus loin, a l’aile d’un seul morceau
et possède cependant les deux directions il peut donc tout aussi bien
fonctionner que les autres, malgré sa simplicité.
3° Enfin, il manque à l’aéroplane tel que je l’indique un monde de perfections, et surtout
de savoir s’en servir, d’avoir la science du vol, l’accoutumance du vide : cet
affreux vide qui paralyse toutes les facultées. Mais cependant, tel qu’il est,
il peut produire de bons résultats, et cela, malgré sa gaucherie forcée, car
nous ne lui ferons pas faire de tours de force ; malgré ses imperfections de
glissement, sa puissante masse corrigera ce défaut et fera qu’il coulera dans
l’air bien plus facilement que ne le fait le petit oiseau.
Il gagnera comme
régularité d’évolution. Nul volateur n’approchera de l’ampleur d’allure de cet
énorme aéroplane chargé de 80 kilog. Les manœuvres y seront lentes. Il sera lent à tourner, lent à monter, et
lent à descendre ; mais quand un mouvement sera bien décidé, il faudra un temps
très long pour le changer de direction. Il sera en somme la charge très amplifiée des grands planeurs.
Construisez donc,
et surtout faites les essais dans de bonnes conditions. Puis persuadez- vous
bien que c’est un exercice qu’on ne réussit pas du premier coup, aurait-on pour
l’exécuter des ailes aussi perfectionnées que celles de l’oiseau.
L’être ailé
parfaitement en plumes, au complet, mais qui est resté longtemps en cage, nous
enseigne qu’il faut être entraîné pour bien voler.
Ceci me remet en
mémoire une expérience qui me fut racontée par M. Hureau de Villeneuve.
Plusieurs aviateurs, désirant voir le vol du grand vautour, obtinrent de la
direction du Jardin des Plantes qu’on donnerait la liberté a un Gyps fulvus. On
lâcha donc l’oiseau, mais à leur grande surprise, ce voilier incomparable ne
savait pas voler ; il fut impossible de rien tirer de lui.
Le volateur, pour
posséder ses facultés, doit voler tous les jours. La confiance en ses ailes
s’éteint avec l’absence d’exercice. Un vautour, un aigle, qui n’ont pas plané
depuis longtemps, mis en liberté, seront, au départ, des rameurs ; ils ont
oublié que l’aile fait des merveilles de glissement, et ce savoir ne leur
revient que lentement. Je l’ai expérimenté plusieurs fois. Un jour, mon grand aigle réussit
à s’enfuir. Quand j’arrivai le matin, je le vis sur
un toit : il n’avait
pas osé aller
plus loin. Je n’eus rien de plus pressé que de lui montrer
sa pitance. Il revint tranquillement en ramant et rentra la manger. Un busard
Montaigu que j’avais lâché exprès, resta une quinzaine de jours en vue et ne
voulait pas se décider à partir. Voilà donc deux oiseaux, possédant leurs ailes
au complet, qui, par le fait de la stabilisation prolongée, ont perdu confiance
en leurs organes de locomotion.
L’homme fera
assurément encore bien plus mal que l’oiseau. Ce n’est que lentement qu’il
s’accoutumera à cet exercice insolite. Ne vous découragez donc pas des premiers
insuccès, persévérez et dites-vous que la science du vol ne vient que
lentement, même aux oiseaux.
Ce mot de gouvernail, qui se trouve dans le chapitre précédent, fait, de suite, penser à un
gouvernail perpendiculaire, quelque chose comme celui des bateaux qui n’ont
besoin que de la direction horizontale.
Un appareil
d’aviation un peu important ne serait pas déparé par cet organe, malgré son
étrangeté, et s’il était utile, on passerait sans honte sur beaucoup de
considérations esthétiques. Ce serait, il est vrai, le premier gouvernail de ce
genre qui fonctionnerait dans la nature, mais il lui serait tout pardonné s’il
produisait de bons effets.
La nature
n’a pas positivement inventé cet appareil, au moins pour les oiseaux,
mais elle l’a indiqué
plusieurs fois : dans le milan qui dispose quelquefois verticalement le plan de sa queue, dans l’hirondelle, qui produit aussi très souvent
cette manœuvre, dans le naucler,
ce
milan exagéré de l’Amérique, qui se dirige d’une manière si curieuse avec les
deux longues plumes extrêmes de sa queue fourchue, dans le gypaëte, enfin dans
tous les oiseaux de grand vol qui ont
un appendice caudal développé. Puis, ce que la nature n’a pas fait est
cependant faisable : elle n’a pas tout inventé, témoin la roue, l’hélice,
etc...
J’ai construit
plusieurs aéroplanes à gouvernails verticaux, tous ont bien fonctionné. Cet
organe est un véri- table régulateur de la direction horizontale, mais il a le
défaut d’exiger pour devenir efficace beaucoup de vitesse de translation.
C’est, en résumé, toujours la queue avec ses qualités et ses défauts ; elle
n’agit que quand l’air la frotte vivement.
Un de ces
appareils était assez intéressant pour mériter une description.
Je cherchais la
direction automatique contre le vent et j’ai eu recours au gouvernail vertical
pour la produire.
L’appareil se composait d’un aéroplane ordinaire de
1 m. 75 d’envergure. L’attache du gouvernail qui devait régler
l’orientation était une tige de fer plantée verticalement où serait la tête de l’oiseau, c’est donc au
milieu de l’avant. Sur cette tige se fixait un drapeau mobile, parfaitement
rigide. La longueur était égale à l’envergure de l’appareil : il dépassait donc de beaucoup la queue, ce
qui faisait un gouvernail de 1 m. 75, placé verticalement sur le dos de
l’aéroplane. 11 était construit en plumes de paon ébarbées et en papier de
Chine.
Au bout de chaque
aile, à la place de la sixième rémige, de l’annulaire ; j’avais établi deux
petits plans mobiles collés à ces deux points. Il s’agissait de faire mouvoir
ces plans, de leur faire présenter au moment opportun un angle qui ferait
retenue sur l’air, l’accrocherait et produirait ainsi une action directrice.
Deux simples
cordonnets attachés à l’extrémité de chacun de ces plans
mobiles, passant par un
anneau fixé à la place du pouce, et l’autre bout fixé au gouvernail vertical
firent l’affaire. Les deux cordonnets étaient attachés à 0 m. 25
de la tige de fer faisant charnière, ce qui faisait que l’effort de l’air était
augmenté de toute l’action du levier.
Quand l’aéroplane en marche voulait
suivre une autre
direction que celle
de vent debout, ce drapeau rigide suivait le courant d’air, déviait de la
ligne qui va du bec à la queue. Cette déviation se traduisait à l’instant par
une traction sur le cordonnet opposé à cette nouvelle direction du drapeau ; le
plan était amené à faire résistance sur l’air et par conséquent à ramener
l’appareil contre le vent.
C’était un
commencement d’exécution d’un ordre de pensées qui me poursuit depuis
longtemps, mais que faute de moyens et de temps, je ne puis produire : c’est
l’appareil aviateur automatique.
Son but final est de faire
enlever et diriger
dans une direction précise un aéroplane de 80 kilogrammes. Ce n’est assurément pas beaucoup plus difficile à combiner et à exécuter
que les petits appareils inventés par MM. Penaud, Hureau de Villeneuve, Jobert et autres...
J’avais commencé
un appareil de 5 mètres d’envergure, type pélican, devant partir de l’eau et se
reposer sur l’eau [12], et fournir entre le départ et le
repos une course planée qui par certains jours de vent devait être bien
intéressante.
Le départ devait
être produit par la vitesse procurée par des pattes de palmipèdes [13], et par une dizaine de battements
énergiques d’ailes du système décrit dans le présent livre, à la fin de
l’Aviation [14].
Le repos
automatique était décidé par l’approche de la surface de l’eau : un petit lock
pendu à une corde attrapait l’eau, ce tirage ouvrait un robinet et le gaz
comprimé faisait battre cinq fois les ailes dans la position qui arrête la
translation ; l’appareil immobilisé se posait sur l’eau.
Le moteur était
l’acide carbonique. Au moyen d’une outre de caoutchouc d’un centimètre
d’épaisseur, de la contenance de vingt litres, de bicarbonate de soude et d’un
peu d’acide sulfurique étendu, on obtient une pression qui se chiffre
exactement. Un pareil récipient peut supporter facilement sans se rompre et
sans trop augmenter de volume une pression de dix atmosphères. Il pèse, avec sa charge,
cinq à six kilos. C’est en même temps
le foyer, le laboratoire et la chaudière. On disposait donc ainsi de cent
litres de gaz utilisable comme force motrice.
Il y avait à
répartir ces cent litres en quinze fractions de volumes progressifs, puisque la
pression, l’exiguité du récipient, allait en s’éteignant, ce qui était chose
facile, et entre la course des pattes palmées.
Le but de cette
rêverie, qui fut abandonné au reste ainsi que beaucoup d’autres choses, était
d’arriver au grand appareil automatique, capable de porter le poids d’un homme.
C’est, comme on
le voit, toujours la pensée d’habituer l’aviateur à ce mode curieux de
véhiculation qui me poursuit. Il est clair que, si cet appareil était
construit, la vue de cette expérience souvent répétée, ferait certainement
naître chez une individualité hardie l’idée de remplacer la charge par un être
humain. Et, si cette intelligence était bien persuadée, bien imprégnée du vol
des voiliers, il est à peu près certain que le problème serait résolu.
Au reste, s’il
est absolument constaté que l’effroi du vide est la véritable cause qui empêche
l’homme de pratiquer l’aviation, et c’est mon opinion bien arrêtée, les
appareils automatiques sont la seule voie à suivre pour le décider et
l’accoutumer à ce mode de translation qui ne doit pas plus donner le vertige
que n’en donne l’aérostat.
D’abord, qu’entend-on par aspiration.
Première difficulté. Il est
déjà difficile de s’entendre sur la
définition du titre du sujet.
Sur ce point
diffus, comme sur toute question
indécise, il flotte
un voile qu’il
s’agit d’enlever.
Que peut
signifier ce mot aspiration ? mot qui a parfaitement pris cours dans le monde
qui s’occupe d’aviation.
Nul ne le sait au
juste. Littré, qui a définition à tout, ne l’a pas envisagé sous cet aspect.
Voyons alors nous-mêmes ce que nous pourrions dire sur ce sujet.
Le mot aspiration semble vouloir dépeindre
l’action d’attirer un corps par l’entraînement
d’un courant aérien ; on aspire l’air par opposition à l’expiration, au souffle
qui le rejette. C’est bien ce qu’on entend par aspiration dans le langage
usuel. J’aspirais avec plaisir les
senteurs du matin. Mais, en aviation, ce n’est pas cela du tout ; le mot a une autre signification. Il a été créé,
autant que j’ai pu le savoir, à l’origine de cette science, pour répondre à un besoin.
Nadar, de La
Landelle, Ponton d’Amécourt, les ancêtres en un mot, voyant l’oiseau de mer
pénétrer le courant aérien sans être mu par aucun propulseur, ne trouvèrent
rien de mieux que de dire qu’il est attiré, qu’il y a aspiration.
Attiré par quoi ?
Aspiré par qui ?
La réponse a
toujours été : mystère, phénomène inexpliqué ; ils ne sont pas allés plus loin.
Cette réponse ne
peut nous suffire ; nous devons chercher à en donner une autre plus sérieuse.
Nous avouons
n’aborder cette question qu’avec les affres de la peur, la considérant comme la
plus compliquée, la plus difficile à élucider de l’aviation. L’effroi qu’elle
cause est produit par le côtoiement constant de la bêtise, qui est un voisinage
qui paralyse la pensée et l’entrave, non seulement dans son exposé, mais même
dans sa conception.
La nature est
tellement forte dans ce phénomène que sa démonstration constante, son
expérimentation de chaque instant devant nos yeux n’amène à notre entendement
ni l’explication ni la croyance.
Nous ne voulons
pas en croire nos yeux ! Cependant, lorsque, à force d’observer, on s’habitue
par la fréquence à envisager ce phénomène, il vient à l’esprit l’idée de se
l’expliquer : ce que nous allons essayer de faire et cela avec toute la
sincérité et la naïveté possibles ; nous disant qu’un pionnier de l’air doit
oser dire ce qu’il pense.
C’est donc ce
phénomène paradoxal d’un corps pénétrant un courant que nous allons envisager ;
c’est l’oiseau allant à contre-sens du sens naturel où il doit aller, où doit
l’entraîner le courant d’air ; et cela sans développement de force, sans
battement d’ailes, sans aucun acte de propulsion en avant, que nous allons
essayer d’expliquer.
Les phénomènes de
l’aspiration sont très nombreux. Il y en a qui sont simples et ily en a
d’excessivement compliqués.
Etablissons
d’abord par quelques exemples des de cas vol aspiré.
Comme j’écris
pour les autres et non pour moi, comme il ne me reste d’autre rôle en ce bas
monde que de raconter ce que j’ai vu et d’enseigner ce que je sais, comme c’est
pour Paris que j’écris,
ou pour mes confrères habitant
les grandes villes
— j’allais dire des
caves
— tous aviateurs qui en sont réduits à combiner dans leur cerveau des actes de
vol, n’ayant rien devant
leurs yeux de ce qui compose la splendide Nature,
je vais donc retracer
pour eux quelques exemples de ce qu’on appelle l’aspiration.
Je prie le
lecteur de vouloir bien me suivre. Nous montons sur ma terrasse : c’est un
excellent observatoire.
Nous sommes au mois
de janvier, il fait un fort vent du Sud, froid comme les bises noires de
l’Europe, à secousses violentes. J’ai manqué être renversé. Mon chat Microbe
s’est retenu juste à temps pour ne pas tomber ; faits qui indiquent la force du
vent.
J’ai là bien pu
voir ; j’ai bien étudié ce point de l’aviation qui rend perplexe. Je parle sans
l’ombre d’idée préconçue.
Ce sont les
milans qui sont les modèles : il y en a constamment en vue.
Les milans,
par ce temps et à cette époque de l’année,
ont pour objectif
de surveiller leur territoire de chasse : l’accouplement
est commencé. Quand la femelle est au vol, le mâle la suit de près. Elle reste
perchée la moitié du jour sur un point élevé ; pendant ce temps le mâle
parcourt la surface qui est son domaine et ne s’en éloigne pas. On peut dire
que ces oiseaux ne se perdent pas de vue, on le remarque aux cris
d’avertissement qu’ils s’adressent de
temps en temps.
Ainsi font les
deux vieux couples mes voisins.
On voit cependant quelques
milans très haut dans les airs. Ils semblent être par paire : ce doivent être des jeunes non fixés.
Ces conditions de
vie expliquées, voyons leurs manœuvres.
Leur but est
double : surveiller d’abord leur territoire, puis chasser pour vivre ; ils
n’ont donc pas à produire le vol de grande course, mais au contraire à résister
au vent sur place, sans s’éloigner, ce qui facilite singulièrement l’étude du
cas que nous étudions. Aussi se bornent-ils à avancer contre le vent, les
pointes des ailes fortement portées en arrière. Quand le coup de vent arrive,
ils lui résistent en s’abaissant beaucoup.
La hauteur
moyenne à laquelle ils se tiennent est de cent cinquante à deux cents mètres ;
pour esquiver le recul ils s’abaissent de cinquante à cent mètres et tirent des
bordées obliques.
Ce sont ces bordées
en travers qui embrouillent l’analyse. C’est peut-être dans cette partie de la
course qu’on peut penser que s’emmagasine la force du coup de vent.
L’analyse est
bien difficile ; c’est, en tous cas, l’explication qu’on pourrait donner à la
rigueur de cette manœuvre ; mais que dire quand ils avancent simplement,
immuablement, toujours, sans effort contre le vent ; sans s’abaisser, sans
s’élever : on dirait que le vent les attire.
Décidément, je
sens que cet exemple ne persuadera pas : le milan n’est pas un professeur explicite ; ses actes de vol démontrent mais n’expliquent pas. Cherchons dans le
monde des oiseaux un acte d’aspiration moins difficile et plus analysable.
Le planement en rond
dont il est parlé au chapitre du vol à la voile est-il plus concluant[15] ? Non, il n’implique pas forcément l’aspiration : elle peut être niée. Il y a
dons
l ’économie de cette manœuvre une foule de rapports qui ne rendent pas d’une
absolue nécessité le besoin d’admettre l’aspiration.
Pour trancher la
question, nous allons présenter un cas où il n ’y a pas moyen de tergiverser,
car c’est un vol toujours contre le vent.
Cet oiseau est,
je crois, complètement inconnu, au moins dans ses manœuvres. Je ne l’ai vu que
trois fois, mais comme compensation je me suis trouvé, comme longueur de temps
et comme position, dans d’excellentes conditions d’étude.
Page 22 de l’Empire de l’Air se trouve l’énoncé, en quelques
lignes, d’une manœuvre extraordinaire produite par deux aigles. Cette
observation, qui est d’une importance énorme
par l’horizon qu’elle ouvre à l’aviation, était d’une rareté telle qu’elle
amenait le doute. Je me suis souvent demandé si j’avais bien vu. Si des milans
ne l avaient ébauchée de temps en temps, je n’aurais pas osé, malgré tout
l’intérêt qu’elle comporte ; une évolution entrevue une fois seulement n’est
pas dans des conditions traditionnelles de présentation.
Me trouvant, il y a quelques années,
en partie de chasse aux canards sur le Nil, j’eus tout à coup en vue quatre grands oiseaux
que nos coups de fusil avaient fait envoler. Ils restèrent visibles une grande
partie de la journée. Avec de très fortes jumelles je pouvais les rapprocher assez pour bien préciser
l’espèce et les étudier avec facilité. C’étaient des balbuzards, variété
africaine, les mêmes oiseaux que celui qui est décrit page 168 au tableau
Aquila, sous le nom de Pandion fluvialis[16].
J’ai toujours
affiché un culte spécial pour le grand vautour, mais je dois dire que depuis ce
jour mon admiration est partagée : cet
oiseau en a accaparé la bonne moitié.
Voici, autant
qu’il est possible de dépeindre le mouvement avec des mots, comment se meut
dans les airs ce brillant voilier.
La brise était
faible : vent de sept à huit mètres à peu près. Après quelques battements pour
les enlever des bords plats du fleuve, ils se mirent à planer. Quelques cercles
les transportèrent à une cinquantaine de mètres de hauteur, et c’est à partir
de ce point qu’ils employèrent le vol particulier que je vais décrire et qui
leur est, pour moi, absolument spécial.
Sans jamais se
retourner, ils tinrent tête au vent, avançant sur lui sans jamais donner un
coup d’ailes, et, à certains moments, présentaient très franchement un angle
qui les élevait de dix à vingt mètres ; puis, sans baisser, repartaient contre
le courant d’air. Cet exhaussement avait lieu environ toutes les deux ou trois
minutes ; il concordait probablement avec une onde de vent rapide qui passait,
que l’oiseau utilisait pour s’élever.
Ils montèrent
ainsi tellement haut, que je les perdis de vue, mais on comprenait à leurs cris
qu’ils descendaient le fleuve et que, de là-haut, ils surveilleraient leur
proie, soit poissons, soit canards.
La note
particulière de ce vol intéressant est la fixité, la tenue dans une couche
horizontale de vent. Non seulement ce pandion est toujours absolument vent
debout et il avance sur lui, mais ce qu’il y a de particulier, et que ne
possèdent pas les grands vautours, c’est la faculté qu’il a de se tenir toujours au même niveau. Les gyps ont moins de tenue
horizontale
que ces oiseaux ; ils cèdent plus facilement devant la nécessité ; ils s’abaissent
sans honte par une immense embardée pour satisfaire aux besoins de la lutte
contre le courant. Le pandion, au contraire, semble avoir pour point d’honneur
de ne jamais baisser.
C’est bien le vol
le plus méthodique, le plus démonstratif qu’on puisse rêver. Il ne cède à rien, ne recule devant rien ; sa vitesse
est toujours la même, sa direction invariable, bien autrement rigide que celle
des vautours. Quand il monte, c’est avec une netteté de soldat à l’exercice ; l’évolution est simple, sans ambages, visible,
d’une analyse facile, élémentaire ; on pourrait dire :
une avancée lente contre le courant à laquelle succède une élévation, elle
aussi contre le courant ; aucun orbe, aucun recul : c’est le vol mécanique.
Que peut-on
désirer de mieux comme aspiration ?
L’étude de cet
oiseau fait entrevoir que la science du vol est plus vaste qu’on ne le suppose.
Il ne serait pas impossible que les grands volateurs inconnus aient à leur
disposition des procédés nouveaux. Il reste encore a étudier beaucoup de grands
oiseaux, par conséquent ceux qui doivent nous offrir le plus d’intérêt : le
gypaëte, que je ne connais pas assez comme
détails d’actes de vol pour pouvoir en parler, ne lui ayant
vu produire que le vol de parcours ; le grand autour
de l’Afrique Centrale dont j’ai eu des plumes ; deux grands vautours peu connus
de ces mêmes contrées. La harpie de l’Orénoque, les grandes cathartes des
Montagnes Rocheuses ; enfin, les grandes variétés de condor.
Mais revenons à
notre sujet.
Il est fort
possible que ce soit le procédé qu’emploiera celui qui démontrera l’exactitude
de ces pages, en réussissant à se servir d’un aéroplane. Ainsi, un appareil
planeur pourvu d’une direction horizontale très active, peut, par un bon vent,
réussir cette manœuvre et la reproduire avec beaucoup plus de facilité que
celle des cercles. Elle est parfaitement dans notre entendement, n’offre que des difficultés d’un ordre que nous saisissons parfaitement ; bien mieux, à
coup sûr, que le rond avec son temps d’abaissement où on ne sait pas au juste
où on va.
Il y a un manque
effrayant dans l’orbe qui est franchi par un excès de vitesse : c’est le second quart
du rond, là où on est en train de se retourner. Dans le procédé
vent debout, on se sent toujours porté, et si le vent
cesse on est toujours en position, soit pour le reprendre quand il viendra,
soit pour aborder le sol dans d’excellentes conditions.
Ce que je viens
d’exposer n’est pas une théorie, c’est tout simplement le récit d’une
expérience rare, produite par un oiseau rare, qui éclaire l’aviation d’un jour
nouveau.
Mais continuons, ou pour mieux dire, revenons
à ce problème irritant : l’aspiration.
Pour faciliter l’analyse, la compréhension, aidons-nous de quelques
expériences.
Nous prenons un
petit ballon gonflé à l’hydrogène, un de ces ballons jouet. Nous
l’équilibrerons au moyen
d’une charge et le mettons
dans un air absolument calme.
Si alors nous envoyons sur
lui un courant d’air bref, au moyen d’un tube dans lequel nous soufflons, si la distance
est assez grande
pour que la colonne d’air
mise en mouvement soit plus grande que le diamètre du ballon qu’arrivera-t-il ?
Il reculera,
n’est-ce-pas !
Hé bien, non, il reçoit
le choc de cette colonne d’air sans reculer.
Cependant, ce
même courant, s’il a à agir sur un duvet posé sur le sommet du ballon,
l’entraîne avec une vitesse égale à la sienne, et n’a aucune action sur le gros
corps sphérique du ballon qui est encore plus impressionnable que le duvet, car
la plume a un poids, tandis que lui n’en a pas.
D’après cela, un
ballon devait rester immobile dans un courant d’air ? Ce n’est pas ce qu’on
observe, cependant ! Nous voyons les ballons se mouvoir avec environ la même
vitesse que le courant d’air dans lequel ils sont, du moins, c’est ce qui
semble être à première vue ; il doit y avoir un retard, mais à coup sûr, il est
minime. On le démontre au moyen de duvets et on voit que le retard du ballon
sur la vitesse du vent est très peu de chose.
Voici donc deux expériences qui semblent se contredire. Il n’en est rien, cependant.
Le ballon, s’il
était pourvu d’une surface absolument glissante sur laquelle l’air n’aurait
aucune prise, ne pourrait s’accrocher à rien ; le ballon, disons-nous,
reculerait devant le coup de vent subit de la quantité juste qui correspond à
l’arrivée de la contre-pression, car la pression avant a lieu avant celle d’arrière,
puis une fois la contre-pression arrivée, théoriquement, il doit résister
au courant d’air,
poussé qu’il est également par l’avant et par
l’arrière.
On voit en
étudiant avec attention l’expérience que je viens de citer, que, quand il
reçoit le coup de vent, il n’est entraîné que d’une quantité si minime qu’on
comprend qu’il n’a obéi qu’au traînement produit par l’action de l’air sur
l’appendice par où on le remplit, et sur le fil et le poids qu’on a employés
pour l’équilibrer. Il est visible,
il saute aux yeux, que le grand effort de l’air sur une face
a été équilibré par une contre-pression absolument égale à la pression qu’il a reçue : cela se voit au petit
mouvement de recul auquel succède le retour en avant, qui est le premier effet
de la contre-pression.
Si un ballon
jouet de caoutchouc recule, lui que la tension du gaz a rendu presque lisse,
qui est verni, par le seul fait de ses petites imperfections, à plus forte
raison un gros ballon, reculera-t-il, puisqu’il est garni du haut en bas
d’imperfections : filet, cordes, nacelle, toutes
choses sur lesquelles l’air a une grande prise et qui sont, par cela même,
autant de voiles sur lesquelles il agit. La nature elle-même de la surface de
l’aérostat n’est pas heureuse pour éviter le traînement ; on s’en convaincra en
passant la main sur un ballon jouet et on voit que, malgré son vernis, il est
loin de posséder les mêmes qualités de glissement que celles que possède l’oiseau.
Prenez un grand volateur par le bec et passez la
main dans le sens des plumes ; lissez-le, et le toucher vous convaincra de la
perfection éminente de glissement de cette surface.
Dans l’étude de
cette question de l’aspiration, ou, ce qui est tout un, de la valeur de la
contre-pression, intervient un autre facteur qui est celui de la forme du solide.
La forme
sphérique est-elle la forme la plus avantageuse ? Est-ce celle qui donne la
contre-pression la plus sensiblement égale à la pression ?
Il semble, au
point de vue théorique, que oui, que c’est celle qui, par ses formes absolument régulières, doit donner des résultats de décomposition de force absolument
réguliers.
Il est même probable que, si on pouvait produire une sphère douée d’un
glissement pareil à celui de certains oiseaux à vol rapide, le martinet par
exemple qui est imprégné d’une graisse puante mais éminemment lubrifiante,
comme le martin-pêcheur, les canards
et tous les oiseaux de grand vol, il semble,
disons-nous, que le traînement serait presque négligeable. Un ballon ainsi
construit serait très lent à mettre en mouvement et serait insensible, ou à peu
près, au coup de vent.
Plus la perfection
du glissement deviendrait grande, moins la mobilité deviendrait importante.
L’immobilité du ballon devient absolue dans le courant d’air si, par la pensée,
on lui donne une perfection de glissement absolue.
La nature nous
fait quelquefois toucher du doigt la puissance de ce remous. — J’ai remarqué le
fait suivant :
Il arrive souvent
au printemps que les moineaux qui ont des nids se trouvent gênés par les
pigeons. Ce voisinage les ennuie ; ils se fâchent, les attaquent à coups de bec
et, souvent, quand ils sont bien animés, les poursuivent. En voyant voler un
moineau de son vol naturel, on ne penserait jamais qu’il peut suivre un pigeon
lancé à toute vitesse ; cependant il y réussit parfaitement. On voit souvent un
pigeon, affolé par cette poursuite, se
pousser en avant de toute la puissance dont il dispose et avoir derrière lui,
comme attaché à sa queue, un moineau qui ne le quitte pas.
Jamais la
célérité de ce petit oiseau n’est assez grande pour lui permettre cette chasse
: cependant la réussite de cet exercice est patente.
Il se passe
certainement ce fait, c’est que, quand le moineau a réussi à atteindre le
remous formé par le déplacement du pigeon, il vole avec facilité dans cette
atmosphère particulière, qu’il est probablement entraîné avec elle ; ce qui
fait que c’est le pigeon lui- même qui lui fournit une partie de sa
translation.
En poursuivant
l’étude de cet ordre d’idées, de la contre-pression, on est poussé par la
nature elle-même à aller plus loin. En se basant sur l’observation, on arrive à se demander
: pourquoi n’a-t-elle pas employé dans ses œuvres la forme sphérique,
malgré les brillants résultats donnés par l’expérimentation ? Pourquoi
n’a-t-elle pas donné à l’oiseau la forme d’une boule ?
C’est là une
question bien ardue, bien difficile à résoudre. La pensée, malgré des milliers de démonstrations, reste diffuse
; on n’ose s’exprimer. Cependant, comme nous sommes là pour énoncer ce que nous
pensons et non pour nous cacher derrière des restrictions, nous aborderons
franchement cette question.
Il serait
peut-être possible que la nature ait choisi d’autres formes afin de faire jouir
le volateur d’un léger bénéfice de poussée arrière ; bénéfice capable de
neutraliser le traînement.
Il y a peut-être
des formes qui donnent une contrepression supérieure à la pression.
Je dois avouer
m’être offert, à ce sujet, une expérience qui, malgré qu’elle n’ait pas été
couronnée d’un succès exact, demande cependant à être répétée, vu son
importance, et surtout étant donné le peu de facilité
que j’ai eue pour l’exécuter ; partant les imperfections
dont elle a été forcément entourée. La voici :
Je pense que, si,
dans le ballon sans aspérité, de forme sphérique, la contre-pression est
exactement égale à la pression, il n’en serait peut-être pas de même si la face
d avant était lisse et si la face d’arrière ne l’était pas ; en d’autres
termes, si la face qui reçoit le courant était disposée pour le laisser passer
le plus facilement possible, et si la face d’arriéré était agencée d’une manière
adroite pour l’accrocher et le retenir.
J’ai donc pris un
ballon jouet sur lequel j’ai collé, sur une des faces, du duvet ; il avait une couronne
de plumes plus petite d’un tiers qu’une face du ballon, et au milieu de cette
couronne l’appendice par où il avait été gonflé, qui lui-même faisait aspérité
et aidait à l’action de retenue de la contre-pression. L’appareil, bien en
équilibre dans l’air, a reçu de haut en bas, sur sa face lisse, un coup de vent
lancé par un tube. Le résultat désiré, c’est-à- dire l’avancement contre le
sens du courant, n’a pas été précis. L’expérience éait trop imparfaitement
faite : c’est à reprendre. Il y a là un point intéressant à étudier.
Comme la nature
n’a pas inventé le ballon, comme elle n’a jamais dans ses œuvres produit la
sphère, elle a dû avoir une raison pour cela. Les êtres qu’elle a destinés à pénétrer avec succès les fluides, ont une
autre forme ; c’est celle d’un cône allongé juxtaposé sur une demi-sphère.
Pour lui
ressembler dans cette expérience il faudrait s’adresser à des ballons ayant la
forme du corps d’un oiseau d’eau. On pourrait prendre comme type colymbus
glacialis ou encore aptenodyter
patagonica.
Où nous
arrêterons-nous dans cette voie ? Où allons nous ?
— Juste
à la limite de l’absurde. Mais où est-elle cette limite
?
Il est de fait qu’on
ne peut admettre exactement dans ce cas l’aspiration ; il est impossible de
songer à un corps assez bien construit pour que la poussée arrière soit
supérieure à la poussée avant : ce serait le bénéfice de force, le mouvement
perpétuel trouvé ; l’oiseau perforant l’atmosphère malgré lui, ne pouvant plus
s’arrêter, le ballon Juif-errant, le
bateau marche-toujours. Ce serait l’absurde assurément.
Non, il n’est
pas permis de songer à cela : là est une limite
qu’on ne peut franchir.
Mais où s’éteint la raison ? ou commence l’insanité ?
Il semble qu’il n’y a pas à errer et que cette limite est à l’équilibre exact des forces, à la
suppression absolue
du traînement.
Que ces voies
inconnues sont difficiles à suivre ! le sentier n’est bien tracé nulle part. On est constamment attiré d’un côté ou de
l’autre par quelque fait qui, comme une fleur qu’on veut cueillir, vous met de
suite hors du chemin. Ainsi, que sont ces observations, nombre de fois
entrevues, dans lesquelles l’équilibre des poussées ne semble pas juste, et
pour être exact je dois dire, dans lesquelles la poussée arrière s’établit
franchement, comme dans le fait de
l’oiseau projeté en avant par un arrêt subit du vent.
Lorsque l’oiseau,
dans le ciel, hors de tout remous, est soumis à un courant d’air puissant et qu’il est en position pour lui
résister, il est si bien construit comme solide et aéroplane qu’on peut considérer le traînement comme absolument nul. Si le vent cesse
brusquement,
la pression sur l’avant cessera et cependant la pression arrière continuera
d’agir... pendant un temps au moins égal
au temps que le vent emploie à parcourir la longueur de son corps. Ce
déséquilibrement dans les poussées aura pour effet de lancer l’oiseau en avant
avec une force... précisément pareille à
celle qu’avait le vent. Comme raisonnement c’est un fait qui est encore à
élucider, et, comme pratique, c’est un lancé assez violent pour qu’il produise
l’effet non de l’aspiration, mais d’une véritable projection[17].
Les phénomènes
aériens sont bien loin d’avoir été tous étudiés !
Il y aurait donc des instants, dans le vol, où l’aspiration existe réellement. Donc,
essayez tout de même le ballon à couronne. J’ai entrevu quelque chose de
curieux qu’il doit être intéressant d’étudier à fond.
Je sais qu’oser
relater cet acte de vol est prêter le flanc à une critique bien dure. Je sais
qu’il est de très bon genre de décider que telle question est une utopie et que
telle autre est sensée, mais cela n’avance pas d’un pas l’étude de
l’aspiration. Puis, si on n’avait osé passer par dessus beaucoup de ces
questions jugées d’avance, est-ce que l’aviation elle- même serait née, car il
n’y a pas encore longtemps elle était loin de faire prime ?
Je continue donc
imperturbablement la recherche de l’aspiration, et je dis que, franchement, ce
n’est pas tout ce que je pense : cette explication est loin d’être suffisante
pour élucider le simple cas de l’oiseau qui avance immuablement, lentement, régulièrement contre le vent. Car il
avance sans effort, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas.
Laissons les
ballons et essayons d’un autre ordre de raisonnement, car je veux l’expliquer.
Je suis allé trop loin dans la mécanique de l’avenir. L’aspiration est un fait généralement
moins compliqué que le sujet que nous venons d’effleurer. Laissons les ballons
qui sont inertes, adressons-nous aux aéroplanes qui sont plus maniables que les
oiseaux et dont les évolutions sont plus faciles à analyser.
Appuyons-nous sur
la loi de l’attraction sur les corps en mouvement exposée dans l’Empire de l’Air, page 210, et, malgré
qu’elle n’ait pas été acceptée par tous, nous en tirerons un bon parti, car,
malgré tout ce qu’on pourra dire d’elle, elle nous expliquera les phénomènes qui se passent
dans les corps qui se meuvent et concordera toujours
avec leurs évolutions [18].
Nous nous
établissons sur un fait précis, que tous connaissent ; c’est une base sérieuse
celle-là et nous disons que :
Un
aéroplane abandonné dans l’espace acquiert rapidement dans l’air calme un
mouvement de translation uniforme.
Je suppose que
tous connaissent l’aéroplane élémentaire en papier. Voici pour ceux qui
l’ignoreraient comment je le construis :
Dessiner sur une
feuille de papier ferme un carré long, soit : longueur 0ᵐ50, largeur 0ᵐ10
; coller sur un des grands côtés une bande de carton bristol de 0ᵐ015
de largeur.
Laisser tomber
cet appareil de quelques mètres de hauteur, mettant en bas la tranche qui
possède le bristol ; et étudier sa marche. Corriger l’irrégularité du mouvement
par un pli correcteur qu’on fait à la grande tranche libre. C’est un pli de 0ᵐ02
de largeur qu’on accentue ou qu’on efface jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une
marche régulière.
Sous l’action de
ce pli régulateur la tombée perpendiculaire est transformée dans l’espace de
quelques mètres de chute en une marche horizontale, ne baissant, quand
l’appareil est bien construit, que de dix degrés environ.
Ceci est le principe
de l’aéroplane charge
: en avant, procurant une chute en avant, chute qui est transformée par le pli
régulateur et le déplacement des centres de gravité et de pression en une
course horizontale.
On peut ensuite
essayer des formes diverses. Je me suis offert toutes les formes possibles,
depuis le triangle jusqu’au rond, et, dans les formes d’oiseaux, depuis le
carré parfait jusqu’à 25 : 1 ; type albatros exagéré. Toutes ces
formes ont fonctionné.
Si, au lieu de
faire voler cet aéroplane dans l’air calme, nous le faisons se mouvoir dans un
courant d’air, cette vitesse est diminuée de la vitesse du courant. Ainsi, nous avons un aéroplane fixe dont
l’ordonnée de vitesse utile est de 10 mètres de translation dans l’air calme,
si on le fait fonctionner dans un vent de 5 mètres de rapidité à la seconde, il
avancera contre le vent régulièrement, toujours, avec une vitesse de 5 mètres
tant qu’il y aura de l’espace devant et au-dessous de lui, avec un angle
régulier de chute minime : angle qui
est particulier à chaque appareil et en relation avec la perfection de sa construction.
Ce n’est point de la théorie... C’est de la pratique. Admettez ou récusez cette loi comme explication
de ce fait, il n’en reste pas moins une expérience précise. Au lieu de voir un
déplacement du centre de gravité, voyez-y un déplacement du centre de pression
de l’air sur l’aéroplane, le fait sera le même ; il n’y aura de changé que la
manière d’exprimer ce phénomène. J’ai été amené à le présenter sous cette forme
les considérations qui sont exposées au chapitre : Démonstration. Nous nous
nous trouvons en face d’un corps pénétrant le courant sans être muni d’appareil
propulseur. Répétez l’expérience avec un aéroplane bien fait, disposé pour
filer bien droit, et la démonstration se fera devant vos yeux, d’autant plus
régulièrement que la masse sera plus importante. Vous aurez un appareil mu par
la pesanteur, activé par l’attraction, qui vaincra un courant de 5 mètres.
Ce que nous venons de dire d’un courant
remonté de 5 mètres, nous pouvons l’appliquer comme explication à des
courants de 6, de 8, de 10, de 12 mètres, etc., en transformant l'appareil.
Si nous chargeons plus à l’avant,
le point d'équilibre entre sa chute
et le déplacement des centres
de gravité et de pression ne concordera qu'avec une vitesse plus grande ; alors
le courant d’air surmontable pourra être plus actif. Les 5 mètres de courant
remonté pourront être portés à 6, à 8, à 10, à x mètres, presque indéfiniment.
L’abatros semble
pouvoir pénétrer un vent de tempête de 25 mètres à la seconde; inutile de dire
sans effort, puisque c'est l’attraction qui le meut.
Au delà, les
aéroplanes métalliques indiquent des vitesses énormes: un aéroplane à ailes en
tôle et à corps de plomb, le tout du poids de 500 grammes et de 5 décimètres
carrés de surface, que j’ai expérimenté au désert, a produit l’effet suivant :
Abandonné d'environ cent mètres de
hauteur, au moyen d’un cerf-volant, il se meut avec une vitesse qui semble être
d'au moins cinquante mètres à la seconde. Il devient, par sa vélocité, un
appareil très dangereux dont il faut absolument se garer. Cet aéroplane, dans
sa marche, semble ne pas ressentir l’action du vent qui est de dix mètres
environ de vitesse. Voici donc ce qu'on pourrait appeler de l'aspiration au
premier chef.
Chez l'oiseau,
aéroplane vivant, à surface variable, l'explication varie suivant le cas.
Si l'oiseau, qui est
dans un courant d'air actif, ouvre trop les ailes, porte trop ses pointes en
avant, il est enlevé, transporté en arrière et retombe la queue la première.
Jamais l’oiseau ne fait cette
manœuvre, si ce n’est quand il se bat ; alors elle est intentionnelle.
Quand l’oiseau
dispose son aéroplane les pointes légèrement en arrière, d’une quantité
exactement précise pour équilibrer la vitesse de l’air, il reste alors
immobile. C’est le fait de l’oiseau
de proie noble,
qui étudie le gibier avant
de plonger sur luit : crécerelle,
pèlerin, aigle. Dans cet acte on remarque un mouvement constant de transport du
centre de gravité. Les ailes s’ouvrent et se ferment d’une quantité minime,
c’est vrai, mais cependant avec une célérité remarquable qui étonne. En voyant
un aigle, qui est gros, qu’on étudie facilement, s’immobiliser dans le ciel, on
voit qu’il n’y a pas une seule seconde sans déplacement de la pointe des ailes.
Cela démontre l’irrégularité de la vitesse de l’air. Si le courant était
régulier, il aurait vite fait de trouver le point juste de son équilibre :
angle suffisant, légèrement exagéré pour détruire le traînement, et l’affaire
serait faite. L’aigle resterait immobile et les pointes de ses ailes le
seraient aussi ; mais l’air a des vitesses qui varient, d’après ce que le bout
des ailes de cet oiseau nous raconte, à chaque seconde, et c’est pour suffire à
l’équilibre de chaque instant qu’on le voit produire ce travail qui doit être
d’une extrême difficulté. Au reste cette immobilité dans l’espace n’est produite
que par une seule famille d’oiseaux ;
on pourrait même dire qu’elle n’est bien exécutée que par les individus de cette branche
qui pèsent au moins 2.500
grammes. Ceux qui ont moins
que ce poids ne la réussissent pas bien ; ils mélangent au planement de
nombreux battements. C’est, en somme, une manœuvre peu usitée de la gent ailée.
Maintenant, si
l’oiseau met ses pointes en arrière d’une quantité supérieure à celle qui est utile pour équilibrer la vitesse du
courant aérien, il le pénètre.
C’est le cas qui nous occupe, c’est l’aspiration. On peut donc considérer dans ce cas le
courant d’air comme nul et l’oiseau animé d’une vitesse faible qui est cet
excédent.
On saisit bien cela. Ce que
nous venons d’énoncer est facile à comprendre.
Il nous reste
maintenant à expliquer l’absence de chute chez les aéroplanes animés ;
explication qui, malgré qu’elle sorte du sujet, est bien en place ici.
Cet acte est
relativement simple :
L’oiseau qui
remonte le courant dispose son aéroplane pour choir avec une vitesse plus
grande que n’est rapide le vent qu’il pénètre : ainsi, s’il a un courant de dix
mètres à vaincre, il disposera ses ailes de manière à aller, si le
temps était calme, avec une vitesse de
quinze
mètres ; dix mètres de vitesse sont détruits par la force du vent, il lui reste
donc une vitesse utile, propre de cinq mètres, qui est celle qu’ont
ordinairement le milan en chasse, la
mouette suivant un vapeur.
A cette allure,
l’oiseau baisse, tombe, choit d’un angle de 10 degrés environ. En y
réfléchissant on voit que c’est peu ; mais il n’en faut pas moins pour qu’au
bout d’un certain parcours, assez difficile à calculer, il ne soit arrivé à
terre. Il n’en est rien cependant.
L’oiseau est un aéroplane
animé, non seulement mobile, parfait comme construction, mais encore
suprêmement adroit ; il se sert de son adresse pour vaincre l’attraction. Il
met en lutte cette terrible force avec une puissance qui est plus forte qu’elle
dans l’espace : avec le vent.
Que fait-il ?
Quelles sont ses manœuvres ?
Bien peu de chose
; tellement peu, qu’il faut être presque initié à la science de l’oiseau pour
le voir. Il a ordinairement recours au moyen suivant : une pression donnée par
la queue qui imprime une direction à l’aéroplane, le change de plan, transforme
sa chute en translation horizontale ou ascendante. Cette pression est très
souvent indiscernable ; cet effort de l’appareil caudal ne peut se voir. Quand
l’oiseau n’a pas de queue nous avons déjà
vu qu’il remplace son action par la suivante, qui, elle, est parfaitement
visible : transport en avant ou en arrière de son centre de gravité ; en
avançant ou en reculant les pointes de ses ailes. En les avançant, il retarde
son vol et s’élève ; en les reculant a l’arrière,
il l’accélère et tombe.
L’oiseau ne borne
pas là son adresse ; pour se sustenter, pour remonter à l’altitude moyenne de
son vol, il utilise toujours les grandes ondes rapides du vent. Dans l’instant
du passage de cette onde l’avancement est laborieux ; il serait peu judicieux
de chercher à la pénétrer naïvement à moins d’y être forcé. L’oiseau qui vole pour voler, pour chasser, pour guetter l’occasion, pour stationner
toujours en l’air, comme le milan par exemple, utilise l’action active de cette
onde pour remonter à la hauteur où il se tient ordinairement. Ces actes de pénétration du courant sont-ils
ce qu’on nomme l’aspiration ?
Il semble presque que oui.
En tous cas ces explications doivent
satisfaire comme mécanique.
Comme mécanique : les lois de l’attraction ne sont violées que
par le vent.
Voici donc ce
qu’on nomme généralement l’aspiration expliquée : l’oiseau pénétrant le vent,
poussé contre lui par une force qui était inconnue et qui se trouve être tout
simplement l’attraction.
Voyons maintenant quelques cas difficiles :
Ceux qui
observent — hélas, ils sont bien rares — ont tous vu sur mer le spectacle
charmant mais tout à fait incompréhensible des goélands et des mouettes suivant
un paquebot, réglant leur vitesse sur la sienne, ne montant, ni ne descendant,
se tenant à la hauteur constante de 8 à 10 mètres de l’arrière du bateau et le
suivant, des heures entières, sans donner un seul coup d’ailes.
Où ces oiseaux
trouvent-ils la réparation de la chute inévitable ? Comment détruisent-ils cet
angle de dix degrés avec lequel il faut choir fatalement tout perfectionnés
qu’ils sont ?
L’aéroplane
mouette règle l’angle de ses ailes de manière à filer tant de nœuds qui sont la
vitesse du bateau à laquelle elle ajoute, par un calcul intuitif, la vitesse du
vent. A cela elle joint de temps en temps, une correction fournie par le
relèvement de la queue et un petit avancement des ailes, et elle parvient, par
ce moyen, à suivre un bateau avec précision. Mais nous devons dire, que
l’opération est tellement bien faite, qu’il faut avoir déjà trouvé la solution
du problème, par les yeux de l’intelligence, pour que les yeux du corps
puissent arriver à discerner ces manœuvres.
Et cette autre évolution
bien plus extraordinaire encore : l’oiseau s’élevant contre le vent, non à la façon du pandion, mais au
contraire lentement, sans présentation de plan sensible.
Le tour de main,
dans ce cas, réside dans la dissimulation, extrêmement adroite, de l’utilisation
de l’onde irrégulière du vent. Dans le pandion l’emploi du coup de vent est
visible, dans l’aigle, elle est enveloppée, dissimulée au point de n’être
presque plus discernable. Pour la cacher, il semble qu’il lui suffise de ne pas
épuiser complètement cet apport d’ascension que lui apporte le coup de vent. Il
conserve, par devers lui, une somme d’élancé qui sert à adoucir les angles de
la ligne qu’il poursuit, ce qui fait qu’au lieu de produire une série d’angles,
c’est par une droite, ou au plus par une ligne ondulée, qu’on devrait
reproduire graphiquement cet exercice.
Ce non épuisement
complet de l’élancé est très souvent employé par les oiseaux d’une masse
importante. Les oiseaux légers connaissent aussi ces effets de l’emmagasinement
de la vitesse acquise, mais leur faible poids atténue tellement l’économie de
cet exercice que l’oiseau y renonce la trouvant inutile.
Lorsqu’on se
rémémore les évolutions des voiliers lourds, on s’aperçoit que, si cette
manœuvre n’est pas aussi bien faite que celle produite
par l’aigle, c’est-à-dire dans toute la pureté de la démonstration, puisqu’il
la commence sans élancé, elle est exécutée, au contraire, très souvent en plein
vol. Le type de cet exercice est l’oiseau de mer qui, de l’arrière du bateau, à
hauteur du pont, arrive à l’avant en passant par dessus le grand mât : haut
fait auquel se livre assez souvent le goéland, mais qui est surtout le triomphe
de l’albatros. Il est de fait que ce singulier planeur rapide a tout ce qu’il
faut pour produire cet acte de vol dans toute la perfection.
Les gens de mer racontent si souvent ce tour d’adresse de
l’albatros que cela nous indique plusieurs choses : la fréquence de l’acte, la
pureté de son exécution, enfin l’étonnement qu’il cause aux marins et surtout
l’impossibilité où ils sont de se l’expliquer. Ce sont les marins des navires à voiles qui sont les plus explicites dans la narration. Ils ont dû avoir ce spectacle
plus longtemps sous les yeux que leurs confrères des bâtiments à vapeur. Il est
assez naturel de penser que ce rustique habitant des mers n’est pas encore
complètement habitué à la fumée des paquebots, tandis que l’allure tranquille
d’un gros voilier filant sans bruit lui inspire une plus grande confiance. Ils
sont unanimes sur ce point, c’est que plus le temps est gros, plus il y a
d’albatros ,et plus ils approchent des bâtiments. L’ascension du grand mât est le cliché
régulier de tous leurs récits.
Ce qui
frappe surtout
les observateurs sérieux
c’est de voir cet oiseau,
dans certains cas de marche contre le vent, avoir une vitesse
si exactement égale à celle du bateau qu’ils semblent être immobiles. Ce serait
d’après eux, à les prendre à la main si on avait le bras assez long.
Les mouettes et
goélands fournissant cet exercice sont déjà bien intéressants ; quel spectacle
doivent donc offrir ces énormes moutons du Cap dont certains exemplaires n’ont
pas moins, à ce que l’on dit, de 4 mètres d’envergure
Maintenant si l’on songe que la largeur de l’aile, d’après
les oiseaux empaillés, n’est que d’environ 0 m. 20,
on voit qu’on se trouve en présence d’une construction tout à fait spéciale,
malheureusement pour l’aviation presque inconnue et qu’il serait du plus grand
intérêt d’étudier à fond.
C’est une proportion
de 20 : 1, tournure absolument étrange qui ne se retrouve plus dans la
création que dans la frégate, autre volateur qu’on n’a fait qu’entrevoir.
L’excès de
vitesse emmagasiné est-il absolument nécessaire pour produire cet exercice
étonnant ?
J’incline à penser que non et voici l’explication que je
pourrais en donner. Quand un maître voilier à ailes étroites veut produire
l’ascension du grand mât il ne prend aucun élan
: du moins c’est ainsi que j’ai vu les goélands procéder, et leur maître
l’albatros ne doit pas faire moins.
Je dis donc qu’il n’y a pas d’élan pris et que cependant l’ascension s’exécute
dans la perfection. Cette montée
excessivement lente contre le vent permet, par
sa longue durée, à quelque provision d’élancé qu’on puisse évoquer, de
s’éteindre un bon nombre de fois, et cependant elle est exécutée. La
première fois qu’on voit cet exercice c’est à brouiller tout raisonnement, à
confondre toute intelligence. Je parle
seulement du goéland que j’ai vu des jours entiers s’amuser à passer par dessus
le navire. On voit cet oiseau, qui suit le vapeur à hauteur moyenne des
misaines, s’élever avec une hauteur régulière, mettre au moins cinq minutes
pour atteindre le sommet des mâts, dépasser peu à peu le bateau et aller le
précéder, toujours lentement, puis revenir se ranger finalement à l’arrière
avec les mouettes : position qui est excellente pour surveiller ce qu’on
rejette du bateau.
Il faut
absolument renoncer, dans ce cas, à mettre sur le compte d’une provision de
vitesse emmagasinée cette ascension extraordinaire. Le temps employé est
infiniment trop lent pour que l’inertie ne se soit épuisée, le vent est trop
actif, la masse de l’oiseau est trop minime, malgré la perfection de sa coupe,
pour pouvoir songer à trouver là une explication satisfaisante. Il n’y faut
donc pas penser si on veut être sensé. Trouver autre chose est difficile. Il ne
rester que cette explication qui est basée sur la loi que j’ai émise.
Je dis donc
fermement que le planeur rapide, parfaitement doué au point de vue de l’absence
de traînement, qui, par le fait de l’étroitesse de ses ailes, coule sans
résistance sensible dans le vent, doit pouvoir consacrer une partie de sa
vélocité à s’élever lentement. Ainsi le vent et la marche du navire ont 15
mètres de vitesse, son aéroplane est réglé pour aller à 20, soit donc 20 mètres
de vitesse propre à son individu. Il en transforme 4 en ascension, et en garder
1 pour dépasser lentement le vaisseau.
C’est donc, cette fois, non seulement
l’aspiration, mais l’aspiration aggravée
d’une ascension.
Nous arrivons à constater qu’il n’y a de faux dans l’aspiration que cette appellation
« aspiration ».
Ce phénomène de pénétration simule, à s’y méprendre, une
aspiration ; elle a pu tromper
M. de
la Landelle qui a créé ce mot ainsi que beaucoup d’autres de cette science ;
mais elle ne supporte pas une analyse serrée[19].
Au moyen du
transport à l’avant du centre de gravité, obtenu mécaniquement par la
déformation de l’aéroplane, par la mise à l’arrière des pointes des ailes, on
arrive à équilibrer tout courant d’air, même celui auquel est exposé un grave
dans sa chute dans l’espace. Les faucons et les aigles qui plongent ne se
relèvent, arrivés à fin de chute, qu’en utilisant ce déséquilibrement : un
simple petit changement de place du centre de gravité, qui est porté légèrement
en arrière, transforme la tombée en remontée, et ils n’emploient que cette
simple manœuvre. L’aigle a des plongeons de deux cents mètres de hauteur : il
commence à se retourner à dix mètres du sol, touche terre du bout des griffes
pour enlever sa proie, et remonte avec une vitesse à peu près semblable à la
descente.
Dans cet examen
difficile, il n’y a que l’attraction et le déplacement du centre de gravité qui
soient utilisés ; à plus forte raison dans le cas de la simple pénétration d’un
courant, fait qu’on nomme
improprement aspiration.
Pour résumer
l’exposé de cette question, nous pouvons dire, sans nous avancer ni violer
aucune loi de la physique, que : 1° Sur les corps solides, la contrepression est d’autant plus égale
à la pression que le corps s’approche plus de la forme sphérique et possède une surface qui offre moins de prise au
courant d’air......
Il a été souvent parlé
de ce genre de courant d’air. On a mis sur son compte beaucoup d’explications
qui, sans lui, seraient restées en détresse. Il est, au reste, d’un emploi
commode dans le vol plané,
car il simplifie tout. Avec le courant
ascendant, il n’y a plus de
difficulté d’ascension. Donnez-lui une certaine puissance et tout monte en
l’air, même les pierres, même les toits des maisons.
Il n’a qu’un
défaut, c’est d’être d’une rareté désespérante.
Effectivement, il ne
peut se produire que dans quelques cas.
Un flanc de
montagne contre lequel le vent frappe et s’échappe par le haut.
La trombe produite
ordinairement par la rencontre de deux couches d’air se mouvant en sens
contraire, mais aussi d’autres fois sans cause appréciable.
Enfin, les grands
phénomènes aériens, comme le courant circulaire qui transporte l’air froid du
pôle à l’équateur et vice versa :
mouvement trop vaste pour pouvoir servir aux oiseaux.
De ce genre de
courants, les plus petits sont seuls utilisables dans le vol plané. Je n’ai
jamais vu un oiseau s’approcher de la trombe,
même de ces petites colon- nes du désert qui n’ont quelquefois que cinquante
centimètres de diamètre.
Ces tourbillons
minuscules sont un phénomène aérien bien curieux. Ayant été forcé de beaucoup
pratiquer le désert, je puis en parler savamment, en ayant vu bien des
centaines.
Certains jours
d’été, jours tout aussi immuablement bleus que les autres, on voit les trombes
se former. Qui les produit ? Malgré mes bons yeux, je n’ai pu ni voir, ni
saisir la cause qui les détermine. Le temps est à l’éternel beau fixe : pas un
nuage dans le ciel, le vent est moyen, la température est celle de l’été, ni
plus forte, ni plus basse que les autres jours ; en somme rien en climatologie
ne permet d’assigner une cause sensée à la production de ces tourbillons ; et,
cependant, il s’en élève en grand nombre. J’en ai vu souvent cinq ou six
ensemble sur seulement le quart de l’horizon. Elles ont lieu généralement sur
le sol du désert ; rarement sur le sol cultivé.
Voici comment
elles apparaissent. On voit d’abord
un petit filet
de poussière s’élever
du sol, son diamètre est souvent très minime, un décimètre seulement. Le
mouvement giratoire est très vif. La
poussière ne s’élève qu’à quelques mètres, puis, le cône d’aspiration
s’élargissant, ce sable s’éparpille et n’est presque plus visible. En quelques
instants la colonne grandit en hauteur et grossit, et, un quart d’heure après
son apparition, la trombe est en
pleine activité. Elle a alors de un à cinq mètres de diamètre et une hauteur
qu’on peut estimer souvent à beaucoup plus de mille mètres, ce qui est peu de
chose dans ce ciel bleu sans fin.
Les contours de
ces tourbillons sont d’une netteté surprenante, ce n’est plus de la poussière
qui monte, c’est une colonne de sable et de graviers, souvent gros comme des
pois, qui s’élève dans l’atmosphère. La vitesse réelle, c’est celle d’un homme
qui marche. La durée de l’ensemble du phénomène est d’environ une demi-heure.
Je me suis
offert ce coup de vent.
Passant un jour près d’une de ces petites
trombes, je me dirigeai sur elle. Ma monture ne voulut rien entendre, je fus obligé
d’y aller à pied malgré les supplications de mon saïs qui croyait que j’allais
être enlevé.
Son action fut
très vive ; je fus à moitié déshabillé. Mon parasol que j’abandonnai au moment
où il allait se retourner fit seul l’ascension. Je Le vis monter à plus de
cinquante mètres, là il abandonna le courant et retomba à terre sans être
détérioré. Je n’ai reçu aucun coup de foudre,
ni ressenti la moindre action d’un courant
électrique ; mais je dois dire
que,
malgré la bénignité de l’effet produit, si cet air en mouvement avait rencontré
les grandes surfaces d’un aéroplane, il aurait assurément brisé l’appareil.
J’ai eu aussi l’occasion
d’étudier les trombes marititmes.
Là, le phénomène
est autre, il est explicable. On voit les nuages ; les vents contraires peuvent
être invoqués.
C’est un
splendide spectacle !
Un jour, le
vapeur sur lequel j’étais, s’est trouvé, par le travers des Baléares, entre
trois de ces immenses colonnes d’eau qui remontent la mer dans les nues comme
d’énormes siphons. Le ciel était couleur d’encre, la mer d’un calme presque
plat semblait phosphorescente ; le vent nul cependant, mais l’électricité était
affolée. En haut, les sombres nuages se heurtaient dans toutes les directions ;
Les éclairs se succédaient sans arrêt sous cette voûte noire sous laquelle nous
allions nous engager ; et ces trois terribles voisins rôdaient autour de nous.
L’une d’elles, celle que j’ai pu le mieux voir devait avoir au moins dix mètres
de diamètre dans sa partie la plus mince. Elle passa à moins de cinq cents
mètres de nous. A cette distance on voyait et on entendait le bouleversement de
l’eau attirée par cet épouvantable aspirateur.
Heureusement nous
ne l’avons pas vue de plus près.
Restent les
petits courants ascendants artificiels, c’est-à-dire produits par la
configuration du terrain.
Un beau spécimen
de ce genre de courant est juste situé en vue de mes fenêtres. Le perchoir des
vautours, dont j’ai déjà parlé, est une immense carrière demi-circulaire, ayant
des parois verticales de cinquante à soixante mètres de hauteur. Une lunette
des anciens télégraphes est braquée à poste fixe sur ce point ; je n’ai donc
qu’à enlever l’obturateur pour être transporté par le grossissement assez près
du perchoir pour ne rien perdre de ce s’y passe. Voici ce qu’on y voit quand le
vent du nord-est souffle fort.
Tout oiseau qui vole dans cette moitié de cirque semble être changé en ballon ; il produit
l’ascension sans le vouloir. Il n’a plus à lutter contre l’attraction, mais
contre le courant ascendant, et s’il a l’intention de ne pas s’élever il est
forcé de plier fortement les ailes.
Si on va étudier
de près cette action particulière du vent et qu’on se place au sommet de la
carrière, le spectacle devient souverainement intéressant. La raison reste
confondue par la vue de ces ascensions aérostatiques des énormes vautours qui
montent devant le spectateur comme autant de ballons.
L’oiseau sait deviner
ces courants, cela se voit ; il a la prescience des mouvements de l’air, aussi
se livre-t-il avec plaisir à cet ascenseur dès qu’il a à monter.
C’est un bien
étrange spectacle assurément, mais je l’ai déjà dit, il n’a lieu que par le
nord-est ; par tout autre vent le phénomène n’a pas lieu, et par le vent du sud
c’est au contraire un courant plongeant qui se produit.
Les actes
d’ascension décrits dans le Vol sans
battement et dans le Vol des voiliers[20] n’ont
rien à faire avec ce genre de courant. Dans les pays montagneux, on peut, à la
rigueur, arguer de leur présence,
mais en plaine, mais en mer, on ne peut y avoir recours
qu’en
supposant une trombe ou une aspiration d’en-haut : faits aussi rares l’un que
l’autre et qu’on doit abandonner si on veut rester dans les limites de la saine
raison. Au reste, ces ascensions des
grands voiliers faites en pays de montagne sont souvent si élevées qu’on a
conscience qu’à l’altitude où se trouve l’oiseau, un pareil courant est éteint
depuis longtemps.
Le courant
ascendant peut donc être considéré comme un accident excessivement rare.
La pénétration
envisagée dans cette étude est la faculté qu’a un solide de pénétrer l’air ou l’eau, voire même la terre meuble.
Cette propriété repose sur diverses
dispositions du corps
pénétrant. Pour les oiseaux qui nous occupent spécialement elle réside
dans :
La nature plus ou
moins parfaite de sa surface qui lui permet de glisser avec plus ou moins de
succès dans le milieu aérien ;
La forme plus ou moins heureuse
comme pénétration de l’ensemble du corps ; Enfin, la disposition particulière de la
coupe des ailes.
Avant d’étudier
ces diverses dispositions, nous remarquerons que l’importance de la masse est un
apport sérieux qui agit d’une manière remarquable par sa seule présence.
La façon
particulière dont est organisée la surface d’un solide est un facteur important de sa faculté de pénétration. Ainsi, un
clou rouillé ne pénètre pas le bois comme un clou lisse et graissé.
Certaines
substances ont une réputation de glissement qui est connue des masses : le
savon, le coldcream, le blanc d’œuf, la peau de pêche, etc., etc.
En marine, où
cette propriété de la matière devrait être étudiée à fond, on semble, malgré son importance, la négliger
beaucoup trop. Cependant les gens de mer ne sont pas sans avoir observé qu’une
coque qui sort du bassin de radoub fait à vitesse égale une économie importante
de charbon, que le bois de chêne file mieux dans l’eau que le sapin, que le
teck et l’acajou leur sont supérieurs, que le cuivre non peint court mieux que
le fer. Quelques-uns d’entre eux se sont même aperçu que certaines peintures
procurent quelques heures d’avance dans les traversées d’une certaine longueur, toujours à dépense
de charbon égale et à temps
similaire.
On a cherché à
rendre la coque des bateaux glissante ; pour cela, on a essayé le pétrole,
l’huile et même l’air, qui,
lancé à l’avant par une
quantité d’ouvertures, fait
que le bâtiment
roule
sur des globules d’air et doit voir son traînement diminué. Ces divers
procédés, faute de résultats bien précis, ont été délaissés.
Toutes ces
remarques et tous ces essais nous montrent que nous avons affaire à une
question importante. Voyons donc comment s’y prend le grand maître quand il
veut économiser la dépense de force et par cela même procurer la célérité.
Chez les animaux
qui ont à se mouvoir dans la terre, nous remarquons deux faits qui leur sont particuliers. D’abord une forme
spéciale, toujours la même, qu’ils soient d’une échelle ou d’une autre des
êtres, et une faculté de glissement excessive.
La forme est le
cône à l’avant et le cône à l’arrière : vers de terre, souris, taupe, etc. Chez ce dernier
animal, le sens d’effilement, qui ne permet aucune renflure,
est tel qu’il lui a atrophié
les os du bassin : la taupe ne produit pas ses petits comme le reste des
mammifères ; chez elle, l’opération césarienne s’effectue toute seule à chaque
portée.
Maintenant,
observons la nature de la surface de ces êtres à vie souterraine. Comme
glissement, qui n’a amorcé sa ligne sans avoir vu le ver de terre lui glisser
des doigts ? Pour la taupe, il n’y a
pas de fourrure à lui comparer sous le rapport de cette propriété ; les peaux
de phoques et de lions marins sont bien loin de compte : aussi l’emploie-t-on
pour garnir l’intérieur des sarbacanes, arme dans laquelle, ne pouvant
augmenter la pression, on cherche à éviter, autant que faire se peut, le
frottement du projectile. Si nous envisageons les animaux qui se meuvent dans
l’eau, nous voyons qu’ils sont entourés d’une huile particulière qui a une
propriété de glissement excessive. Témoin l’anguille qu’on ne peut conserver
dans les mains malgré les plus grands efforts.
On peut, au reste, s’en rendre compte en faisant l’expérience suivante qui m’a donné des résultats curieux :
Prendre un de ces
petits bateaux à vapeur, jouet d’enfant — du moins c’est comme cela que je l’ai
expérimenté — à mouvement d’horlogerie actionnant un propulseur quelconque ; lui faire traverser par un
temps calme une pièce d’eau : noter le temps employé ; puis, l’essuyer et
graisser sa coque avec l’huile qu’on obtient en râclant légèrement les côtés
d’un brochet vivant. Si on compare entre elles les deux courses, on trouve une
différence que je ne préciserai pas, parce que cette expérience date de loin,
mais, qui, de souvenir, est très intéressante.
Donc, avis aux canotiers,
de remplacer la graisse dont ils oignent leurs embarcations de course par de
l’huile vivante de carpes ou de tanches, poisson qu’on peut se procurer
facilement en grande quantité.
L’être aquatique
au sein de la masse liquide est exactement dans les mêmes conditions que
l’oiseau dans le milieu aérien. Toutes les conditions sont identiques ou
parallèles : courant, contre-courant, état statique du fluide, tout est
semblable, moins toutefois la densité et l’élasticité. Ces deux corps, l’air et
l’eau, ont été considérés par la Nature comme
semblables au point de vue de la pénétration. Elle s’est servi des mêmes moyens
pour procurer le glissement. C’est l’huile qui a été employée : l’huile des
poissons et des cétacés, graisse huileuse des oiseaux, qui dans l’eau les isole, évite le contact, les empêche
en un mot de se mouiller. C’est l’enveloppe gazeuse
qui nous est indiquée là : c’est
un avis à noter.
Sur la forme spéciale
adoptée, il y a ressemblance aussi grande que peut le permettre la différence
énorme de poids de ces deux milieux. Dans tous deux, la coupe des nageurs
rapide est la même : thon, dauphin,
grand-manchot et colymbus major ; poisson, mammifère et oiseau ; l’oiseau qui
ne vole pas, parce qu’il n’a pas d’ailes et celui qui au vol est le plus rapide
de tous. Elle ne s’est pas occupé de la classe des êtres, peu lui importe !
Pour pénétrer
l’eau ou l’air avec le summum de rapidité, il faut la disposition suivante : un
cône long juxtaposé sur un cône court. Tout a plié devant ce besoin. Le
mammifère, le poisson et l’oiseau se sont moulés sur cette forme particulière.
Il est un fait
curieux, c’est que les animaux les plus véloces dans l’eau ne sont pas les poissons,
mais des mammifères et des oiseaux. Le phoque vit de poissons ; il ne les prend
pas par surprise, donc, il nage mieux que la plupart d’entre eux. Etudiez le
lion marin (pelagius monachus) dans
une eau transparente, et vous serez devant un magnifique spectacle. La rapidité
est telle qu’elle vous semblera indispensable ; vous regarderez une seconde
fois, pour vous persuader que vous avez bien vu et que cette masse noire qui a
passé avec la vitesse de l’éclair est bien le corps du lion marin. L’eau n’a
pas frémi, vous avez seulement vu passer une ombre tellement rapide que votre
intelligence n’admet pas le fait. Il faut revoir pour croire.
On comprend, en
les voyant se mouvoir avec cette vélocité qu’on était bien loin de soupçonner,
la possibilité des abordages extraordinaires que produit en se jouant cet
amphibie. C’est ce qui explique leur présence sur de véritables perchoirs
inabordables par terre, élevés souvent de trois et même quatre mètres. Le lion
marin part de l’eau profonde et franchit dans l’air ces quatres mètres de
hauteur. Jugez d’après ce tour de force du sort réservé au poisson qu’il
poursuit.
Plus un animal
est fin nageur, moins il remue l’eau, moins il y a de remous, de force perdue.
Etudiez à ce point de vue l’hippopotame, comparez le peu de mouvement qu’il
communique à l’eau à la nage d’un chien. Ce dernier fait plus de bruit,
d’écume, de bouillonnements, que l’énorme pachyderme. J’ai vu des hippopotames
au-dessus d’Assouan, il y a vingt et quelques années ; ce qui les décelait,
c’était leurs ronflements et leurs cris épouvantables qu’on entend de plusieurs
kilomètres, mais quant au mouvement de l’eau remuée par leur masse, il était
nul. Ces monstres nagent aussi silencieusement que le grand-duc vole.
Il en est de même
des bateaux ; on peut juger de leurs qualités de marche au peu de mouvement
qu’ils impriment à l’onde. Le mauvais marcheur éclabousse l’eau à l’avant et
produit à l’arrière de grandes ondes qui le suivent ; le bon marcheur file
silencieusement, sans laisser de sillage
Pour l’oiseau qui
est notre sujet d’étude, nous ne parlerons pas de celui qui pêche au vol et qui
surprend sa proie quand elle approche de la surface, grâce à la rapidité
incomparable de sa chute,
mais au contraire d’une catégorie qui prend le poisson en le poursuivant en
pleine
masse liquide, et cela avec succès, puisqu’il en vit. Ces oiseaux ont même cela
de particulier qu’ils ont un goût prononcé pour le genre scombéroïdes ; ils
n’ont donc pas peur de la difficulté.
Ces nageurs extra-rapides ne brillent pas par le vol. Leurs ailes sont des nageoires
dont ils ne se servent
même pas quand ils courent
le poisson ; elles sont alors
plaquées contre le corps, afin de ne pas gêner la pénétration ; les pattes et
la queue sont les seuls propulseurs qui entrent en mouvement, et cette action
est tellement puissante, la coupe de l’être est si perfectionnée, que la
bonite, ce roi des rapides, est prise en pleine course, malgré ses bonds
prodigieux, hors de l’eau, qui ont souvent plusieurs mètres d’amplitude : le grand manchot bondit comme elle et la capture en pleine action de vitesse.
Cette tribu
d’oiseaux, les aptenodytes, ne peut être
étudiée en Europe ; ils habitent l’hémisphère Sud. Le côté nord de notre globe
a des nageurs, rapides de ce genre qui, malgré qu’ils soient bien moins
brillants d’allure, sont cependant encore tout à fait extraordinaires sous ce
rapport. Ce sont : les guillemots, macareux, pingouins, imbrins, enfin le
cat-marin (colymbus septentrionalis),
que j’ai possédé et étudié. Cet oiseau dans un
bassin, est étourdissant, il plonge comme un poisson et nage bien mieux que
lui.
La ville de Genève
s’était offerte, il y a quelques années, des cormorans, qui sont des plongeurs
remarquables. Ces oiseaux devenus très familiers pêchaient sous les yeux des
spectateurs dans ce cristal bleu qui fait le Rhône. Des ponts et des quais, on
pouvait suivre toutes leurs évolutions et assister à leurs pêches ; pas un de,
leurs mouvements n’était caché. Cette transparence fut leur perte.
Les Genèvois
remarquèrent qu’ils vivaient spécialement de truites ; et ce poisson est sacré
à Genève ! Ces brillants pécheurs furent donc proscrits : on s’en débarrassa.
Mais comment s’y prenaient-ils pour s’emparer d’une truite en pleine eau ?
Quand ce poisson part, il a la rapidité de la foudre : l’œil ne peut le suivre.
Il disparaît et ne redevient visible que quand il est immobilisé, alors, c’est
le repos tellement absolu qu’il faut la plus grande attention pour ne pas le
confondre avec les pierres du fond de la rivière.
On voit donc que
la tournure allongée en cigare n’est nullement la forme que procure la célérité
; témoin les serpents, l’anguille, la flèche et tous les poissons longs qui
sont de faibles nageurs.
Les chercheurs de
coupe de bateaux, flotteurs et sous-marins font fausse route en donnant à leurs
œuvres cette disposition en longueur qu’ils croient la meilleure. Ils partent
de ce principe qui semble logique à première vue qui est que le poisson nage
bien. C’est le pendant de cet aphorisme : l’oiseau vole parfaitement. Ces deux
principes sont, moins de rares exceptions, absolument faux !
L’oiseau quelconque vole toujours exactement bien pour pouvoir
exécuter les besoins
de son alimentation et de sa vie particulière ; il est toujours une
merveille sous ce rapport ; mais si on envisage le côté défense, il est bien
loin de compte. Ainsi, il est certain que si
les gallinacés, les petits oiseaux, en général, étaient des merveilles
de construction ils ne serviraient pas d’aliment aux rapaces nobles. Si un
étourneau par exemple qui vole du vol moyen des êtres ailés, volait encore
mieux, il ne se laisserait pas capturer par le faucon au beau milieu des airs
sans essayer de se défendre. Le pèlerin, dans cette chasse, n’a pas plus
d’embarras pour le prendre que nous n’en avons pour cueillir une fraise ; il arrive avec sa
célérité épouvantable sur le pauvre oiseau isolé, paralysé par la peur et la malheureuse bête n’essaye pas même d’un seul crochet
pour éviter la mort.
Donc, les oiseaux
en général volent mal : songez à la poule devant l’aigle, à la caille, à
l’alouette devant l’émerillon ou l’épervier, etc. ; d’un autre côté voyez la
quiétude de l’hirondelle ou du martinet, ou encore mieux,
de cette pauvre
désarmée du bec et des pattes
que nul rapace n’a songé, même en rêve, à capturer : je veux parler de la
bécassine, ce projectile qui bondit dans l’espace avec une vélocité
stupéfiante.
Chez les
poissons, c’est le même cas. Tous nagent dans la perfection pour suffire à
l’alimentation, mais pour lutter contre les espèces voraces il est démontré à
tous les mangés qu’ils sont des
impotents : et les mangés sont la très grosse phalange ; on pourrait dire sans
exagération tous moins un.
Mais ce un en
lui-même est-il une merveille incomparable comme vitesse, n’a-t-il pas d’ennemi
plus rapide encore que lui, n’est-il pas mangé à son tour, et par qui ?
Et cependant, ces
derniers mangés, ce sont la traite des lacs, le saumon des fleuves du Nord,
pêché à la course malgré ses sauts prodigieux. Ce sont les perches rapides, les
brochets féroces, enfin tous ceux qui dévorent les autres. En mer, ce sont les
maquereaux, les harengs et cet éclair
qui se nomme la bonite
(scomber sarda). Le roi des destructeurs de tous ces mangeurs de poissons est le grand manchot. Tous les
autres, plongeons, gorfous, sphénisques et pingouins divers s’inclinent devant
ce maître véloce.
C’est donc ce
nageur extra-rapide qu’il faut prendre comme modèle de célérité.
Il n’y a pas à
errer, un simple moulage de l’oiseau sera plus précieux au constructeur de
bâtiments que toutes les spéculations qu’on pourra échafauder sur ce sujet.
Toutes ces
digressions sont là pour nous amener à la question qui nous intéresse
spécialement : la pénétration de l’air.
Ne cherchons
rien, n’inventons rien, ne nous creusons pas la tête inutilement ; tout est
trouvé, les modèles sont tellement abondants que le seul embarras que nous
ayions est celui de bien choisir
notre sujet d’étude.
Les petits êtres
chez lesquels nous voyons apparaître le pouvoir de voler n’ont presque pas à envisager cette question. La rapidité est peu de chose pour eux. L’aile les élève plutôt
qu’elle ne les transporte, témoins les petits coléoptères, les moustiques, etc.
Là, point de disposition spéciale pour obtenir la rapidité ; aussi est-elle à
peu près nulle.
A mesure que
l’être ailé grossit, à mesure cette fonction croît et devient de plus en plus
prépondérante ; voyez les mouches, les abeilles, les phalènes, sans parler de
ce sous-ordre d’insecte à vol lent, l’immense famille des, papillons.
Si nous abordons
la classe des oiseaux, le vol s’allonge avec l’augmentation de la masse, mais nous remarquons aussi que la
nature de la surface a aussi une grande importance. L’oiseau va, comme plumage,
de la surface pulvérulente à la surface grasse : canaris, gallinacés poudreux,
à vols lents, à comparer au martinet presque gluant qui pue l’odeur
particulière de sa graisse lubrifiante.
Pour se bien
persuader de l’action de la nature des surfaces sur les oiseaux on n’a qu’à
prendre deux oiseaux morts, autant que possible de vol rapide, semblables
d’espèce et de volume ; soit deux pigeons du même poids. Lier l’un avec des
fils dissimulés sous les plumes ; mettre l’autre dans la même position, mais
enveloppé de mousseline. Les laisser tomber à terre d’une certaine hauteur et
voir de combien le premier arrive à terre avant le second.
Pour les
aéroplanes, cette question, quoique ne primant pas, aura cependant besoin
d’être étudiée ; elle permettra
la pénétration, et par cela même la sustentation. Le bénéfice
de vitesse équivaut à un bénéfice de sustentation, à une facilité de se faire
porter, par conséquent à une diminution de surface possible ; fait qui est
d’une importance capitale puisqu’il amoindrit l’écueil de l’aviation qui est
l’envergure.
Envisageons
maintenant l’action de la forme des corps.
Toutes les formes
ne doivent pas avoir les mêmes facultés de perforation de l’élément aérien.
Chez les oiseaux comme chez les poissons, elle varie de la forme générale plate
verticale à la tournure plate horizontale en passant par la boule. Exemple : la
marouette à grand axe vertical absolument prépondérant : vol à peu près nul.
Perdrix, boule allongée, qui stationne bien plus facilement sur terre que dans
l’air. Aigles et grands vautours, ayant la poitrine plate, un dos immense,
possédant tout à fait la tournure des lutteurs : vol remarquable surtout au point de la station facile dans
l’air, du planement lent plutôt que de la vitesse. Enfin, comme type de
célérité, une forme particulière parallèle dans deux oiseaux, l’un qui ne vole
jamais et l’autre qui ne vole que rarement, mais qui atteignent chacun la plus
grande somme de vitesse, l’un dans l’eau et l’autre dans l’air. Ces deux
modèles, le grand manchot et l’imbrim sont ainsi établis : deux cônes
juxtaposés par leurs bases. Le premier cône, celui formant l’avant de l’être,
ayant le double de longueur au moins de celui qui fait l’arrière du corps. A
cela joindre un aplatissement de ces deux cônes
qui fait que le diamètre qui passe par les deux épaules est le double de celui
qui passe par la colonne vertébrale
et le sternum.
Telle est la
forme qui dans les êtres permet la plus grande célérité dans l’eau et dans
l’air. La nature n’a pas trouvé mieux !
C’est cette
observation qui, reproduite d’une manière incomplète, a amené l’essai
infructueux du bateau plat de Genève. Idée à reprendre, car, là, doit être la
clef des gabaris capables de donner des vitesses excessives.
Les constructeurs
de bateaux arrivent lentement par tâtonnements successifs à cette disposition,
et il n’y avait qu’à regarder autour de soi pour trouver des modèles tout faits.
Effectivement sans aller au pôle sud chercher l’apténodyte introuvable, qui, à
part le moment où il niche, n’est visible que quand il saute hors de l’eau,
dans nos mers, en hiver, sur nos lacs même (Voir la collection des oiseaux du
lac au musée de Genève), on trouve une série d’oiseaux qui démontre le bien
observé de cette coupe.
Chez les animaux
suivants les grands diamètres sont d’autant plus prépondérants sur les petits
que la rapidité de vol ou de nage est plus grande :
Oie, qui pivote
sur elle-même en nageant, ne bouge pas de place ; c’est tout à fait un type
d’immobilité ;
Cygne, flotteur
gracieux mais nullement rapide ;
Canards et
sarcelles, bien autrement véloces que les deux précédents, et plongeant surtout
infiniment mieux ;
Puis viennent les
grèbes, les petits plongeurs divers, le cat-marin, et enfin le rapide imbrin,
qu’on ne pouvait tuer avec le fusil à pierre, tant sa plongée est rapide.
Chez ces oiseaux, le corps tend à la tournure indiquée
plus haut, et y arrive
dans toute sa pureté chez ces deux sommets de la
famille des Alcadées : les pingouins dans le Nord et les apténodytes dans le Sud.
La forme du corps
de l’être est beaucoup, mais n’est pas le seul facteur à envisager ; il reste
encore à étudier la disposition de l’aile.
L’aile, dans
l’oiseau, a une forme d’autant plus parfaite que la rapidité doit être plus grande.
Quelle est la
forme la plus perfectionnée à ce point de vue ?
La réponse n’est
pas facile à donner. Il y a plusieurs types prépondérants très différents les
uns des autres : l’aile qui accepte le vent le plus minime, grand vautour ;
celle qui a pour mission de pousser rapidement l’oiseau dans un vent moyen,
hirondelle ; celle qui a à pénétrer les courants actifs, ailes étroites et
longues, oiseaux de mer.
Mais à ces types
particuliers de fonctions différentes viennent se greffer des formes étranges,
s’écartant des tournures usuelles et qui donnent cependant des résultats bien
dignes d’être notés, témoin le martinet, le colymbus et les hiboux.
Chez le martinet,
l’aile longue et étroite n’a plus le même effet que celle de l’oiseau de mer.
Elle propulse, mais pousse mal ; c’est bien loin de l’hirondelle et du pigeon.
Au reste, cette forme est unique. C’est l’aile toute en rémiges, le bras et l’avant-bras
en moignons sont des espèces de charnières qui lient au corps huit plumes à
chaque aile, longues et robustes, qui font tout l’ouvrage.
Chez les colymbus
divers, c’est différent ; l’aile est encore étroite, mais elle est
excessivement petite. C’est cette petitesse comparative à la masse qui procure
à ces oiseaux cette rapidité
étonnante. C’est l’exagération du vol des canards et des sarcelles. Quand cette
petitesse atteint la limite de l’utilité, elle éteint le vol toutes les fois
que le courant d’air n’est pas excessivement actif, témoin tous les alcadées
qui ne peuvent pas voler tous les jours ; mais par une rude bise, une fois bien lancés, ils atteignent des vitesses
qu’eux seuls, parmi les êtres de notre globe, peuvent se procurer.
Nous avons vu que l’aile faite pour pénétrer
les grands courants d’air est toujours étroite. Nous ajouterons à cette
disposition cette remarque qu’elle n’est creuse que de la quantité nécessaire
pour pouvoir arriver, sous l’action du poids qu’elle à porter, à la forme
presque plate.
Une aile
très creuse est faite pour d’autres exercices, plus
violents : ascensions verticales ; type, la poule qui monte presque
perpendiculairement à son perchoir.
L’aile creuse est faite pour pomper, l’aile
plate pour glisser.
Quant aux ailes
des hiboux, là encore se montre une disposition tout à fait curieuse. Le
grand-duc présente l’exagération de cette coupe particulière. Chez ces nocturnes,
le creux de l’aile semble être en dessus, au moins dans la partie des rémiges.
Au repos la main est plate, en action de vol le creux est en haut.
La faculté de
glissement dans ce cas est au reste au moins égale à la forme contraire,
c’est-à-dire le creux portant sur l’air. Nous en avons pour preuve les
aéroplanes mal équilibrés, qui renversés, marchant sur le dos, vont à la
perfection. Cela m’est arrivé bien des fois. C’est un cas très intéressant à
étudier.
Comme on le voit,
l’aile est difficile à analyser au point de vue de la pénétration en général.
Pour répondre
avec justesse à cette question, il faut la décomposer et y joindre une autre
demande qui est celle de la vitesse du courant dans lequel l’être aura à se
mouvoir, témoin les petites ailes du vol rapide qui sont impropres au vol par
le calme et qui, par un courant violant, font merveilleusement leur ouvrage.
Cependant, on
peut dire avec justesse que deux dispositions tendent à procurer la célérité ; le peu de largeur de l’aile, et
sa petitesse ; à quoi il faut toujours joindre une masse importante, sans cela
l’air ne se laisse pas pénétrer.
Ce genre de vol n’entre
pas dans le programme de cette étude, c’est même absolument l’antithèse du vol que je prêche,
mais cependant, comme il se lie par beaucoup de points au vol à la voile, je crois devoir en dire
quelques mots qui seront probablement utiles à ceux qui voudront attaquer
l’aviation par ce côté... que je crois
inabordable.
Aviateurs,
rameurs, persuadez-vous bien que : tout rameur est un voilier ! Témoin ces deux
types excessifs du battement le moineau et la caille.
Pour vous édifier, regardez ces deux oiseaux dans
l’instant où ils ont à observer, au vol. Le moineau approchant du point où il se dirige arrête les battements de ses ailes, étudie,
en planant un instant, son abordage. La caille, à fin de course, voulant
tomber dans l’herbe ou dans le blé, glisse pendant quelques
métrés, cherche le point propice
à son atterrissage
et
ne refrappe l’air que pour détruire son élancé ; cas dans lequel le grand
vautour lui- même est souvent quelques instants rameur.
Donc, le moineau
plane, la caille plane, le canard lui-même, qui est si lourd, toutes les fois
qu’il aborde l’eau, le fait en planant.
Tout appareil rameur
doit donc pouvoir planer ! Que la sustentation soit obtenue par le glissement
ou le battement, il faut à l’appareil les mêmes organes d’équilibre ; par
conséquent, si on veut produire un rameur qui puisse aller autrement qu’au
hasard, il faut le construire de la
même manière qu’un voilier bien établi ; la seule différence résidera dans la
petitesse de la surface qui réclame le battement.
De la question
battement et propulseur je ne parlerai que peu. J’en ai causé dans l’Empire de l’Air quand j’ai essayé de
rendre l’aéroplane capable de produire quelques coups d’ailes. Je me rends
compte du peu de succès que j’ai eu, ayant à l’article Aéroplane traité de ce point difficile [21]. Cependant, comme je ne demandais
que quelques efforts, il est à étudier par la pratique ce que vaut cette idée,
qui a été, de ma part, plutôt instructive que raisonnée.
Il est de fait
que, même dans ces deux cas, les battements ne sont pas obligatoires. Les
difficultés du départ et de l’abordage peuvent être esquivées même par
l’aéroplane fixe : ainsi le départ par le vent faible peut être produit par la
chute, et, par le vent actif, nous avons vu qu’un simple déplacement du centre
de gravité le produit. L’abordage sur terre, par le calme absolu, peut se
produire sans choc sérieux, même avec 7.500 grammes de charge par mètre carré,
en s’y prenant adroitement. Ainsi rien n’est simple comme de s’adresser à un
terrain en pente et de le remonter jusqu’à extinction complète de vitesse.
Ce n’est
assurément pas l’appareil des rêves de la plupart que je présente là. Les
manœuvres que nous envisageons doivent sembler bien incomplètes, c’est vrai ; seulement, elles sont suffisantes pour
produire le vol de parcours simple, qui est le seul objectif que nous puissions
avoir pour le moment.
Revenons au battement.
Qui a produit le
battement ? Pourquoi certains oiseaux ne battent-ils pas des ailes et pourquoi
la plupart d’entre eux s’escriment-ils à s’enlever et à se propulser ?
Il n’y a qu’à réfléchir une seconde pour voir la réponse précise
à donner. L’oiseau
frappe l’air pour deux raisons : d’abord parce qu’il est trop faible de
masse, trop petit pour pouvoir planer
; puis, même quand il le peut, pour aller plus vite qu’il n’irait par le planement.
Donc, tout rameur
est d’autant plus rameur qu’il est plus petit de masse, et le voilier produit
d’autant plus facilement le planement qu’il est plus lourd.
Que serons-nous,
l’homme volateur ? Serons-nous léger ou lourd ? Bien lourd assurément ! Donc
nous sommes, par le fait de notre énorme masse, rangés malgré nous dans les
voiliers à outrance. Que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, c’est
comme cela. Vouloir ramer quand on pèse 100 kilog., c’est vouloir mettre la
pyramide sur sa pointe ; c’est chercher l’impossible probablement et, à coup
sûr, attaquer le problème par son
côté le plus difficile.
Une des causes
qui font que j’écris ce chapitre, c’est d’avoir conscience que l’aviateur
rameur exagère dans ce genre de vol l’importance de l’acte de soutènement.
Le rameur,
surtout le très petit moineau,
mésange, rossignol, est assurément au départ un rameur exact, c’est-à-dire qu’il
s’enlève à bout de bras, et cela sans aucun subterfuge. Il ne compte, dans ce
cas, sur aucune action de glissement. Pour lui, l’air est toujours considéré
comme étant au repos parfait ; mais, dès que son élancé atteint quatre ou cinq
mètres de vitesse, le vol, chez lui, change. Il est toujours rameur, ou du
moins il semble l’être, mais ces coups d’ailes
ne sont plus donnés pour le soutenir
: c’est absolument inutile : l’air porte déjà.
Cependant il
continue de battre.
Il bat, parce
qu’il est ardent, parce qu’il veut aller vite, parce que, s’il allait comme l’attraction
seule peut le mouvoir, il irait comme le moineau quand il plane, c’est-à-dire
avec une lenteur déplorable. Voyez-vous une hirondelle planant ! Elle se sert
cependant quelques fois de la voile, mais, pour elle, que faire de ce vol ?
Tous les insectes lui échapperaient et elle mourrait de faim. Au lieu de cela,
comme il faut vivre, comme il faut atteindre
l’insecte qui fuit avec rapidité, elle se pousse
en avant au moyen de ses deux ailes
qui sont de formidables organes de propulsion. Ces seize canons de rémiges sont
seize ressorts puissants actionnés par la moitié de la masse de son être : ses
pectoraux ; et le résultat est une accélération de vitesse telle que la mouche
ou le papillon sont surpris en plein acte de vol. Elle vole plus vite qu’eux !
Là est le but de l’organe, la nécessité du vol ramé, ou pour dire infiniment
plus juste, du vol propulsé.
Et tous les
rameurs en sont là ou presque tous. Exceptez-en les marouettes, râles, gallinacés,
tous les autres, et c’est la grande masse, ne rament que pour se propulser.
Le guêpier nous
démontre clairement le pourquoi de cet acte. Il plane ordinairement, et dans la
perfection, malgré qu’il ne soit qu’une grosse hirondelle ; tant qu’il n’a qu’à
étudier, il glisse élégamment comme un oiseau de proie ; mais, qu’il aperçoive
une proie à quelque distance, c’est à grands coups d’ailes qu’il se précipite
sur elle et l’atteint, car la vitesse qu’il vient de se procurer rend la fuite
de l’insecte impossible.
Plus le rameur
devient lourd, plus devient visible et facile à étudier, parce qu’il est gros,
la prépondérance de l’en-avant sur le soutènement. Les faucons réussissent, au
moyen de ces coups de ressorts, à se procurer une vitesse énorme, qu’on peut
estimer par le calme à au moins cinquante mètres à la seconde.
Voilà ce que vous
voulez imiter, aviateurs rameurs. Les ailes ne vous réussissent pas : toute
substance est trop lourde et pas assez élastique. Alors la pensée s’est
reportée sur l’hélice. Allons de suite à ce qu’on a fait de mieux dans ce
genre, l’hélice du ballon dirigeable de l’Etat[22]. Quelle vitesse équilibre-t-elle ? A
quelle rapidité de vent peut-elle suffire ? Peut-elle agir utilement dans tout
courant d’air, quelque rapide qu’il soit ?
Il semble
sensé de penser
que, pour être utile, il faut qu’elle
commence par dévider
cette vitesse avant de pouvoir produire
autre chose qu’un
retard ; c’est
donc très souvent
avec 20 mètres qu’il faut
tourner avant d’entrer en action. L’hélice telle qu’on la construit me semble bonne pour les vitesses faibles,
mais pour atteindre
les grandes rapidités, elle doit
être
faite différemment, moins naïvement que je les ai vu établies. Il faut l’hélice
rationnelle et rien de moins. Mais ce serait sortir du sujet, passons et
revenons-y.
L’acte de
sustentation est donc chez le rameur infiniment plus minime qu’on ne l’envisage
généralement, il se borne au départ, à la projection en avant qui est tout.
Regardez l ’hirondelle, elle se pousse toujours en avant, tout aussi bien quand
elle descend que quand elle monte. Elle se fait tomber avec infiniment plus de
rapidité que la gravité ne pourrait la solliciter.
C’est le
véritable aéroplane à moteur, l’ascension, les crochets sont produits par la
direction dans laquelle elle lance son individu. Voyez le pigeon voyageur
regagnant son nid ; un simple regard
suffit pour saisir que se porter pour lui n’est rien et que l’essentiel est d’aller rondement. Au moyen de cette
vitesse il fait des écarts sur l’horizontale de 25 mètres sans donner un coup
d’ailes de plus. C’est donc la vitesse qu’il cultive et sur laquelle il compte
pour suffire à toutes les difficultés qui pourraient se présenter sur son parcours.
Cette grande
vélocité est, au reste, un acte de l’oiseau possédant tous ses dons. Le rameur
qui ose aller vite est certainement un oiseau sauvage. Comparez, dans Paris, l’allure du pigeon domestique à celle de
la grosse colombe. Dans l’un, nous voyons un maladroit qui a peur de se lancer,
qui se retient constamment, qui a peur de choir ou de se heurter à quelque
chose, l’être qui, en un mot, ne possède pas ses facultés ; dans l’autre, au
contraire, tout mouvement est précis, la poussée est d’une énergie franche,
l’abordage est correct. On voit qu’il sait où il va.
Au point de vue
de la mécanique de l’aviation, le battement de sustentation peut être supprimé
: la poussée en avant est tout. Trouvez un propulseur quelconque capable
d’imprimer à une masse de 80 à 100 kilogrammes une rapidité de translation de
25 mètres seulement et le problème sera résolu, et, ce qu’il y a de curieux,
sans battement. Ce sera alors le ramener sans battement !
Effectivement, à
cette vitesse, même par le calme, le mètre carré, porte 10 kilogrammes avec la plus
grande facilité ; non seulement il les porte, mais il peut les ascensionner par
le seul fait de la direction.
Si nous
augmentons la puissance de projection nous arrivons à l’ascension pure et
simple, ce qui est bien autre chose que le parcours.
Il s’agit
seulement de trouver ce propulseur puissant et à effet continu. J’avoue n’avoir
rien entrevu. L’hélice les fusées, etc., etc., ne peuvent avoir que quelques
instants cette force. Peut-être l’avenir nous procurerat-il ce moteur ; mais,
assurément, rien de ce qui est connu actuellement en mécanique ne peut suffire.
Si ce moteur
était trouvé, ce serait la résolution complète du problème de l’aviation : un
petit aéroplane, parfaitement dirigeable, bien poussé et tout serait dit. On
aurait même ce que les voiliers n’ont pas, la grande rapidité de translation.
Mais il faut le
trouver ce propulseur ! tout se borne là.
Quand on l’aura,
on n’aura plus à songer à la résistance des matériaux ; le battement, ce
terrible pliement qui détraque tout,
sera éliminé. On aura remplacé
la rame par le
glissement.
L’objectif aura changé ; au lieu d’imiter la poule ou le râle qui traînent
péniblement dans l’air leur misérable individu, on envisagera la gracieuse
hirondelle, coquette, vive, active et surtout rapide, et qui est, assurément,
plus facile à imiter que tous ces percheurs qui ont trop longtemps servi de
modèle aux aviateurs rameurs.
Là, est
certainement la vraie voie à suivre pour arriver à l’aviation si, pour une
cause ou pour une autre, on ne veut pas se servir du vol à la voile.
L’aéroplane fixe,
c’est-à-dire dont les ailes sont immobilisées dans la position de planement, qui
ne peut pas battre, s’impose ou peu s’en faut.
Des sept ou huit
aéroplanes que j’ai eus entre les mains, un seul était facilement maniable : la
légèreté est une condition essentielle de la réussite !
Un appareil lourd
n’est pratique ni comme relèvement ni comme abaissement des ailes.
Mon n° 3, celui
avec lequel j’ai eu un commencement de succès, était très léger. Ne voulant
étudier que sa puissance de sustension, je ne l’avais pas muni d’une queue ni
d’aucun organe de direction. Il est relativement facile de faire fort et léger
dans ces conditions ; aussi ne pesait-il que 13 kilogrammes. Malgré cela il
était encore bien lourd ! Quand je le portais son poids reposait sur les pieds.
Le système assez naïf qui le reliait aux pieds était imparfait, blessait et
n’était pas d’un emploi commode, puis, comme les barres qui reliaient les pieds
aux ailes étaient rigides, c’était quand je courais une série de chocs très
gênants et souvent douloureux. Ces chocs étaient endurés par l’élasticité dès
ailes et par les pieds ; ce qui était nullement récréatif. Depuis lors j’ai
utilisé les joncs fendus : appareil n° 4, et ce défaut est presque corrigé ;
les pieds bien garantis
par
une armature de fer peuvent supporter sans souffrance l’effort de relèvement.
Mais la course devient très
difficile. Au reste ceci est une question d’adresse de construction, par conséquent c’est
à peu près un détail.
Mais ce qui n’en est
pas un, et ce qu’on ne peut songer à diminuer, c’est l’autre effort, celui de
l’abaissement.
Jugez-en par ce
que donne l’expérimentation.
La première fois
que j’ai étudié la pression à donner à l’aile pour s’exhausser, c’est en
expérimentant en chambre l’aéroplane n° 3. Les deux ailes étaient attachées par
des cordes fixées au plafond à la hauteur des trous A et E (voir la fig. 4)
précisément où venaient s’attacher les barres communiquant la traction des
pieds ; là, l’effort était nul. Les ailes attachées au bout des planches
demandaient un effort déjà considérable ; je pouvais produire une dizaine de
battements mais avec une grande peine. A mesure que les points d’attache
étaient reportés plus loin, à mesure la force à développer devenait plus grande
; ce qui est absolument naturel, mais
ce à quoi on pense peu. Enfin, les attaches mises au milieu des rémiges rendait
tout exhaussement impossible. La station horizontale n’était même plus
tolérable, la pression sur les épaules devenait trop forte. Et cependant c’est
là que se trouve le véritable centre de pression de l’aile de l’oiseau.
En ramenant les
attaches au bout des planches, j’aurais assurément diminué la pression, en
augmentant l’amplitude du battement ; elle était tellement insignifiante
qu’elle devenait inutile.
C’est ce qui me décida à immobiliser les ailes, à les empêcher
de pouvoir battre.
Comme on le voit, je connaissais déjà, à cette époque, le vol sans
battement. L’appareil, dans ces conditions, ne pesait que 15 kilog. francs,
sans aucun effort de levier ; j’étais suspendu par les courroies et non par les
barres qui étaient supprimées. Cela avait certains avantages, entre autres
celui de me permettre de courir rapidement.
C’est avec cet
aéroplane ainsi fixé que j’ai fait le glissement de 42 mètres relaté au
commencement de ce livre[23]. Quelques jours après je rétablis
les organes qui me permettaient de frapper l’air, ne pouvant me résoudre à
reconnaître mon impuissance, ne pouvant admettre d’être ankylosé de la sorte ;
c’est ce qui permit au coup de vent de m’effrayer et m’engagea à céder devant
lui[24], étant encore sous l’action de la
peur de ce célèbre trajet fait sans le vouloir. J’y étais forcé
par le raisonnement, étant bien sûr qu’avec ou sans battement, je n’avais pas
la possibilité de me diriger. En résumé, le pouvoir de flexion des ailes me permit
d’esquiver cet enlèvement que le vent me présentait.
Voici donc ce que
l’homme peut faire sans battement ! Il faut reconnaître qu’il est bien faible,
puisqu’il ne peut même pas se faire porter par des ailes étendues dans la
position du vol plané, à moins d’attacher le moteur à un point inutilisable
comme battement.
Si le vol à la
voile n’existait pas, il serait presque interdit à l’humanité de songer à l’aviation.
Le vol des
rameurs demande non seulement une puissance extraordinaire, force qui est encore à trouver, mais exige, et cela de la façon la plus impérative, des matériaux légers
pouvant supporter cet effort. C’est là qu’est la difficulté qui semble insoluble.
Plusieurs aviateurs
rameurs ont palpé cette impuissance. Pour convaincre ceux qui n’ont pas touché
du doigt cette insuffisance dans la tenue de la matière, ils n’ont qu’à essayer, ce qui a été fait,
d’actionner un grand appareil rameur par un tuyau élastique de vapeur et ils
verront qu’ils obtiendront le brisement des ailes et non l’enlèvement.
L’aile au delà de
trois mètres de longueur, soit six mètres d’envergure, et plutôt moins que
plus, semble avoir dépassé la limite de la résistance des matériaux ; et cela,
sans lui donner d’effort à produire, rien qu’en la faisant se mouvoir à vide :
telle est la borne que semblent m’indiquer trois expériences qui m’ont été
communiquées par des aviateurs qui se tiennent hors du cénacle qui s’occupe de
cette question.
L’effort nécessaire
pour procurer à l’aile une vitesse utile est tel qu’il dépasse la résistance
des corps employés pour remplacer l’os, et cela soit qu’on s’adresse aux bois
légers, aux tubes d’aluminium, aux fers à T, aux caisses de bois ou de
celluloïd. Rien ne résiste à cet effort : le bras de levier est trop long.
Si maintenant
nous tournons la difficulté, c’est-à-dire si on diminue autant que possible
l’envergure et qu’on rétablisse autant que possible la surface indispensable en
augmentant énormément la largeur, on rend l’aile impropre à l’enlèvement, à
moins d’arriver à des vitesses d’évolution effrayantes, et c’est précisément
l’écueil que nous voulons éviter. Ces ailes existent dans la nature, mais ces
larges couvertures sont des plumes d’ornement : paons, lyre, argus, tous
oiseaux qui ne font qu’ébaucher le vol, ne se servant de leurs ailes que pour
se percher.
Si nous essayons
de tourner le problème d’une autre manière, en augmentant considérablement
l’envergure et en rétrécissant la largeur de l’aile, que nous imitions le
planeur rapide, l’oiseau de mer, nous obtenons certainement et forcément un vol
ramé d’une lenteur qui atténuera sensiblement l’effet de rupture causé par la
rapidité du battement. Ce mouvement cadencé et lent permet l’avertissement des molécules
; la matière jouit alors de ses
facultés de résistance. Par ce procédé on esquive cet écueil, mais une autre
difficulté se présente, le bras de levier devient tellement long, la force
initiale demande à être si grande, qu’on s’aperçoit de suite qu’on n’a fait que
déplacer la difficulté.
C’est, en somme,
un cercle vicieux dans lequel on tourne, et que Celui ou Celle qui a organisé
la mécanique des oiseaux n’a pas tranché.
Dans la nature,
le rameur a toujours une masse minime. Le kilogramme est la limite, je ne dirai
pas extrême, mais usuelle : grands corbeaux, ramiers, etc. Le calos, le goura,
etc., sont bien aussi des rameurs qui dépassent de beaucoup ce poids, mais ils
sont bien loin d’être des oiseaux de grand vol comme le sont le corvus corax et le grand ramier des
squares de Paris (columba palumbus).
Une autre
particularité des rameurs est la force exceptionnelle dont ils disposent. Les
petits oiseaux, surtout, sont d’une puissance dont on n’ose parler de peur
d’errer complètement soit en exagérant, soit en atténuant outre mesure leur
force.
Qui ne se
souvient de ce fait qui dû arriver à tous ceux qui touchent les oiseaux : un
pigeon qu’on attrape par la queue et qui sous l’effort d’enlèvement vous laisse toutes ses
plumes
dans la main. Le petit passereau tenu par une patte et qui se la brise en se retournant au vol. Je dis quelque part
qu’une chouette que je retenais s’est brisée l’os de l’aile en ramant pour s’enfuir, et mille faits pareils qui nous disent que l’oiseau
est fort à ne
pas s’en faire une idée juste. J’ai vu une tourterelle qui, en cinq battements,
s’est élevée verticalement de 7 mètres 85 centimètres, encore le dernier coup
d’ailes peut être négligé, car il ne servit qu’à la porter sur un mur où elle
se posa.
Mais tout ceci
n’est rien comparé à la force des très petits oiseaux. Elle est si grande qu’on
fait mieux de n’en pas parler, car il est attristant de comparer la faiblesse
humaine à ces petits êtres si excessivement doués de la puissance musculaire.
Si nous
envisageons les grands voiliers, nous les trouvons également pourvus de muscles
formidables, infiniment moins
assurément que ceux des rameurs,
mais qui, malgré cela, ne sont pas comparables à
ceux de l’homme.
Les serres de l’aigle
sont d’une puissance incroyable. Il faut avoir subi leur pression pour s’en persuader. Une expérience au
dynamomètre serait bien instructive, mais comment s’y prendre pour la réussir
surtout pour faire donner à cet organe de préhension toute son énergie.
La serre agit non seulement par la perfection de sa grille,
mais par sa force brutale.
C’est une main qui me semble capable de supporter un poids dépassant de beaucoup
50 kilog. : soit dix fois au moins le poids de l’oiseau.
Mon brave chien
Bobo en ressentit un jour les effets : j’avais démonté un aigle qui passait à
portée. Mes chiens de chasse se précipitèrent vers lui, mais la vue du grand rapace couché sur le dos et présentant ses
huit terribles griffes, chacune longue comme le petit doigt, les fit réfléchir.
Bobo, sans hésitation, fondit sur lui et reçut les deux coups de serres aux
deux épaules. Enragé de douleur il mordit l’oiseau tant et tant que mort s’en
suivit. Mais la bête ne lâchait pas pour cela.
Je fus obligé de lui venir en aide et d’ouvrir de force ces serres qui semblaient être
fermées à un cran qui en empêchait l’ouverture.
Un autre exemple
fera bien saisir cette force : j’avais pris mon grand aigle, par des procédés à
moi, trop longs à décrire et qui n’intéressent pas. Son bec était attaché et
ses serres ficelées le rendaient absolument inoffensif. Il était dans cet état
de prostration particulier qu’ont ces animaux lorsqu’on les met dans l’impossibilité
absolue d’agir.
J’étudiais donc
en détail cet oiseau comme un être mort, quand l’idée me vint de lui détacher seulement deux griffes : l’index et le pouce
; je voulais essayer leur force sans me
faire blesser.
Avec beaucoup de
précautions, je parvins à passer deux doigts sous chaque griffe et j’essayai de
les ouvrir. En forçant bien, j’y parvins. Les tendons craquèrent très
fortement. Je fermais, ouvrais, refermais, réouvrais ces griffes sans trop de
peine, faisant crier ces jointures comme des charnières mal graissées ; quand
soudain, avec la promptitude de l’éclair, mes quatre doigts furent pris comme
dans un étau. — Heureusement que les pointes ne piquaient pas. J’étais pris à
mon tour et il m’était impossible de songer à me dégager. Je sentais à la
pression exercée, malgré que je n’éprouvasse qu’une très forte compression, que c’était folie d’opposer la force à ces puissants
fléchisseurs. J’attendis
cinq
grandes minutes, avec une patience tout à fait exemplaire. Petit à petit je
forçais et fort, et l’oiseau s’endormait.
J’étais très près
de me retirer de ce guêpier, quand un réveil de la bête, donnant une secousse,
me remit en prison.
Avec un peu de patience, je parvins cependant
à me dégager, mais cela demanda bien un
grand quart d’heure.
Cette estimation
de force d’enlever dix fois son poids peut être beaucoup augmentée et,
assurément, on ne dépassera pas la vérité. C’est donc, en s’en tenant à la
première estimation, un fait pareil à celui d’un homme qui pourrait soulever
d’une main sept à huit cents kilogrammes.
Si nous étudions
la puissance des faisceaux musculaires qui font battre l’aile, nous voyons que
cette masse de muscles est à peu de chose près, même pour les médiocrement
doués, l’égal comme poids du reste du corps.
L’effort
permettant la station sur les ailes semble chez certains d’entre eux être
instinctif el involontaire, comme celui des serres qui agissent et compriment
la branche plus ou moins suivant le coup de vent ou le balancement ; et cela
sans acte de volonté, puisque l’oiseau est en plein sommeil.
L’importance des pectoraux
n’a rien de similaire dans le système musculaire de l’homme. Il faut renoncer,
malgré de bien curieuses choses écrites sur ce sujet, à penser pouvoir produire
un seul effort
égal à cette puissance, même en réunissant par une rubrique mécanique la totalité de notre
activité.
Ce que je dis là
est la condamnation du vol pour un être de notre poids ; mais, il nous reste
heureusement le vol à la voile qui est le point par où judicieusement nous
devons tenter d’aborder cette question : vol dans lequel le courant d’air fait
tous les frais, au lieu d’aller nous heurter contre les impossibilités du vol
ramé[25].
Heureusement pour
l’aviation, j’ai affirmé dans l’Empire de
l’Air, et je le répète ici car c’est la base du vol sans battement [26] :
« L’ascension est
produite par l’utilisation adroite de la puissance du vent, et nulle force
autre n’est nécessaire pour s’élever. »
Effectivement,
l’homme pourra toujours partir d’une hauteur assez grande pour que la vitesse
procurée par la chute soit capable de le mettre en pleine action de vol.
Si le vent est assez vif pour pouvoir le
supporter à l’allure V 10’’, pour
entrer en action de vol, il n’aura
qu’à disposer ses ailes à l’angle de V 10’’
et il sera porté exactement. S’il les met à l’angle V 8’’ il sera légèrement enlevé. A V 6’’ l’enlèvement sera plus fort et ainsi de suite, V 2’’, V 0’’ et même
au-delà, c’est-à-dire les pointes en avant[27].
L’enlèvement est forcé !
C’est assurément
le mode d’expérimentation le plus pratique. Il faut pour le réussir : un vent
d’au moins 10 mètres, une surface suffisante, pas moins de 12 mètres carrés, et
enfin le courage de se livrer à cette manœuvre. Cet exercice demandera, au
reste, bien moins de hardiesse que tous les autres procédés de mise en
mouvement.
Le départ en
terre ferme demande une telle dose de témérité irréfléchie que, malgré que le
fait se soit produit, on doit espérer qu’il ne se renouvellera pas, parce que
le résultat en est certain. Comment peut-on espérer avoir un succès quelconque
lorsque, ne sachant rien comme pratique de cet exercice, on s’adresse comme
première expérience au plus dangereux de tous les départs ?
Il faut, pour
aborder cette question effrayante du départ, du bon sens et-toujours du bon
sens. L’aviation ne sera même résolue pratiquement que par un poltron, mais un
poltron sensé, qui mettra de son côté tous les éléments de réussite et
éliminera de sang-froid toutes les chances d’accident. De Groof a eu la témérité de se lancer
dans les airs de deux ou trois cents mètres de hauteur, soutenu par
un appareil insensé qu’il n’avait jamais essayé. On ne peut dire de lui qu’une
chose, c’est qu’il s’est suicidé[28]. Que dire autre, quand on pense
qu’un oiseau qui ne se sent pas en exercice, qui sort de sa cage,
n’ayant pas utilisé
ses ailes depuis longtemps,
n’oserait pas abandonner le ballon dans cette circonstance ? Il se méfierait de
ses moyens et ne se lancerait pas. Et on veut qu’un homme, ignorant tout des
manœuvres aériennes comme l’est tout terrien, aille du premier coup se livrer à
l’espace, pendu à un appareil indirigeable dont il ne connaît pas les effets !
C’est de la démence assurément.
Il faut
absolument procéder lentement. Au lieu de tout livrer au hasard, il faut, au
contraire, mettre de son côté tous les atouts. De la prudence, du calcul, de la
sagesse et du bon sens, sans cela on ne réussira qu’à se casser la tête, et les
têtes brisées ne font pas avancer l’aviation,
Ainsi, dans l’Empire de l’Air, j’ai donné un peu du
côté des imprudents dans l’exposé d’un projet d’essai[29]. La hauteur nécessaire pour
permettre à un aéroplane de passer du plan de chute au plan de parcours
horizontal est trop grande. Il faut 25 mètres au moins à un aéroplane
de cette taille pour se retourner assez lentement pour avoir conservé
la vitesse qu’il faut posséder
pour pouvoir planer. Il est à craindre l’intervention inconsciente causée par
la peur. Si l’expérience pouvait se faire en ne laissant pas à l’homme la
possibilité d’intervenir, le danger serait à peu près écarté ; il ne resterait
que celui d’une culbute possible quand l’aéroplane affleure l’eau. Qu’est ce
bain comparé à la chute de De Groof ou à l’abordage expérimenté en terre ferme
! N’importe, je reconnais que cette hauteur est effrayante et que ce seul effet
est un défaut.
Le procédé d’enlèvement
au repos est bien moins effrayant que tous ces exercices dangereux.
Pour avoir chance
de réussir, il faut un aéroplane à grande envergure, dans la proportion pour le
moins de 6 : 1.
Il faut l’essayer
en été, quand l’eau est chaude, car la première séance ne sera qu’une suite de
bains successifs et il s agit qu’ils ne soient pas désagréables.
Procéder en eau
profonde, le corps de l’homme et l’aéroplane disposés pour flotter d’une manière exacte. Il n’y a donc pas à
songer à nager plus ou moins bien : le danger de se noyer est éliminé.
Puis
prendre un petit bateau ponté, afin de n’être pas enfoncé dans le fond de l’embarcation.
N’expérimenter
que par un vent capable d’enlever.
L’acte à produire
est celui-ci : ouvrir les ailes, c’est-à-dire transporter les pointes en avant
d’une quantité suffisante pour se faire enlever par le vent. Par ce seul
déplacement du centre de gravité
l’ascension se produit.
Il n’est pas besoin de rien risquer pour un premier
essai. On commence
petit à petit, sans perdre
pieds, puis on s’élève d’un décimètre et on abandonne vite la pression, les
pointes sollicitées par le vent retournent en arrière et on retombe lentement,
d’un décimètre, de cinquante centimètres, d’un mètre.
Lorsqu’on est
bien accoutumé à cette chute anodine, on va plus fort, c’est-à-dire que le
transport à l’avant des pointes des ailes est plus énergique ; alors on vise à
aller tomber dans l’eau.
On règle donc
l’ascension d’une manière absolue, moins l’irrégularité du coup de vent. Cette
irrégularité elle-même se combat par la sensation qu’on a du courant d’air.
Comme on sait que le coup de vent enlève, il n’y a qu’à laisser aller les
pointes à l’arrière, c’est-à- dire à ne plus agir, à laisser faire, il est
probable que l’expérimentateur ne s’affolera pas, surtout s’il n’est qu’à un ou
deux mètres de hauteur, et qu’il finira par se persuader de la manœuvre et de
son innocuité.
L’expérience m’a
démontré que les ailes vont d’autant plus facilement toutes seules à l’arrière,
sous l’action du traînement du courant aérien, qu’elles sont plus longues par
rapport à leur largeur, et que, ceci est à bien retenir,
à bien se mettre dans la tête,
surtout au moment où on expérimente,
que, dis-je, le plan de l’aéroplane s’approche le plus de l’horizontale. Dès
que, par le fait de l’enlèvement, l’écart de l’appareil est seulement de 30
degrés, les ailes n’obéissent plus toutes seules, il faut les aider et
intervenir énergiquement en les portant de vive force à l’arrière.
J’ai toujours
été désagréablement surpris
par cet enlèvement. Cela tient d’abord
à ce que j’ignorais cet effet et que j’ai dû l’apprendre à mes dépens,
puis, à ce que je n’ai jamais eu entre les mains un aéroplane à ailes longues
et étroites ; type qui est indispensable pour pouvoir dans les premiers essais
se défendre contre ce renversement intempestif.
Pour faciliter
encore plus cet exercice, pour écarter toute chance d’enlèvement exagéré, pour
mettre en laisse, en un mot, l’aéroplane et l’expérimentateur, on peut
l’attacher de la manière suivante :
Fixer à la
charnière avant, celle qui est contre la poitrine, une corde longue, le plus
possible — quelque chose comme une centaine de mètres au moins — l’attacher —
au vent — à une hauteur assez grande
pour qu’elle trempe le moins possible dans l’eau. On sera bien sûr avec une
attache pareille de ne pas pouvoir reculer. Ce terrible recul qui effrayait
tant est donc entravé. Il n’est plus possible à l’appareil que de s’élever et
d’aller à gauche et à droite, mais pas en arrière.
En mettant une
pareille corde à l’arrière et deux autres de même longueur à chaque pointe des ailes, l’aéroplane bien dirigé contre le vent, on arrive à ne permettre absolument
qu’un seul mouvement, celui d’une faible
ascension permise par l’élasticité des cordes[30].
Maintenant
encore, si on a peur de l’eau et qu’on puisse s’offrir un vaste sommier, on
sera certain de ne pas se mouiller.
Est-il assez
ligoté ce pauvre aéroplane ! Cet appareil de liberté ! Celui qui donnera
l’indépendance à l’homme ! Il ne faut pas moins de quatre cordes pour
familiariser l’homme à son emploi. Mais ainsi ficelé, il est à espérer qu’il se
trouvera des expérimentateurs assez intrépides pour oser l’essayer.
Le premier acte
de vol que devra étudier l’aviateur, le seul au reste, que ces freins lui
permettront, est celui de l’ascension directe contre le vent. C’est tout
simplement l’exercice le plus
difficile du vol : la station immobile de l’oiseau de proie dans le courant
d’air. Il sera singulièrement facilité par les quatre cordes qui feront
régulateur dans les quatre sens de dérivation possible. On n’aura donc à
pourvoir qu’à celui de la verticale. Ce terrible problème, disséqué de cette
façon, devient alors facile, ce n’est plus qu’une question d’adresse. Il se
trouvera au bout de quelque temps, parmi les amateurs de cet article, des
adroits qui le réussiront dans la perfection.
Quand la quiétude
sera revenue, l’expérimentateur pourra sortir sa corde d’arrière, ce qui lui permettra un léger mouvement en
avant en portant ses pointes à l’arrière d’une quantité un peu supérieure à
celle nécessitée pour l’immobilisation.
Pour pouvoir
suppléer à l’action des deux cordes qui s’attachent aux deux bouts des ailes, il
faut que l’appareil possède une direction horizontale extrêmement active, afin
de pouvoir ramener rapidement l’aéroplane qui voudrait s’éloigner de la droite
du vent.
Il ne reste donc
plus maintenant que la première attache, celle qui empêche le recul. La
suppression de ces trois cordes permet déjà des évolutions bien intéressantes
en avant. Quand on sera arrivé à manier sur l’eau — car là il faut y revenir —
un aéroplane attaché par une corde de cent mètres, on pourra alors se détacher
sans crainte, car on saura par expérience qu’on possède l’en-avant. Toutes les
autres manœuvres deviennent alors faciles,
maintenant que par habitude, la vue du vide ne produit plus aucun effet.
Pour résister sur
terre à un vent actif, avec un aéroplane sur les épaules, pour n’être pas
entraîné par lui, il faut avoir la figure au vent et les pointes tout à fait
portées à l’arrière ; dans toute autre position on est roulé, renversé.
Regardez les oiseaux, leur bec indique toujours d’où vient le vent. C’est la
plus sûre girouette de campagne qu’on puisse désirer. Si par jeunesse, inexpérience, il se laisse prendre en arrière par le vent, il est obligé de faire
la culbute. On ne voit, au reste, cette maladresse commise seulement par les
oiseaux domestiques ; l’ailé sauvage ne la commet jamais.
Le vent lui-même
par son action de gouvernail fait donc présenter la tranche d’avant à sa pression, et une fois dans cette
position empêche toute présentation de plan intempestive.
Les pointes en arrière sont deux gouvernails actifs qui maintiennent l’appareil
dans la bonne position d’enlèvement, et cela, je l’ai dit, d’autant plus
qu’elles sont plus longues.
Les oiseaux
qui ont à se tenir dans les courants d’air rapides les ont toutes très
allongées : oiseaux de mer, chez lesquels
l’aile devient de plus en plus étroite
que le vent à
supporter est plus violent. Celui
qui essayera de se passer de la corde fera donc bien de se servir d’un aéroplane à rémiges très allongées, comparées au bras et à l’avant-bras, parce que, étant donné le manque de savoir de tout commençant, il
lui arrivera probablement d’être renversé par le courant d’air, ce qui m’est
arrivé bien des fois. Il oubliera ou ne portera pas à temps les pointes en
arrière, il fera inconsciemment un effort pour résister, se tiendra à une allure qu’il ne pourra soutenir ; alors le vent
soulèvera l’avant et la culbute en arrière aura lieu avant qu’il ait eu la
présence d’esprit de la parer.
Pour employer
ce mode de départ, il faut donc des ailes
de la proportion d’au moins 7
: 1. Les types à ailes larges
doivent être formellement rejetés. On y perdra comme surface, mais comme l’expérience se passera sur l’eau, le danger
de l’abordage brutal sera écarté.
Malgré que, pour
les essais, une grande surface est bien utile, elle procure la lenteur dans la course et dans l’atterrissage.
Enfin elle évite l’emploi des vents impétueux. Il faudrait pouvoir concilier
ces deux cas, c’est-à-dire construire un appareil d’essai d’au moins 25 mètres
carré de surface et fait dans les proportions de l’oiseau de mer. C’est chose
faisable, mais il faut reconnaître que ce n’est pas facile à construire. On se
trouve toujours en face de cette terrible difficulté : faire léger et fort, qui
sera bien difficile à vaincre.
Les gens spéciaux
en construction, habitant les capitales, où tout se trouve, auront certainement
des facilités pour produire que ne rencontreront jamais le constructeur
d’occasion, comme moi par exemple, inhabile, mal outillé, rêvant des
dispositions qu’il ne pourra exécuter, parce que tout lui manque et qu’il ne
sait pas faire, qu’il n’a ni temps, ni loisirs, ni capital suffisant.
Il y a là un
effort sérieux à faire de la part de l’humanité désireuse d’arriver au
résultat. Depuis vingt ans, nous avons produit entre tous comme apport
incontestable un fait qui a bien son importance, c’est d’avoir tiré ce problème
de la boue du scepticisme et de la moquerie.
C’est un pas fait et un grand,
malgré qu’il soit insuffisant. C’est
le saut qu’il
faut faire ! ce n’est pas la tolérance à laquelle il faut arriver, mais
à l’engouement ! Alors, seulement, le capital se présentera de lui-même au
constructeur dont on espérera des résultats heureux. Alors, seulement
surviendront la quiétude, le bien-être, la réflexion calme et de longue haleine
qui produiront le résultat sérieux.
Tant que le
malheureux chercheur sera, comme j’en connais trop, hélas, obligé d’attaquer ce
monstre terrible à temps perdu et avec ses menus plaisirs, on est certain de la
non-réussite. Il est absolument sûr qu’on ne fera que des semblants d’essais,
mal faits comme appareils et encore plus mal expérimentés.
Jugez-en,
lecteurs, par ce qu’il faudrait pour le réussir, assurément, certainement,
d’une manière absolue.
Les
expérimentateurs de ce problème, car l’humanité ne devrait pas s’en tenir à un
seul individu qui peut être plus ou moins bien disposé, plus ou moins hardi,
même plus ou moins capable, les expérimentateurs, dis-je, devraient être hors
des soucis de la vie. S’ils ont à songer au lendemain, ils sont perdus, pensent
à ce lendemain, et pas à l’aviation.
Ils devraient
avoir un atelier de construction sérieux, auquel on adjoindrait un ou quelques
mécaniciens spéciaux ; praticiens émérites capables de tirer les aviateurs des
difficultés qu’ils rencontreront à chaque pas. Pensez donc que, à une époque où
je comptais, moins qu’aujourd’hui, il est vrai, je me suis offert des boulons à
18 francs la pièce ; et c’était une erreur par dessus le marché, ils ne
servirent pas. A chaque pas se rencontrent de petites absurdités comme
celle-là, qui sont un détail, en somme, pour le capital sérieux, mais qui sont
un écueil pour le capital menu-plaisir. On craint de renouveler l’erreur qui
épuise les fonds, on perd son temps en réflexions inutiles et... on ne fait rien.
Il faut une
certaine marge dans l’action. Il faut pouvoir oser. Il faut surtout des
conseillers. Là est un grand pas à faire faire à l’intelligence humaine. Le
capital n’est assurément pas facile à décider, mais il sera probablement encore
moins rebelle que l’esprit de
cachoterie de l’inventeur. Il est de fait que l’inventeur est un individu bien
curieux à étudier ! surtout quand il est peu au courant de la question. Mais
laissons cette catégorie dont l’éducation serait un peu longue à faire et
adressons-nous à ceux qui sont au fait depuis longtemps du savoir du jour.
Adressons-nous à ceux qui ont déjà essayé et maintes fois leurs forces, dont
les illusions sont envolées depuis de longues années. Il est probable qu’avec
ceux-ci on pourra arriver à former un faisceau d’intelligences diverses, qui,
bien uni, s’entr’aidant de leurs savoirs particuliers, arriveront au résultat.
Effectivement, les uns seront les penseurs,
les autres les forgerons, ajusteurs, menuisiers, et les aviateurs. Je forge bien mal pour mon compte,
la menuiserie que je produis est absolument incorrecte. Une simple soudure me
demande l’aide d’un praticien ; et ainsi de suite pour chaque détail. Et il en
est pour les autres comme pour moi, puisqu’on prétend que je puis être classé
parmi les adroits.
Oui, tous
s’entr’aidant, ne se cachant rien, empoignant ensemble ce problème, qui est
déjà bien mûr, bien mâché, doivent arriver au résultat.
Il faut
l’association, et forcément, car on ne peut pas tout être à la fois. Supposez,
ce qui a été une fois, que j’aie entre les mains un appareil, je ne dirai pas
parfait, mais à peu près utilisable, qu’en ferai-je, moi qui, certains jours,
suis obligé de prendre des précautions pour descendre sans secousse du trottoir
sur la chaussée ? Il arrivera ce qui est arrivé, que je détruirai cet appareil
pour en construire un plus parfait, ce qui est exact. Seulement, ce nouvel
appareil est resté en détresse, faute de... Oh ! pas de réflexions assurément,
ni de bon vouloir. Ce simple exemple indique qu’il faut le bien-être,
l’aisance, la tranquillité et surtout l’aide d’autrui.
j’avais eu sous
la main un gymnasiarque instruit de la question, j’aurais probablement tenté
l’effort de l’essai, tandis que réduit à mes seules ressources, j’ai abandonné,
et cela sans avoir même pu essayer ce que produirait ce nouvel engin.
Non seulement la
collection d’aviateurs devrait avoir la tranquillité d’esprit, mais elle
devrait être pourvue d’un local spécial, permettant la construction et
facilitant l’expérience.
L’atelier est peu
de chose et n’a rien de particulier : c’est un vaste local situé dans un grand
centre. Paris, autant que possible, afin d’avoir tout sous la main et perdre le
moins de
temps
possible. Mais, en place, le lieu d’expérimentation demanderait d’une manière
impérieuse des qualités particulières qui sont cependant faciles à réunir.
Il faudrait sur
le bord de la Méditerranée[31], mer chaude, une propriété faisant
falaise afin d’avoir des à pics, des barques ; être installé là d’une manière
commode. Un petit atelier de réparation bien fourni, parce que, dans les
expériences on est maladroit, on casse beaucoup. Il conviendrait qu’il y eût un
docteur dans la société, cela donne de la hardiesse, on ne se sent pas
abandonné.
Assurément qu’un
faisceau de quelques aviateurs, parfaitement choisis, munis de toutes ces
facultés d’exécution et d’expérimentation, arriveraient à faire de bon ouvrage.
Ils construiraient divers appareils en hiver et les essayeraient dans la saison
chaude, quand les bains sont possibles.
Que faudrait-il
pour réunir ces quelques personnes chargées d’élaborer ce problème, insoluble jusqu’à
ce jour par l’unité ? Peu de chose comparativement. L’Etat a produit
cette association pour la construction des ballons de guerre. Il a réussi dans la limite du possible.
Le capital particulier est grandement de taille à se mesurer avec cette dépense
; depuis longtemps il en a fait bien d’autres et plus importantes. Si le quart
de la somme dépensée à l’observatoire de Nice avait été attribuée à cette idée,
ce problème irritant serait résolu depuis longtemps.
Il serait réussi,
il n’y a pas à en douter, car, en somme, ce n’est qu’une manière particulière
d’apprendre à patiner. La seule difficulté qu’il présente est de se
familiariser avec le vide, et c’est pour arriver à vaincre notre peur qu’il
faut loisirs, temps et argent.
Laissons les
digressions et revenons aux aéroplanes.
Il est assurément
bien pénible de dire que l’homme ne peut pas se tenir par sa propre force dans
la position de l’oiseau qui plane, à moins de transporter si loin dans l’aile
l’attache des pieds, que le battement en est réduit au point de le rendre
inutile ; mais enfin, c’est un fait qu’il ne faut point cacher.
Les ailes attachées au plafond au point où siège la pression utile, le centre réel de l’aile
—
c’est un point qui ne correspond pas du tout avec le centre de figure ; il se
trouve, d’après mon estimation, pour l’exprimer en termes simples, dans la main
de l’oiseau, à l’endroit situé dans la main humaine, un peu plus bas que les
jointures de l’index et du doigt du milieu, plus près de ce dernier que du
premier et un peu plus avant dans le centre de la main, — les ailes attachées à
ce point, permettent la sustension quelques instants au prix du plus grand
effort, mais songer à stationner de longues heures avec un pareil poids sur les
épaules est absolument impossible. Il faudra forcément pouvoir rendre
l’aéroplane fixe, c’est-à-dire faire supporter cette pression Ipar autre chose
que l’effort de l’homme. Un petit
tour d’adresse suffira : il y a cent moyens de le faire.
Ceci implique que
je pense toujours à l’aéroplane à battements. Il est assurément bien pénible de
penser qu’on doit avoir pour se porter une machine aussi inerte que l’aéroplane
fixe. On désire instinctivement pouvoir aider à la manœuvre, cela soulève
d’autant, c’est autant d’aide à la puissance de sustension de l’appareil. Il est certain
que cela peut être
utile
; mais il faut reconnaître d’un autre côté que cela exige un tel poids en plus
et une telle complication d’organes
que c’est à se demander s’il y a bénéfice ou s’il y a perte.
Ceci, au reste,
est un problème posé aux constructeurs qui savent construire et qui ont tout
sous la main pour bien faire, mais il n’en ressort pas moins que, comme grandes
lignes, comme emploi d’appareils de parcours devant stationner longtemps dans
les airs, on ne se servira que de
l’aéroplane immobile ou immobilisable.
Avec
l’aéroplane fixe, l’homme ne pourra pas produire le départ comme l’oiseau se le
permet ordinairement. Il faut perdre de vue les passereaux et même presque tous
les oiseaux et ne regarder que le gyps fulvus, et encore dans un seul cas, c’est celui du départ de son perchoir. Quand
il a à se mettre
au vol sur un terrain
plat et qu’il
n’y a pas de vent, ce
n’est qu’au prix des plus grands efforts
qu’il parvient à prendre le grand vol. C’est bien l’oiseau de la création le plus
lourd à s’enlever. Je les ai vus souvent dans cette circonstance sous l’action
de la chaleur torride, du manque de courant d’air et d’un excès de nourriture
emmagasinée dans leur jabot, remonter sans honte à pieds, en battant des ailes,
sur quelque éminence d’où ils se lançaient ensuite à toute vitesse, profitant
de la descente pour acquérir la rapidité indispensable à leur genre de vol.
N’est-ce
pas déjà, en moins, le cas de la lourde masse humaine, voulant se faire porter
par l’atmosphère. C’est le même genre de difficultés que cet oiseau a à vaincre. Seulement, l’homme a sur le gyp fulvus l’avantage de n’avoir pas la crainte, ce qui
lui permettra de prendre son temps et des mesures qui lui donneront la facilité
de résoudre cette difficulté.
...Rien
n’est plus facile aussi que de se donner la possibilité de battre et ensuite de
fixer en marche l’aéroplane.
...Il est facile
d’immobiliser les bras et de
laisser libre les mains.
Qu’il est
difficile d’être logique dans l’étude de la reproduction du vol des oiseaux !
Il semble à première réflexion qu’en étudiant consciencieusement le volateur,
en se persuadant du pourquoi de tous ses actes, sachant, en un mot, le vol
théorique comme lui- même, il n’y a qu’à construire un aéroplane reproduisant
le type qu’on choisit comme modèle pour être dans la voie qui mène au résultat.
Il n’en est rien.
On erre complètement !
Cependant les
calculs des tableaux de l’Empire de l’Air nous donnent des chiffres vrais
et précis. Nous pouvons choisir et comparer. Notre dévolu est jeté sur le gyps
fulvus, et nous trouvons qu’une surface de llᵐl4 correspond au poids de 80
kilogrammes. Nous sommes donc certains de construire un appareil en relation
avec l’aéroplane de ce maître voilier, qui vole si aisément, que ses évolutions
font rêver, tant elles sont ce que nous désirons reproduire.
Nous sommes dans
le vrai, assurément, en donnant à notre aéroplane une surface de 11ᵐ40.
Nous avons pour bénéfice la différence qui doit s’établir entre la masse de
7.500 grammes et celle de 80.000 grammes. Je n’ai pu l’établir ; et c’était là
une véritable occasion de faire des X, mais le meilleur a manqué, c’est-à-dire
la base. Ces travaux sont trop incomplets ; il leur manque surtout
l’étude des masses
supérieures à 7.500
grammes et à sustentation
similaire.
En leur absence,
on ne peut qu’envisager d’instinct cette question délicate. L’instinct permet d’affirmer
que le bénéfice de sustentation se continue, que la forte masse gagne toujours
la masse faible, que, par conséquent, l’aéroplane de 80 kilog, établi comme
l’aéroplane de 7.500 grammes, aura plus d’aisance à se faire supporter que ce
dernier qui est le grand vautour.
Ce raisonnement
est donc absolument juste ; c’est la nature étudiée sur le fait et
photographiée : cependant c’est faux, archi-faux !
C’est faux et
c’est juste : juste au point de vue théorique ; faux au point de vue pratique.
Effectivement, il n’y a pas à douter un seul instant
que le gyps fulvus, grandi
au point de peser 80 kilog., ne se trouverait plus
facilement soutenu par cette surface de llᵐ40 qu’il ne l’est par son mètre
carré ; nous mêmes, hommes, serons exactement dans le même cas, nous volerons
au moyen de cette surface de 11 mètres plus facilement qu’il ne vole.
Seulement, il y a
une petite différence qui provient du point de départ. Nous volerons
certainement plus facilement que lui... quand nous saurons voler.
Ce point de départ
est donc absolument faux. Nous avons construit des appareils bons assurément
pour le maître, mais tout à fait insuffisants pour l’élève terrien qui ne sait
pas voler.
Il faut donc,
pour être dans le vrai, renverser le raisonnement et se dire ceci :
Je ne sais pas voler ! J’ai horreur
du vide ! Le choc est mon effroi ! La grande
vitesse me fait une peur
terrible !
Réduisons le plus
possible toutes ces causes d’insuccès qui paralysent tout, qui font qu’on y
regarde à deux fois avant de passer de la théorie à la pratique ; que la vue de
l’aéroplane construit, fini, solidement fait ; ne vous dit rien qui vaille ;
que surtout, quand on l’essaye, on remarque que, par le calme, il ne porte
presque pas, et que par le grand vent,
il vous bouleverse, qu’on ne sait plus s’en servir, qu’on perd la tête et qu’on
n’ose retourner à s’exposer ainsi ; que, en résumé, pour tout individu qui
n’est absolument enflammé, rongé par ce problème, il est sage de laisser les
ailes aux oiseaux et de ne pas s’en affubler, si on ne veut pas se casser le
cou.
J’ai eu cette
sensation tout autant qu’un autre, et plusieurs fois, je parle donc par expérience.
L’aéroplane qui ne porte pas ou qui vous bouleverse n’a rien d’enlevant ou
l’est trop. J’ai bien réussi quinze secondes, mais je dois avouer que ce n’est
pas ma faute : c’est le vent qui a réussi à se mettre d’accord bien malgré moi
avec ma vitesse et ma surface.
Résumée : il est
bien difficile de réussir en s’y prenant ainsi.
Pour arriver
à quelque chose de plus sensé, il faut bien se pénétrer
de l’horreur que notre
organisme a du vide.
Impressionné par cette
idée, on arrive à se demander ce que notre instinct dirait s’il se trouvait en
face d’un aéroplane dont le mètre carré, au lieu d’être chargé de 7.500
grammes, ne l’était plus que de 1.000 grammes.
Il est de fait
que si on pouvait construire une pareille machine, qu’elle fût complète comme
direction verticale et horizontale, l’instinct de la conservation aurait peu-à
dire.
Essayé par le
calme, cet appareil donnerait un arrêt de chute tellement sensible qu’il
solliciterait le retour de l’expérience, la reproduction de cette sensation
étrange de tombée en parachute.
La descente de 5
mètres de hauteur faite avec des aéroplanes de 12 mètres et même de 15 mètres carrés est supportable, mais
n’est pas une jouissance. En tout cas, pour mon compte, j’avoue, qu’elle ne
m’engageait pas à augmenter la hauteur de la chute. Avec l’appareil d’un mètre
carré de surface par kilogramme de poids, il doit en être tout autrement. Quel effet produit-il ? Je l’ignore, ne l’ayant jamais
construit, vu la difficulté de l’exécuter, mais j’espère bien y parvenir
avant d’aller rendre
compte de mes actes au grand
Dieu de l’Aviation. D’autres, en tout cas, le savent. Tous ceux qui sont descendus
en parachute étaient dans ces conditions de ralentissement de l’effet de
l’attraction, car en pratique, un parachute est environ chargé d’un kilogramme
par mètre carré et tombe de 2ᵐ50 par seconde, ce qui est
insignifiant pour un homme actif.
La bête qui, en
nous, regimbe devant le danger sera donc calmée ; elle envisagera petit à
petit, sans épouvante, cet exercice curieux, et finira par s’y accommoder et le
trouver amusant. Il ne restera plus alors qu’à voir ce qu’elle dira des autres
évolutions.
Pour ne pas
l’effrayer, nous supprimons le départ par la chute, car autre est de choir
verticalement, lentement, la queue étalée et les ailes en avant, autre est de
se lancer la tête la première dans le vide, la queue repliée et les pointes en
arrière, afin d’acquérir la vitesse qui soutient. Donc, nous nous adressons à
un autre mode de départ.
Par un vent de 10
à 15 mètres, les oiseaux de proie, les oiseaux de mer s’enlèvent très souvent
en ouvrant simplement les ailes. J’ai parlé longuement de cet enlèvement dans
un autre chapitre.
C’est ce moyen
qu’il faut employer. Seulement, au lieu d’être obligé de braver l’action d’un
courant de 10 à 15 mètres de rapidité, qui est un véritable vent, par
conséquent difficilement maniable, on pourra très probablement, grâce à cette
immense surface de 1 mq par chaque kilogramme de charge, produire cette même
manœuvre par une vitesse de courant d’air
de 5 mètres qui est une gentille brise qui n’effrayera pas. Cette grande surface
permettra
donc les évolutions du vol par un vent minime. Là est le but cherché : ne pas
effrayer par la vitesse. Assurément qu’il faudra craindre les vents plus
rapides et même fortement les redouter, mais, comme nous en sommes aux essais,
aux premiers pas dans l’air, nous choisirons notre temps et ne nous livrerons
qu’à l’action d’un vent faible et cesserons dès que l’activité du courant
deviendra une gêne.
En résumé, au
moyen de cette immense surface, nous atténuons le choc de tombée verticale et
le rendons tout à fait supportable, puis, nous faisons passer la vitesse réelle
du vent ou de translation nécessaire de 10 mètres à 5 mètres. C’est donc le
choc et la vitesse diminués, c’est l’essai bénin, en chambre, que cet aéroplane
nous procure.
Assurément on ne possédera
pas un appareil pratique, mais on aura l’outil qui permettra d’accoutumer nos
nerfs à l’acte insolite du vol auquel ils ne veulent pas se soumettre.
Comment arriver à
construire un pareil aéroplane ?
Il faut que son
poids soit faible ; 25 kilogrammes environ sont tout ce qu’on peut admettre de
plus lourd. On est donc cerné par le poids.
J’avoue n’avoir
pas absolument élucidé la question, puisque je ne l’ai pas construit ;
cependant, exposée comme elle va l’être, on sent qu’on approche du but.
Gêné
de beaucoup de côtés par les difficultés de construction, de résistance de
matériaux, etc., j’abandonne
le type
aéroplane dans lequel l’aile est construite en
deux portions
reliées par une charnière, organe difficile à produire, pour employer l’aile en
un seul morceau, qui est d’une construction infiniment plus simple et plus
solide.
Un moyen de la
faire rigide et légère est de s’adresser à un fort bambou (fig. 5), jeune, par
conséquent qui n’est pas encore plein ni lourd ; se servir de cette puissante
tige de 0ᵐ10 ou 0ᵐl2
centimètres de diamètre comme élément osseux de l’aile et des tiges fines qui sont sa ramure, parfaitement fixées à
lui-même par la nature, comme pennes de plumes.
On peut également
employer la hampe d’agave ou celle du grand fucroya
spinosa, bois légers, fibreux et parfaitement résistants, qui pourront
remplir ce même emploi d’ossature de l’aile.
On aura eu grand
soin de choisir les bambous ou les hampes de courbes pareilles et contraires.
C’est un point intéressant à soigner, si on ne veut pas être ensuite obligé de
corriger constamment les défauts de marche produits par la dissemblance des
plans. On arrive assez facilement à obtenir des formes correctes et semblables
en prenant les bambous ou les hampes
avant leur maturité. A cet état, toutes les parties ont la souplesse du bois vert.
On courbe toutes
ces branches fines,
toutes ces tiges
; on les dévie de manière
à fournir le bâti cherché.
Comme elles sont fixées à la grosse tige par leur attache
naturelle, elles tiennent donc parfaitement.
Ces hampes ou ces
bambous ne sont jamais absolument droits ; on profite de cette courbe pour
faire avec la pointe la bordure du bout de l’aile. Pour cela faire, on cintre
l’extrémité et on la maintient dans cette position de ressort tendu au moyen
d’une attache. On dispose ensuite les petites branches, à chaud s’il le faut,
de façon à produire avec elles un bâti fixe sur lequel viendra s’étendre la
toile.
Quand tout a
bonne figure on laisse sécher ce bois qui conserve alors la position qu’on lui
a donnée.
Enfin, on fixe sur
cette carcasse un filet en cordonnet de soie, bien étiré, bien attaché aux cordes, aux branches et aux tiges. Les
mailles de ce filet peuvent avoir 5 à 6 centimètres de côté. Le filet est là
pour lier, par un grand nombre de points, une étoffe de soie excessivement
légère, dont le poids sera d’environ 50 grammes par mètre carré.
On peut, au
besoin, remplacer la soie par du papier de Chine qui n’a qu’un défaut, c’est de
craindre l’eau. Huilé, il ne se mouille pas, mais perd sa propriété spéciale
qui est la légèreté.
Pour obtenir le
transport à l’avant ou à l’arrière des pointes des ailes, voici comment on peut
s’y prendre : L’homme doit être muni d’un corselet solide (fig. 6), auquel viennent se lier les ailes. Il doit être fait en bois et en
bonnes lames d’acier, le tout recouvert de parchemin bien tendu. Ce
corselet a des bretelles ; il emboîte bien le thorax, sans gêner la
respiration, et doit coller sur l’aviateur comme
le fait un corset de femme. Ces bretelles ont pour mission de pouvoir supporter l’aéroplane
sans ombre de souffrance. Du bas de ce costume partent de nombreuses courroies
qui passent entre les jambes, s’attachent à de larges jarretières, à des
sous-pieds et à une foule de points de tout le bas du corps. C’est donc un costume complet.
Corselet et costume
demandent à être un chef-d’œuvre, car ils
portent
l’appareil et l’aviateur ; on comprend donc qu’on doit donner tous ses soins à un
organe aussi important. C’est donc affaire à un corsetier expert de mouler
parfaitement les formes du sujet dans ce vêtement particulier et de construire
solidement.
Le but de ce corset si précis est de relier les deux ailes au corps de l’homme.
Pour cela faire, il a devant la poitrine un busc très fort qui est fait d’une
large plaque d’acier sur lequel sont fixés deux crochets A A’ dans lesquels
viendront se poser les armatures de fer des ailes.
Ces deux
armatures sont le point délicat de cet aéroplane ; c’est à cet endroit que se
produit le grand effort de suspension et souvent de suspension et de pression.
Il faut donc leur donner tous les soins imaginables, car rien n’est plus
mauvais qu’un appareil auquel on n’a
pas une confiance absolue.
Voici comment
on pourrait s’y prendre pour faire solide
et léger.
S’adresser au
bois avec lequel on fait les fauteuils balançoire. Ce bois se courbe au feu
dans la perfection et il a une force remarquable. Produire avec deux morceaux
courbes de ce bois, reliés entre eux d’une façon parfaitement solide l’organe
ci-dessous.
En A A’ sont les
deux crochets fixés, rivés à la plaque d’acier qui fait le busc du corset. Ce
sont deux morceaux d’acier qui supportent l’aviateur, donc il faut leur donner
tous nos soins. On aura,
au reste, l’occasion de les essayer
nombre de fois en chambre
avant de s’en servir sérieusement, et on aura sur
leur solidité une idée absolument faite. Sur ces deux crochets faisant âme de
charnière, les deux ailes peuvent se mouvoir en avant ou en arrière.
Au point B, se
trouve un autre ajout. Ces deux bois que nous venons de décrire, reliés
ensemble dans la perfection, ne faisant qu’un, ont à se joindre au bambou. Cela
est assez facile, grâce au creux évidé du bambou dans lequel il est facile de
les loger d’une façon précise. Ces deux raccords demandent un ajustage parfait,
des garnitures légères mais énergiques, et des colles qui ne lâchent pas.
Voyons maintenant comment se produit
la direction verticale.
L’aviateur a son corset
; les deux ailes y sont fixées et retenues par leurs écrous. Elles peuvent donc
avancer ou reculer à se toucher à l’avant et également en arrière.
Si la
construction se bornait là, il arriverait ceci, c’est que les ailes, dès que
l’horizontalité ne serait pas absolue, tomberaient par leur propre poids en
avant ou en arrière ; peut-être même une en avant et une en arrière ; il faut
donc régler ce mouvement intempestif qui occuperait constamment les mains et
l’attention. Pour cela faire, on peut se servir de la rubrique suivante :
L’aile, du côté
du corps, est terminée par un bambou solide, diamètre 0,03 à 0,04. Il est fixé
à la tige du flox, la hampe d’agave ou le gros bambou au moyen d’une ligature
en fer blanc le tenant en position d’une manière absolument rigide. Ce bambou
long comme les autres pennes dépasse au contraire en avant d’une longueur d’un
mètre. On se sert des deux extrémités
de ce bambou pour l’immobiliser au moyen de cordes solides, qui vont s’attacher au loin dans les parties
solides de la pointe de l’aile. Il fait donc légèrement l’arc sous le tirant des deux cordes,
mais il est devenu absolument rigide, étant fixé au milieu par sa ligature solide en fer blanc fort
et vigoureusement soudé et par les deux ou plusieurs cordes qui tirent
fortement.
Il y a donc deux
bambous pareils que l’aviateur peut toucher en tendant les mains, un à chaque
aile. On relie les deux bouts qui dépassent d’un mètre en avant par une corde
en caoutchouc grosse comme un porte-plume et les deux bouts d’arrière par un
pareil caoutchouc. Ces deux cordes élastiques sont fixées avec une tension
étudiée, telle, que ce mouvement en avant ou en arrière des ailes est
exactement entravé. Il faut que les ailes pendues verticalement n’accusent pas
de mouvement bien sensible, n’obéissent presque pas à la pesanteur. Si un caoutchouc ne suffit pas, cm en met un
second, jusqu’à ce qu’on ait entravé complètement la possibilité de ce
mouvement.
Les ailes sont
donc immobilisées tant qu’elles ne sont attirées que par l’attraction, et c’est
ce qui est cherché, mais il faut cependant pouvoir produire des mouvements et
en avant et en arrière. On y parvient en attirant ou en repoussant les ailes
avec les mains, soit en tenant les tiges des bambous d’arrière, soit en tirant
sur les cordes de caoutchouc qui sont tendues transversalement devant et
derrière l’aviateur. On trouble donc par sa force personnelle cet équilibre de
tension des cordes élastiques.
Il s’agit
maintenant de rendre d’autres mouvements impossibles, tels que, par exemple :
un transport exagéré des pointes en arrière qui produirait une chute qu’on ne
pourrait plus entraver, ou encore
un transport excessif
des ailes en avant qui ferait tomber
l’aéroplane en arrière. On y
parvient en attachant à ces deux bambous, non plus des cordes élastiques, mais
au contraire de véritables cordes, parfaitement solides, incassables, à triple
exemplaire, qui, celles-ci, n’arriveront à être tendues que quand ce mouvement
de va-et- vient de l’aile arrivera à l’amplitude extrême qu’on veut permettre.
Elles faciliteront en même temps l’intervention des mains. Effectivement,
l’aviateur aura devant et derrière lui, une espèce d’échelle dont les bambous
formeront les montants ; et les six cordes à l’avant et autant à l’arrière
feront les échelons sur lesquels une traction communiquera un mouvement
d’avance ou de recul à la pointe des ailes.
Il est clair que toutes ces cordes, élastiques ou non, doivent
être réglées comme
longueur et comme tension de la manière la plus précise. Le tout doit
être d’une solidité à toute épreuve, malgré que nous n’ayons
affaire qu’à un appareil d’expérimentation. C’est, au
reste,
pour cela, que nous nous permettons des ressorts de caoutchouc qui gèlent, qui
brûlent au soleil, mais qui cependant sont suffisants pour produire un essai
sérieux.
Dans la tension
des cordes en caoutchouc, il faut viser à mettre les ailes dans une position
telle, à trouver par une série d’expériences préliminaires, que l’aéroplane et
sa charge fonctionne bien dans l’espace. Il faut donc que les caoutchoucs, non
seulement détruisent par leur tenue les effets de l’attraction, mais aussi la
légère action de traînement de l’aile dans l’air.
Il faut,
avant de se décider à remplacer le corps qui représente
comme volume et comme poids l’aviateur, que l’angle de course de 10 degrés
environ de chute ait été fourni un grand
nombre de fois ; alors seulement, on peut songer à le remplacer. Dans ces conditions, on sait une chose et qui doit
être certaine, c’est que, par le calme, en n’intervenant en rien, on possède
l’équilibre vertical ; et c’est déjà un point intéressant qui est tranché.
Cette étude préliminaire
de l’angle des ailes qui procure une course régulière de chute minime, doit
être faite au moyen de la tombée verticale de l’aéroplane et de sa charge. Pour cela faire, il faut prendre
l’appareil par l’arrière, admettons pour la simplicité de l’exposé que ce soit
par la queue, d’une hauteur que j’estime à au moins 25 mètres. L’aéroplane
pendu la tête en bas est abandonné à la chute.
Il tombe donc,
mais se retourne lentement, c’est-à-dire se met à courir sur les creux de ses ailes,
si elles ont été mises
légèrement en V, et non sur le dos. L’angle
utile de ce V me semble être de 170 degrés entre les
deux branches du V ; c’est presque l’horizontale, mais c’est plus que
suffisant. Il se retourne donc, et arrive à glisser horizontalement, après 25
mètres de chute, si l’angle précis, nécessaire à cette évolution, a été trouvé
du premier coup.
Admettons, ce qui
sera assurément, que cet angle ne soit pas juste. Il sera ou trop fort ou trop
faible. S’il est trop fort, c’est-à-dire si les pointes des ailes sont trop en
avant, l’aéroplane se retournera bien avant d’être tombé de 25 mètres. Non
seulement, dans ce cas, il atteindra rapidement l’horizontale, mais la
dépassera de suite. Arrivé au sommet de la montée, il rechutera pour remonter
encore, pour remonter et retomber, et ainsi de suite. La course qu’il produira
ne sera donc pas une droite, mais sera la ligne du haut de la figure 7.
J’ai éliminé le
cas où les ailes auraient été tellement portées en avant qu’elles auraient
forcé l’aéroplane à produire une série de révolutions sur lui-même.
L’aéroplane ne produit donc que des ressauts. Pour corriger ce défaut de marche, il suffit
de régler les ailes de manière à ce que l’angle soit légèrement plus aigu. Nous reproduisons, alors, comme marche, la
seconde
ligne de la
figure 7. C’est déjà mieux. En portant de plus en plus les pointes en arrière,
nous arrivons à produire des chutes de plus en plus régulières, dont le
graphique sera la troisième, la quatrième et finalement la cinquième ligne de
la figure 7.
Là, nous y sommes
! c’est la marche cherchée, rectiligne et sans le moindre
ressaut : par
le calme.
Reste l’autre
cas, c’est-à-dire celui dans lequel l’angle comme première expérience est trop
aigu. — Là, il n’y a pas d’erreur, c’est la continuation de la chute la tête la
première. Le relèvement s’indique, c’est vrai, mais dans les 25 mètres, il n’a
que le temps de se figurer plus ou moins et non de se produire. L’aéroplane va
donc piquer une tête dans l’eau.
Pour corriger
cette mauvaise marche, il faut reporter un peu les pointes à l’avant,
lentement, et on obtiendra alors, par une série d’expériences à l’inverse des
précédentes, des chutes de plus en plus relevées qui ramèneront à la course
rectiligne.
Il convient,
pour ne rien briser, de construire auparavant un petit aéroplane, parfaitement semblable au grand,
en carton et papier, et d’expérimenter avec lui. Quand
l’angle pratique est trouvé,
on le reproduit vigoureusement sur le grand aéroplane ; on est sûr alors de n’être pas bien loin de compte. On peut
dire que c’est comme tournure quelque chose comme l’aéroplane qui serait entre
le n° 2 et le n° 3 de la fig. 8 (patge 328).
Cet angle trouvé,
fixé par les élastiques d’une manière précise, ne correspond qu’au calme
absolu. S’il y a du vent, l’action de ce courant d’air produit le même effet
sur l’aéroplane que si les pointes étaient trop portées en avant ; c’est là que
la vie doit intervenir. Pour détruire cet apport de force, il faut que
l’aviateur transporte de force ses pointes à l’arrière ; et ce transport devra
être d’autant plus accentué que le vent sera plus actif.
Une fois l’angle des
ailes établi, pour produire dans l’air calme la chute la plus minime et la
course absolument rectiligne, voyons comment on devra expérimenter pour le
départ ou l’enlèvement par le vent, acte de vol bien moins effrayant que la
chute de 25 mètres de hauteur.
Du premier coup,
il s’agit d’intervenir à outrance, c’est-à-dire tirer à fond sur les cordes
d’arrière afin de porter le plus possible les pointes des ailes à l’arrière.
On peut poser
comme principe, par rapport à cet aéroplane particulier, que devant un courant
aérien de 30 mètres de vitesse, les ailes complètement portées à l’arrière, ne
seraient pas un déplacement suffisant du centre de pression pour équilibrer ce
courant ; l’appareil serait enlevé. Par 25 mètres, par 20 mètres, le même effet
serait produit très probablement. Ceci nous indique que ce sont des courants
auxquels il ne faut pas s’exposer,
parce que l’aéroplane n’est pas disposé pour pouvoir leur tenir tête. L’oiseau
peut diminuer sa surface jusqu’à fermer les ailes, cette manœuvre ne nous est
pas permise. Là, est la différence.
Mais c’est le cas
extrême qui est exposé là.
On aura grand
soin de n’expérimenter que par des vents de 10 mètres au plus. A cette vitesse
de l’air, les ailes portées en plein à l’arrière seront un déséquilibrement
suffisant pour pouvoir rester à terre. Tel est du moins l’enseignement que
fournit l’oiseau, quand on l’étudie dans ce cas spécial.
Pour être enlevé,
il s’agira seulement de moins tirer sur les cordes. En tirant moins, les
pointes reviendront toutes seules à l’avant de la quantité que leur permettra
la traction. Quand elles seront assez à l’avant, l’enlèvement se produira.
Pour tirer
commodément sur ces cordes de l’arrière, il conviendra de les faire
correspondre à l’avant, par un moyen adroit, tel que deux poulies par exemple
sur lesquelles passeront des cordes se reliant aux élastiques qui font échelons
; elles seront ainsi à la main et la traction sera bien plus facile à opérer.
Si l’expérience
présente pouvait se faire par un courant absolument régulier, l’enlèvement
serait absolument précis quand les ailes arriveraient à atteindre comme
position en avant le point utile ; mais l’air n’a jamais des vitesses
régulières ; c’est pour cela qu’il faut la vie pour parer à tous ces écarts de rapidité
de l’onde aérienne.
Avec un courant
parfaitement ponctuel comme vitesse, on pourrait songer à obtenir l’enlèvement
automatique, mais il n’en est pas ainsi ; l’irrégularité commande
l’appréciation instinctive de nos organes ; c’est ce qui fait, qu’au moins pour
commencer, la mécanique automatique doit être laissée de côté.
Afin de donner de
la stabilité à l’appareil, pour éviter le tour de force de l’équilibre instable
perpétuel des oiseaux sans queue, pour fournir un troisième point d’appui tout
à fait commode à utiliser, on doit construire un appareil caudal. Il faut
partir de ce principe que, par un vent actif, la queue est toujours fermée chez
l’oiseau. L’être qui sait voler ne l’étale, ne commence à s’en servir, ne
l’utilise en un mot, que quand le vent diminue et arrive à avoir moins de dix
mètres de vitesse, ou que sa vitesse n’est que de dix mètres, ce qui est
toujours tout un.
C’est donc un
organe de vol lent.
Une queue étalée
par un frottement d’air de plus de dix mètres est un contre-sens, c’est pour cela que je m’occupe peu de cet organe dans le vol de parcours.
Elle est indispensable dans le vol lent qui est le cas
présent, mais est au moins inutile dans le vol rapide ; la preuve en est qu’une
infinité de fins volateurs n’en ont pour ainsi dire pas : canard, oie, pélican,
flammant, puffin, albatros, enfin tous les oiseaux qui ont les ailes étroites.
Ce serait bien le
cas d’émettre l’aphorisme suivant :
L’oiseau
qui a l’aile étroite n’a pas de queue, et celui qui l’a large a la queue très
développée, témoin les gallinacés, les passereaux, corbeaux, etc.
Comme nous
n’avons qu’un désir, c’est d’aller le plus lentement possible, elle est donc
obligatoire dans cet aéroplane et doit même avoir une réelle importance.
La queue devra
être produite par l’allongement des deux barres de l’arrière. Ces deux finales
de l’aile du côté du corps de l’aviateur, devront faire les deux tiges
rectrices de la queue, et cela en laissant leurs bouts fins s’allonger d’un
mètre et demi plus loin que le bord de l’aile. Je ne les ai séparés, coupés
momentanément que pour rendre la description de l’appareil plus facile.
Cette queue,
comme on la voit indiquée dans les figures de La planche 8, est donc nulle pour
les grandes vitesses, augmente de surface à mesure que la rapidité du
frottement d’air à supporter devient moins forte et finalement par le calme
absolu, vent 0, arrive à son plus grand développement. C’est alors, l’allure du
planeur, toutes voiles au vent, présentant à la brise, trop faible pour le
porter, jusqu’à la dernière de ses plumes de support.
Dans la direction
verticale de cet aéroplane, c’est-à-dire évolutions faisant monter ou baisser
l’appareil, on peut donc dire qu’il n’y a que deux manœuvres, et qui ne sont
jamais simultanées : ouverture et fermeture des ailes. Une seule traction pour
l’un ou pour l’autre de ces actes, et cette traction pourra très facilement, si
on le juge nécessaire, commander du
même coup l’enlèvement ou l’abaissement de la queue.
La direction
horizontale, c’est-à-dire l’organe qui permet de se diriger dans un plan
horizontal, est visible sur le dessin 3 en A. Comme on le voit, il est composé
d’un plan spécial situé où sont les plumes annulaires dans l’oiseau. Cette
surface est garnie de lames minces de jonc, parfaitement souples, recouvertes
comme le reste de l’aéroplane.
Il s’agit pour se
diriger horizontalement, pour gêner la translation d’une aile, pour qu’en un
mot elle aille moins vite que l’autre, de gauchir par une traction
opérée au point
cette portion de la surface portante,
afin de se
procurer un retard de glissement. Une simple
corde courant dans
de petits anneaux produit cet effet. Cette corde vient aboutir à portée des
mains dont l’ouvrage presque spécial sera d’avoir à fournir à ce genre de
direction. La direction verticale qui demande beaucoup plus de force devra être
faite par les jambes qui sont inoccupées ; les mains auront donc relativement
beaucoup de liberté.
Il va de soi que
ce plan directeur n’est libre et souple que de haut en bas. Quand il n’est pas
en action, il doit porter tout comme le reste de l’aile. On doit donc
l’empêcher de courber en haut sous l’action de la pression de l’air. On y
arrive tout simplement en laissant
continuer le bâti et le filet contre lequel il viendra se plaquer ; seulement
cette portion de la surface qui est un organe à part n’y est pas attaché.
Voici copie de
quelques spéculations sur les dimensions à donner à cet aéroplane à grande
surface, mais nullement pratique, je le répète, et les moyens de le construire.
La figure 8
représente cet appareil sous quatre allures.
1° Vent le plus violent
que l’aéroplane peut supporter ; c’est la position à avoir pour résister au
courant aérien. Queue nulle, complètement fermée, charge absolument à l’avant ; il faut donc pour être enlevé à
cette allure, malgré la grande surface de cet appareil, un vent qu’on peut
estimer à environ dix mètres de rapidité. Il est déjà dit que, au delà de cette
vitesse de courant, on doit s’abstenir de toute expérimentation. Il y aurait à
craindre l’effet suivant qui se produirait certainement : l’aéroplane serait
enlevé, pointerait en l’air, repiquerait en avant, et si, à cet instant, la
manœuvre juste n’était pas faite, la chute serait très rapide.
On pourrait la parer en possédant bien le sentiment
du vol ; il s’agit seulement de laisser aller les
pointes en avant, la chute serait arrêtée net, mais, en somme, quoique ce soit
une manœuvre ordinaire, elle serait tellement exagérée qu’elle deviendrait dangereuse.
2° Dans ce
croquis, on a déjà la compréhension de la stabilité de cet appareil. C’est la
tournure de marche du planeur par le vent moyen. C’est sous cet aspect qu’on le
voit généralement.
3° Tournure
de l’aéroplane par le vent de cinq mètres. La queue se développe et entre en action ;
4° Air immobile. Aspect
du grand vautour produisant des orbes dans lesquels la chute est excessivement minime
et attendant l’arrivée de la brise
qui le rehaussera. Comparez, ce croquis à l’ombre du gyps fulvus. Je n’ai pu faire plus
ressemblant.
Voyons du premier coup ce qu’on peut rêver de plus grand comme surface.
Voici quelques notes précises qui vont nous être utiles.
Je possède les
bambous suivants dont voici les mesures et les poids :
Longueur |
8ᵐ10 |
Poids |
6762 |
grammes |
− |
3ᵐ80 |
− |
1190 |
− |
− |
3ᵐ68 |
− |
1050 |
− |
− |
3ᵐ68 |
− |
850 |
− |
Les pointes
de ces quatre exemplaires sont coupées ; ils pourraient facilement avoir cinq mètres de longueur sans peser beaucoup
plus. Ils sont exactement secs. A l’état vert, leur poids est au moins double
de celui qu’ils ont quand ils sont complètement desséchés.
Le premier de ces
bambous est le bambou gigantea des
îles de la Sonde, il atteint souvent 25 mètres de hauteur et a 0.30 de
diamètre. Les trois autres sont la variété commune ; ils ont poussé dans
l’alluvion du Nil.
Je me suis
aperçu, en utilisant des bambous du midi de la France, que la ténacité,
l’élasticité et la légèreté de ce végétal varient beaucoup. Ceux qui poussent
en Egypte sont infiniment plus résistants et beaucoup plus légers. La nature du sol dans lequel ils croissent
et, peut-être, l’action du climat doivent fortement influer sur ces qualités.
L’âge auquel est
coupé ce végétal a aussi une grande importance ; un bambou très jeune n’a
presque pas d’épaisseur. Quand il est bien sec, il se déforme assez souvent,
sans cependant casser. Cette déformation lui sort peu de sa force. Il est alors d’une légèreté
qui
surprend.
Un sujet pareil âgé de trois ans, doit peser certainement cinq fois plus que
celui qui est coupé l’année de sa croissance. Plus âgé, les vides intérieurs diminuent, et cette tige
prend alors une densité qui est au moins égale à celle du chêne.
Il est donc possible
de construire le bambou suivant
en ajoutant ensemble
deux bambous d’espèces
différentes :
Prendre 5 mètres de la partie utile du bambou géant, partie qui pèserait
environ 4 kilogrammes, auquel on ajouterait un bambou plus mince du genre du type n°2, auquel on laisserait sa pointe fine. Il aurait
facilement 5ᵐ50 de
longueur
pour un poit de 6 kilogr. Soit pour deux 12.000 gr.
Ajoutons pour les petites ramures diverses
des ailes 2.000 −
L’appareil
qui lie l’aéroplane au corset,
bois et métal 1.500 −
Les deux bamous de l’arrière des ailes 2.500 −
Les cinq rectrices de la queue 2.500 −
Les cordes de caoutchouc 2.000 gr.
Le corset 2.500 −
Filet, cordes de tendue et papier de Chine 2.000 − Divers 1.000 −
Poids de l’aviateur 55.000 − Total 83.000 −
Qui sont
supportés par :
Envergure
21 mètres plus 1.50 (appareil liant l’aile au corset) soit 22,50. Largeur 84mq37 de l’aile 6
: 1=3,75 ; ce qui produit
pour la surface des ailes
Queue=1/3 de la
surface des ailes 28mq12
qui font un total de 112mq49
Le mètre carré est donc chargé de 738
grammes. C’est presque la nyctionome
!
Si nous tenons
compte des surfaces que l’on peut ajouter en B. fig. 5 ; nous arrivons à la
charge de cette chauve-souris qui est de 637 grammes.
C’est donc l’excessif
dans la légèreté, mais cet appareil n’a aucune tenue ; ces bras de levier de 11ᵐ25, chargés
chacun à leur extrémité de la moitié
de 55 kilog. font que tout plie et se déforme. Ce n’est donc pas
pratique.
Cependant, il y a
un moyen de tourner cette difficulté.
La première idée
de cet appareil d’essai était, afin de mettre toutes les chances de notre côté
et d’éteindre autant que faire se peut les difficultés de construction, de
s’adresser à l’enfance. Effectivement, les différences de poids entre l’adulte
et l’enfant vont du simple au double, soit : 60 et 30 kilog. ; masses auxquelles correspondent des diminutions de
surface
proportionnelles. Cela diminue beaucoup l’envergure qui est l’écueil sérieux de
ce problème. Les deux bambous qui font l’ossature du présent aéroplane, qui
plient d’une façon qui les rend inutilisables sous les 60 kilog. qui font le
poids de l’homme, reprennent une courbure pratique sous celui de 30 kilog.,
poids de l’enfant.
Mais l’enfant
a de grands défauts, il manque de jugement, de hardiesse et de réflexion. Il faut une éducation spéciale et de longue haleine pour arriver
à lui faire comprendre que l’air porte et qu’on peut patiner sur lui comme on
le fait sur la glace.
Voyons maintenant quelque chose de plus pratique.
Servons-nous de
bambous de 6,25 seulement de longueur ; soit 12,50 pour les deux, auxquels nous
ajoutons 1,50 de charnières. Ce qui fait une envergure de 14 mètres. Nous avons
donc :
Largeur de l’aile
6 : 1=2,33.
Soit donc, surface des ailes 32mq62
Queue 1/3 de la surface des ailes 10mq87 Surfaces ajoutées à l’avant et à
l’arrière, soit une demi-aile 8mq15
Total 51mq64
Qui sont chargés du poids de l’aviateur 55 kilog
Et de celui de l’aéroplane, soit 25 −
Total 80
−
Le mètre carré
est donc chargé de 1.545 grammes. Ce n’est pas le kilogramme promis par mètre
carré, mais c’est un appareil qu’il est possible de construire ; en tous cas
c’est la charge des oiseaux extra-légers : alouette 1.592, hirondelle de
cheminée 1.564 grammes.
Il y aurait
assurément à s’entretenir d’une foule d’autres évolutions possibles avec cet
aéroplane tout ankylosé
qu’il est. Ainsi,
il est possible de lui faire produire
toute la série
de manœuvres suivantes :
Aile gauche en avant
et aile droite en arrière et vice versa, à tous les développements et
fermetures possibles auxquels on peut joindre le retard de mouvement de
translation horizontale, soit d’un côté, soit de l’autre. Il est facile, en
réfléchissant, d’entrevoir la complication de
mouvements qui résulte de ces déséquilibrements et directions différentes.
La queue, elle-même, entrant
complètement en action,
produit des combinaisons d’effets très singuliers. Pour la rendre apte à produire ces
évolutions utiles de direction, il faut lui permettre d’autres mouvements que
ceux de la verticale. On y parvient très facilement au moyen d’une série de
cordes minces s’attachant à chaque pointe de bambou, et se réunissant devant
l’aviateur en un faisceau organisé pour le mouvoir facilement.
L’enseignement
fourni par l’oiseau va assurément bien au delà de ce qui est écrit dans ces
deux ouvrages [32] ;
le maître-voilier n’est pas avare de leçons. Ce serait à ce point précis que
devrait-être placé le chapître qui a nom « Du
vol théorique » [33] ;
mais en y réfléchissant mieux, en jugeant sainement l’absence complète de
savoir de l’aviateur, son ignorance forcée de par le manque de sujets d’étude,
en voyant avec quelle incrédulité on a accepté le vol à
la voile, décrit dans l’Empire de l’Air,
il semble qu’il convient de s’arrêter là.
Cette fraction de
savoir du vol du planeur, dans lequel les deux pointes des ailes ont des
mouvements similaires comme avancement ou recul, suffit amplement pour arriver
à produire les premières démonstrations. Dès qu’elles auront été produites
pratiquement, elles lanceront à toute vitesse les réflexions des aviateurs dans
cette voie, où ils n’osent actuellement s’engager faute d’exemples ; alors les
recherches des manœuvres nouvelles seront de tous les instants, et la perfection
du vol arrivera rapidement et dépasserai assurément de bien loin le chapitre du
vol théorique qui a si fort prêté à la critique.
Poussé d’un côté par
mon inactivité et de l’autre par le désir de pratiquer l’aviation, je reprends
à nouveau le chapitre Aéroplane à moteur, de l’Empire de l’Air, seul moyen qu’il me reste de produire le vol à la
voile. Je le simplifie et je dis qu’il est bien difficile de concevoir la
possibilité de faire ramer des ailes de 25 à 30 mètres d’envergure. Le
battement produirait sur une pareille longueur des mouvements élastiques bien
intempestifs, qui assurément seraient d’un grand danger pour la solidité.
Arrivé à cette grandeur, l’élasticité des corps d’une part, la charge de
l’appareil qui fait levier de l’autre, produisent des effets qu’il faut avoir
vus pour s’en rendre compte.
Il convient donc
de ne pas penser au battement, le problème de la construction d’un aéroplane fixe,
c’est-à-dire dont les ailes sont immobilisées, est déjà assez compliqué pour commencer.
J’ai déjà dit que
le battement des ailes n’est pas obligatoire pour enlever un appareil, la force
du vent suffit à produire ce départ. Seulement il faut un courant d’air très
vif, qui ne se rencontre pas tous les jours, surtout à la surface du sol. Je
pense donc qu’en procurant un instant
à un grand appareil qui peut flotter
une vitesse de 10 mètres à la seconde, les
ailes
quoique fixes pour- ront enlever l’aéronef au moyen d’un simple changement de place du centre de gravité qu’on recule en
portant les pointes des ailes en avant.
Ce départ
insolite sur lequel est basée cette expérience, peut être observé en Europe,
malgré la rareté des voiliers. L’aviateur qui voudra le voir se produire,
pourra étudier les goélands et les mouettes posés sur l’eau, quand il fait un
grand vent. Dans Paris même, on peut voir l’enlèvement sans élancé. Il faut
pour cela, un jour où le vent est très actif,
monter à la tour Notre-Dame. Cette tour où sont les cloches n’est pas
habitée par les oiseaux, mais l’autre avait de mon temps, le beau temps où
j’étais étudiant, beaucoup de choucas. En 1881, ils y étaient encore. Par les
grands vents, tous les oiseaux du genre corvus
semblent jouer. Cette activité de l’air leur procure une gaîté folle ; ils
se livrent à des exercices bizarres, montent, descendent, se poursuivent,
semblent jouer aux barres, et très souvent, dans ce cas, ce genre
de départ se produit. L’oiseau
est perché, le bec au vent,
se retenant fortement avec lies griffes, afin de n’être pas emporté, et pour se
mettre au vol, il se contente d’ouvrir légèrement les ailes. L’élancé des
pattes est dans ce cas très souvent nul. L’oiseau s’élève sans frapper l’air et
est à l’instant en plein vol.
J’ai encore
observé le même fait aux ruines de la Cour des Comptes où il y avait également
des choucas.
C’est un
spectacle que je ne manquais jamais de m’offrir autrefois. Je demeurais dans
l’Ile ; de mes fenêtres je voyais les tours, et à chaque grand vent du Nord, je
faisais l’ascension dans le seul but d’aller voir exécuter cet exercice qui est
très rare par d’autres temps.
L’aviateur, qui
est prévenu, verra de suite cet acte de vol. Il ne sera pas exécuté d’une
manière rigoureusement précise, parce que le choucas est trop léger, mais
enfin, il se convaincra que, dès que l’air a une rapidité suffisante et qu’il
agit sur un aéroplane pesant, ce genre d’ascension peut se faire.
Plus tard, quand
il se trouvera en face d’un voilier lourd, il pourra se délecter à la vue de
cette ascension majestueuse dans sa singulière lenteur. L’aigle, ce grand
maître, non seulement s’y livre assez souvent, mais même y ajoute parfois le
coup de pouce : il s’élève et avance lentement contre le vent.
Je me souviens
d’une observation de ce genre d’enlèvement qui m’a fortement irrité. Je suivais
en plein été un canal de la Basse-Egypte ; j’allais de l’autre côté, en face, à quelques centaines de mètres et il me
fallait faire encore une grande heure de route pour traverser l’eau à l’écluse,
et autant pour revenir. Il était onze heures, l’astre,
infiniment trop radieux, inondait
le pays de ses rayons d’un éclat insoutenable. La chaleur était torride, mais
était cependant presque soutenable grâce à la brise de mer qui était très
active. Je suivais donc avec une philosophie forcée cet interminable canal,
quand je fis lever un grand faucon
qui était posé sur la berge que je suivais. Il partit presque de mes pieds, ouvrit simplement un peu les ailes au vent
qui venait de l’autre bord, avança contre le courant avec une lenteur de moins
d’un mètre à la seconde et aborda paisiblement sur l’autre côté du canal sans
avoir produit l’ombre d’un battement.
La manœuvre était
splendide de simplicité. Dans cette traversée, le faucon faisait l’acte
impossible, l’avancement, contre
le vent, sans élancé et sans effort
; c’était un remarquable
exemple de ce qu’on nomme l’aspiration. Mais ce qui me rendit furieux c’était
de comparer ma course pénible et sans
fin à cette traversée d’un bord à l’autre faite avec si peu d’effort.
Qu’avait fait l’oiseau en somme ? Rien qu’étendre les ailes, tenir
tout à fait ses pointes
a l’arrière, se soutenir, et l’attraction, en lutte avec le vent, avait
fait le reste. Il n’avait assurément pas pris chaud à exécuter ce passage, et
moi, je n’en pouvais pas dire autant.
Aussi, comme tout
le long de la route je maugréais contre l’ineptie de l’homme qui n’ose pas songer à l’aéroplane, parce
qu’il est effrayé par l’énorme force qu’il se figure être nécessaire pour s’enlever et se diriger surtout contre le
vent.
Toutes ces leçons
de l’oiseau, nous permettent de dire qu’un aéroplane fixe, animé sur l’eau
d’une vitesse de 10 mètres environ à la seconde, ne pourra réussir cette
manœuvre qu’à la condition d’avoir les pointes des ailes portées exactement à
l’arrière, et que le transport des ailes à l’avant, dans la position du vol
ordinaire moyen, suffira, non seulement
pour l’enlever de l’eau, mais même pour le projeter assez haut en l’air pour
que l’appareil se trouve dans des conditions rationnelles de planement.
Le tout est
d’avoir un appareil pouvant être propulsé avec une vitesse de 10 mètres à la
seconde contre un vent moyen.
Voici une ébauche
de cet aéronef, tel que je le conçois. Je vais essayer de la présenter sous sa
forme la plus simple[34].
Je conserve cette
carcasse d’osier sous laquelle est fixée une feuille d’aluminium. L’ensemble de
ce bateau ressemble à une grande carapace de tortue de mer dont le côté arrière
fait l’avant du flotteur. Le tout est presque plat et n’enfonce que de 0ᵐ10
au plus dans l’eau ; la surface de flottaison est grande, c’est 4 mètres de
longueur sur 3 mètres de largeur ; cela fait l’effet d’un grand bouclier
flottant.
Au milieu de ce
bateau plat est fixé un bâti puissant.
Là, j’hésite
entre deux corps pour le construire : l’aluminium et le nambag (Ambatch) (herminiera) Schweinfurth.
Avec des feuilles
d’aluminium de 0ᵐ03 d’épaisseur on ferait un bâti creux très solide et
assez léger. Avec des troncs de nambag collés ensemble, puis le tout verni avec
un vernis sec et dur comme celui des Chinois, on aurait un assemblage très fort
aussi et bien léger. Là, je crois qu’il est prudent d’essayer les deux manières
et de choisir la meilleure.
Ce bâti a pour
mission de porter :
1° Une machine
rotative excessivement simple et légère. L’aluminium est tout indiqué. Cette
rotative est quelque chose comme la machine de ce genre de Wath, mais plus
simple encore. Elle actionne les pattes qui sont deux barres d’acier aux bouts
desquels sont les pieds palmés qui font office de rames.
2° Un réservoir à
gaz comprimé.
3° L’organe dans
lequel fonctionnent les barreaux d’acier pour produire les pas. C’est une douille
très fortement enclavée dans le bâti, car c’est ce point qui supporte tout
l’effort que produit la machine.
4° Enfin, de
porter les deux bras des ailes qui sont fixés en position de vol et aux
extrémités desquels sont liées par des charnières les deux grandes surfaces
mobiles qui représentent les mains de l’oiseau. C’est cet organe variable de
position et de courbure qui produit les deux directions qui permettent le vol
des voiliers.
Reprenons donc en
détail cet aéronef intéressant pour tout individu qui ne peut se livrer aux
exercices relativement violents que demande l’aéroplane simple.
Le danger dans
cet appareil est bien moindre que dans l’aéroplane personnel à grande surface.
Le départ et l’abordage sur l’eau évitent les chocs et le départ effrayant par
la plongée dans le vide, exercice obligatoire toutes les fois que le vent est
insuffisant. L’enlèvement et l’atterrissement sont progressifs et c’est là un
fait heureux au point de vue de l’accoutumance de nos nerfs.
Nous sommes donc
sur l’eau, dans un grand bouclier plat qui a des pattes de palmipède pour le
mouvoir et deux grandes et vastes ailes suffisantes comme surface pour porter
l’appareil, mais qui ne peuvent pas frapper l’air. Pour faire planer un aéronef
aussi impotent, nous avons vu qu’il faut lui procurer, par un temps calme, au
moyen des pattes, une vitesse de 10 mètres à la seconde. Une fois cette vitesse
acquise, la surface porte, l’appareil peut, au moyen d’un avancement plus ou
moins grand des pointes, du bout des mains si on peut s’exprimer ainsi,
produire les évolutions suivantes : Un léger avancement plus accentué produit
un relèvement plus fort, et ainsi de suite, jusqu’à l’ascension verticale, et si ce transport à l’avant est suffisant, par cette vitesse
de 10 mètres, l’évolution
peut aller jusqu’au tour complet de l’appareil sur lui même.
C’est tout ce que
peut faire cet aéroplane sans battement par le calme. L’acte de vol le plus
heureux, dans cette circonstance d’atmosphère sans mouvement, est un léger
enlèvement de l’appareil qui n’use pas toute la vitesse produite par les
pattes. Dans ce cas il se produit une
glissade descendante, sous un angle très minime, qui va en progressant jusqu’à
atteindre 10 degrés sur l’horizontale, et qui finit sous cet angle par
l’affleurement de la surface de l’eau.
C’est la manœuvre
la plus heureuse. L’ascension verticale produit une chute presque verticale ; le parcours
est donc nul. Le tour complet sur lui-même est une fausse
manœuvre qui doit être très dangeureuse.
Mais qu’au lieu
du calme, il y ait un mouvement de l’air de 5 mètres environ, l’effet produit est complètement différent. Cet appareil sous l’action de la puissance
de ce courant vivificateur, de cette force qui est un apport étranger
à lui-même, arrive à être en plein acte de vol. Non seulement il est supporté
par l’air, mais il peut puiser dans cette source de puissance la force qui
l’élèvera et lui permettra de reproduire les manœuvres qui sont analysées au
chapitre « Aspiration » qui sont le nec plus ultra des actes de vol des voiliers.
C’est le vol sans battement qui s’établit.
Pour que ce fait
fût faux, il faudrait que l’observation fût fausse, ce qui est impossible ; son explication serait-elle absolument erronnée
que le fait n’en resterait
pas moins un jalon
absolument fixe et exact auquel on peut se fier bien plus sûrement qu’à toutes
les analyses possibles.
L’expérience, la
preuve à donner que l’aéroplane peut voler consiste donc à construire
l’appareil que je décris : qu’on arrive à produire cette vitesse de translation
de dix mètres contre le plus léger vent, qu’on porte les pointes en avant et on
verra bien si la preuve se fait, si l’enlèvement se produit. Les dangers sont
nuls ; il n’est pas nécessaire de s’élever beaucoup : deux ou trois mètres sont
suffisants, on verra bien, et sans rien risquer, si on peut arriver à
neutraliser, au moyen de l’utilisation adroite de la force du courant, cette
chute inéluctable par le calme d’un angle de dix degrés.
On ne pourra
arguer dans ce cas des dangers à courir, de la non suffisance de l’activité
humaine, la manœuvre est simple et lente. Il y aura assurément à acquérir le
tour de main juste ; on ne réussira pas du premier coup, mais en procédant avec
douceur, en portant successivement, et de plus en plus les pointes en avant, on
obtiendra : d’abord un soulagement de l’appareil, puis son enlèvement d’une
quantité aussi minime qu’on le voudra, puis, s’enhardissant petit à petit, on
s’élèvera davantage, et tout cela progressivement, sans rien brusquer, ni rien
risquer.
Il n’y a donc
aucun danger, en expérimentant avec prudence ; ceci est indiscutable. Reste à savoir si on s’enlèvera. Si on ne s’enlève pas, le danger n’existe pas et j’ai dit
faux ! Si on s’enlève avec prudence, j’ai dit vrai et on ne court aucun danger.
Que ceux qui sont
en position de construire cet appareil le fassent, ils n’ont à risquer qu’une
perte de temps et d’argent. Il est beaucoup de gens pour qui ces deux pertes
sont négligeables, je puis leur assurer,
que les oiseaux
ne mentent pas, que j’ai bien vu, et qu’ils réussiront.
Voici les détails de cet aéronef.
Cherchons d’abord
la machine propulsive, qui procurera à l’appareil ce mouvement en avant de 10
mètres à la seconde, car la question aviation est hors de cause, ou l’Empire de l’Air et le Vol sans battement sont des œuvres
creuses et insensées.
A quel moteur
nous adresserons-nous ?
Pour répondre
il faut auparavant bien se persuader, bien comprendre la nature de l’effort
à produire. Ce que nous désirons, c’est faire faire aux pattes palmées une
quinzaine de pas au plus ; davantage est inutile. Ce vaste bouclier doit être
d’abord propulsé, puis peu à peu non seulement poussé en avant mais soulevé par
les pattes. (L’appareil dessiné fig. 31 de l’Empire de l’air, peut produire ces deux effets). Nous y reviendrons
au reste, ici nous cherchons le moteur de ces pieds palmés.
Que nous
donnerait l’électricité, si à la mode aujourd’hui ?
Rien de ce que
nous désirons assurément. Les accumulateurs Renard, Demazure et ceux qu’on
cherche ont précisément les propriétés contraires de ce que nous désirons. Leur
action est lente, la restitution de l’électricité emmagasinée, est combinée pour pouvoir se
faire
en un nombre d’heures fixé, et nous voulons n’agir qu’une demi-minute ; ce
n’est donc pas cela qu’il nous faut. Puis il faut songer au poids formidable de ces accumulateurs, et surtout à l’impossibilité absolue de les recharger hors du voisinage de certaines usines.
Il n’y a donc pas à insister plus longtemps sur ce moteur.
Les machines à
vapeur légères seraient déjà un peu mieux ce que nous désirons, mais là encore
le poids intervient d’une façon désastreuse. La machine est légère assurément,
mais le combustible, houille ou pétrole, et tous les accessoires sont lourds.
Puis son action est encore de longue durée et il nous faut presque l’explosion.
A ce compte, les
moteurs à poudre sont tout indiqués ; malheureusement, ils n’ont pas encore été
trouvés pratiquement.
En leur absence,
bien regrettable assurément, car là est la vraie machine que nous désirons, il
ne nous reste que les gaz comprimés.
L’acide carbonique,
ce gaz peu coûteux, qu’on peut se procurer dans le commerce, liquéfié dans des
tubes, qui peut se produire rapidement, de toutes pièces, et donne des
pressions formidables, est, faute de mieux, ce qu’il nous faut.
Il s’agit donc de
pouvoir emmagasiner assez de gaz acide carbonique ou autre, d’air même si on y
tient, au moyen d’une pompe de compression, pour pouvoir produire les quinze
pas nécessaires à la production d’un départ d’essai.
Ce gaz quelconque
demande un récipient pour le contenir ; là est le point délicat. Il doit avoir
capacité et résistance, par conséquent il doit être, comme tout ce dont on a
besoin en aviation, fort et léger. Ce sera donc une chaudière en acier le plus
résistant possible, d’une épaisseur de 0,015, formé d’un cylindre de 0,25 de
hauteur et de 0,50 de diamètre fermé par deux calottes demi-sphériques.
Le récipient aura
peut-être à supporter quelques instants 40 atmosphères.
La capacité
serait donc de 100 litres, et son poids d’environ 100 kilog. suivant régularité
d’épaisseur et variation de densité.
Le poids de
l’aéronef, homme compris serait environ 500 kilogrammes.
La machine
rotative faite d’une seule roue, soit le système de Wath, compose à elle seule toute la mécanique de l’appareil ;
pas de tiroir, pas de bielles, c’est donc tout à fait simple et léger, surtout
si elle est construite en aluminium et bien comprise.
La section sur laquelle agit la pression
sera 0,50 sur 0,05.
Le diamètre de la roue est de 0,60.
Les coudes qui actionnent les pattes ont
0,30. Les pattes dans leur plus long allongement 1,20.
Enfin, nous supposons, pour la facilité
de l’étude, que la machine
rend 50 0/0. Nous avons donc :
Capacité du récipient : 100 litres à 20 atmosphères ;
Section de pression : 0,50 sur 0,05 =250emq, qui, à 20 atmosphères, font une pression
de
5.000 kilog.
Ces 5.000 kilog.
sont eux-mêmes à diviser par 4, puisque la longueur de la patte est 4 fois
celle du bras du levier qui l’actionne : soit 625 kilog.
L’appareil qui pèse 500 kilog. est donc enlevé.
Il le sera
d’autant plus qu’il y a de fortes économies à faire sur ce poids de 500 kilog. que pèse l’appareil, puis que, chose à
noter, son poids diminue à mesure que la vitesse croît, car, alors, l’action
de soutènement des ailes entre en fonction
et porte de plus en plus,
ce qui permet l’enlèvement de l’aéronef de la surface de l’eau, évite le
frottement, ce qui fait qu’à fin de course les pattes portent seules sur l’eau.
Voyons maintenant si le récipient
pourra alimenter cette course de 14 pas. Ces pas doivent se produire en 30
secondes.
Les deux premiers
sont très lents ; il faut mettre l’aéronef en mouvement ; ils dépensent donc
très peu de gaz. Le troisième et le quatrième, qui agissent sur un corps qui se
meut, peuvent être plus actifs ; le volume de gaz dépensé est double et ainsi
de suite.
Voici les dépenses de ces sept paires de pas :
1-2-5-10-20-30-30
litres de gaz à 20 atmosphères, dont le total fait 98 litres.
Le récipient est
donc vidé ; nous avons fait produire 14 pas qui ont dû nous procurer 10 mètres
de vitesse à la seconde, ce qui permet aux ailes de porter par le calme absolu.
Le vent serait
d’un rapport d’autant plus important pour faciliter l’enlèvement, qu’il serait
plus fort. S’il arrivait à avoir 10 mètres de vitesse, l’économie de gaz, au
départ, pourrait être complète, puisque sa force, seule utilisée en reculant le
centre de gravité, suffirait pour enlever l’aéronef.
Revenons maintenant
aux pattes, cet organe si délicat et par conséquent difficile à construire.
Il faut qu’elles
puissent supporter un effort rapide de 5.000 kilog. et qu’elles soient longues
de lᵐ20.
La résistance de l’acier damassé est peu connue ; ce que l’on sait quand on a
vu beaucoup de sabres d’Orient ou encore d’anciennes lames de Tolède, c’est
qu’elle est de beaucoup supérieure à nos meilleurs aciers d’Occident. Il s’agit
d’économiser du poids, c’est un point auquel on doit tout sacrifier, et c’est là, à cet acier spécial,
qu’il faudra s’adresser. Nous
pensons donc être dans le vrai, comme résistance, qu’un barreau d’une section
ovée de 0,08 sur 0,04 de diamètre pourrait supporter ce poids. Il pèserait
aproximativement 15 kilog. ; soit pour deux : 30 kilog. pour les deux pieds
palmés ; ce qui fait un total de 40 kilogrammes. Mettons en 50 et n’en parlons
plus.
C’est l’organe le
plus difficile à produire. Il faut un acier nerveux au possible, souple, pliant
légèrement sous cet effort énorme, mais revenant sans se briser ni se déformer
; pouvant, en somme, avaler l’à-coup et rendre ensuite l’effort emmagasiné par
son élasticité.
Les deux pieds
palmés doivent être un chef-d’œuvre de mécanique. Pour modèle du tout, patte et pied, s’inspirer de la
conformation du puffinus kulhii, qui
est ce qu’on peut rencontrer de plus parfait comme
modèle du cas présent et représente le mieux ce que nous désirons produire.
Il est à peu près
inutile de chercher à se procurer cet oiseau vivant ; je n’ai eu cette chance
qu’une seule fois. J’en ai vu à chaque traversée de la Méditerranée, mais en
liberté et de loin. L’oiseau empaillé peut suffire ; il existe aux muséums de
Paris et de Lyon. En tous cas, on en
aura une idée saine en relisant le chapitre : « Action de la vitesse »
de l’Empire de l’Air, la description
de cette organe de locomotion y est assez exacte pour qu’on puisse se rendre
compte de sa forme.
L’aéroplane n’a
rien de particulier : ce sont deux bras immobiles, dirigés légèrement en avant
et en l’air, aux bout desquels viennent se fixer les deux pointes d’ailes.
Les bras ont 6
mètres ; or bâti et les pointes 8 mètres. Ce qui fait comme envergure
8+6=14×2=28 plus bâti 3=31.
Largeur moyenne
de l’aile : 7:1=4.43.
La surface des
ailes est donc de 137mq. Si nous ajoutons celle de la queue, organe
subordonné au mouvement en avant des pointes, qui se développe quand la surface
est nécessaire, soit un tiers de la surface des ailes, nous avons 137+45=182mq.
La charge du mètre carré est donc de 2.747 grammes.
Il faut donc
absolument, arrivé à cette immense surface, abandonner la fiction de l’oiseau de petite taille ; le héron gris,
qui est le gros oiseau le plus léger, a son mq chargé de 4.000 grammes.
Cette proportion
de 7 : 1 donne donc la tournure de l’oiseau de mer.
Au départ, les
pointes des ailes portées à fond à l’arrière toucheront l’eau. Dans cette
position, par leur contact, elles régulariseront et équilibreront la course de
l’aéronef, détruiront ce balancement produit par la marche des jambes très
écartées, si disgracieuse chez les palmipèdes. Plus tard, au moment où elles
sont étendues, le même effet se produira
par la retenue qu’elles prendront sur l’air.
Cet aéronef, dont
l’exécution demande l’emploi d’un capital assez important, peut être essayé en
petit, à bien moins de frais. On peut s’y prendre de la manière suivante :
Le bateau plat
est réduit à une feuille mince de cuivre repoussée au marteau. Le bâti, les
pattes, la machine rotative ne changent pas, mais sont réduits de volume. L’aéroplane est le même, mais
n’a plus que 8 mètres d’envergure : 1 mètre, pour chaque bras immobile, 2,50
pour chaque main et 1 mètre d’écartement du bâti. Le bateau plat a donc 1 mètre de largeur aux épaules, où sont fixés les
bras des ailes, et 1ᵐ25 de longueur. Il semble que cette grandeur est
nécessaire pour avoir des données proportionnelles sérieuses, des relations
utilisables, afin de ne pas se trouver devant le cas de la machine qui fonctionne
en petit et pas en grand.
La différence de
ce petit appareil avec le grand est, d’abord, qu’il n’a pas à porter
l’aviateur, puis, dans le récipient d’acier, organe difficile à produire et
qu’on peut remplacer dans cet aéronef d’essai par une outre de caoutchouc.
Il s’agirait de
produire une poire de 50 litres environ de contenance et de 2 à 3 centimètres
d’épaisseur. J’ai essayé de la faire au moyen du caoutchouc dissout dans l’éther
; ce procédé n’a rien donné de bon comme résistance. Il semblerait convenir
de
s’adresser
directement au système qu’on emploie pour faire les poires du Brésil : le
liquide végétal qui produit le caoutchouc enduisant par couches successives un
vase de terre qui est ensuite brisé et
extrait par le col.
Une pareille
outre de caoutchouc bien nerveux doit pouvoir supporter une pression difficile
à estimer sans manomètre, mais qui assurément est très forte. Dix ou quinze
atmosphères ne semblent pas exagérées. 50 litres de contenance à 10 atmosphères
de pression font 500 litres, allant comme poussée de 10 atmosphères à 0. Il
s’agit d’utiliser cette force restreinte pour procurer le départ.
Sur l’axe de la
rotative qui actionne les pattes, il faudra greffer plusieurs organes : d’abord
celui qui permet le nombre de pas nécessaires pour acquérir la vitesse utile,
puis celui qui au bout de ce nombre de pas calculé d’avance transporte les
pointes des ailes de l’arrière à l’avant d’une quantité permise et décidée par
l’étude. Une simple corde s’enroulant sur l’axe un nombre de fois déterminé
peut produire ces deux effets. Il faudra encore y fixer l’organe qui donnera la
détente, c’est-à-dire qui fera que l’émission de gaz dans la rotation sera
progressif, soit 1-2-4-6-9-13-15 litres.
Il conviendrait d’adjoindre à cet appareil la direction horizontale automatique. On peut y
arriver à peu de frais
et de poids par le moyen que j’ai indiqué
au chapitre de ce livre
:
« Gouvernail
vertical ».
On peut résumer
ainsi les évolutions que peut produire cet aéronef : enlèvement de la surface
de l’eau ; élévation dans l’air qui sera réglée par le plus ou moins de
transport à l’avant des pointes des ailes, puis glissement plus ou moins long,
et finalement abordage de la surface
liquide sous l’angle de 10 degrés environ.
C’est à peu près
tout ce qu’on peut demander d’un appareil d’essai ; les évolutions s’arrêteront
là, car il manque la vie qui permet de pondérer les deux directions qui font le
vol plané.
La vie elle-même n’est
pas absolument indispensable. On peut songer
à la remplacer, ou pour
dire plus juste, à la déplacer.
Si, dans cet appareil
ou dans le grand aéronef,
on subordonne le mouvement en avant ou en arrière des pointes des ailes à l’action
d’un courant électrique, l’aéronef n’aura qu’à porter l’appareil qui produit ce
mouvement ; système aussi facile à trouver que long à décrire ; c’est tout à
fait du domaine de la mécanique récréative sur laquelle je n’ai pas le temps de
m’appesantir ; dans ce cas, le générateur du courant pourra rester à terre. Il
sera alors possible de guider de loin non seulement le départ de l’aéroplane,
mais encore de le diriger dans les actes de vol verticaux et horizontaux, tant
que le permettront la longueur des fils conducteurs.
L’aviateur se
convaincra par ce moyen que son poids est enlevé et dans quelle condition il
l’est. Il se persuadera des manœuvres à produire et de leurs effets ; il
fournira peut-être l’ascension, si les circonstances de vent sont favorables et
si les mouvements nécessaires sont parfaitement exécutés. En tous les cas, il
jouira pour les produire de toutes ses facultés,
puisqu’il sera resté en terre ferme.
Il n’y a qu’un
léger écueil, qui est le traînement dans l’eau du fil conducteur, traînement
qui augmente avec la longueur de la course, par conséquent à mesure que
l’intérêt croît. Qu’y faire ? Essayer de placer très haut ce fil, de manière à
ce qu’il ne traîne pas ; disposition difficile à produire. Il faudrait un ballon
captif faisant partir de très haut les fils conducteurs roulés en ressort afin
de ne pas peser et ne pas tremper. Ou encore, infiniment mieux, oser supprimer
l’attache ; fait qui se produira d’abord forcément à peu près à chaque
expérience, puis, d’une façon bien plus sérieuse, quand le résultat viendra
éclairer l’intelligence.
Nous avons vu à l’article
« Direction horizontale », qu’il est intéressant de connaître la forme de
l’aéroplane lorsqu’il est chargé, forme qui non seulement change énormément
sous l’action de la flexion de l’ensemble de l’appareil, mais même perd, hélas
trop souvent, sa forme normale et
utile de marche.
Si on était
obligé d’attendre les données fournies par l’expérience, ce serait d’abord très
long, puis surtout excessivement dangereux ; ce serait en somme se livrer à un
appareil absolument inconnu, car un aéroplane très correct au repos, peut
devenir, une fois chargé, tout à fait défectueux.
Voici le procédé que j’ai employé
pour étudier, en chambre, sa forme sous
pression.
Au plafond
du couvert sous lequel est l’aéroplane, je plante 250 clous auxquels
j’attache autant de fils de caoutchouc pouvant supporter chacun, sans
être à bout de force, 300 grammes ; ce qui fait une force de suspension totale
de 75 kilogrammes.
J’ai eu soin de
poser ces clous dans le dessin d’une silhouette de l’aéroplane tracé au plafond.
Les 250 fils sont donc tous perpendiculaires.
J’attache
l’appareil par 250 points différents, et me livrant à la suspension, on voit de
suite se produire la déformation qu’aura l’aéroplane lorsqu’il sera en marche.
J’avais soumis le
n°3 à cet essai, et je dois constater que j’ai eu à renformer et à amincir
beaucoup de points défectueux.
Ce procédé a deux
défauts, il est d’abord très long à établir et est ensuite assez coûteux. Les
fils de caoutchouc, à l’époque, étaient très chers, puis il en faut 375 mètres.
Mais, quand tout est en position,
on éprouve une réelle satisfaction à se faire porter par tous ces
points
différents, qui, tirant tous également, font l’office d’autant de filets d’air
de forces égales.
Si on remplace
son individu par un poids pareil, on peut, en tournant autour, comme un
sculpteur tourne autour de son œuvre, avoir une foule de points de vue
différents qui font juger sainement de la bonne ou mauvaise tournure de
l’aéroplane.
Le plus grand des
défauts de ce système est de crever le cœur, en mettant à nu une quantité de
défauts qu’on n’aurait jamais soupçonnés sans lui.
Un moyen bien
moins coûteux, plus expéditif, mais qui donne des résultats renversés, par
conséquent d’une étude bien moins facile, consiste à pendre au plafond
l’aéroplane retourné.
On a eu soin de le fixer dans une position
normale de marche,
c’est-à-dire légèrement en
V.
Il suffit alors de lui pendre par le plus de points possible une charge de 75 à
80 kg. de plomb, qu’on a divisée en morceaux d’un poids minime : quelque chose
comme une balle de fusil. Ces petits plombs, attachés par une ficelle munie
d’un crochet, sont accrochés deux par deux,
un à chaque aile, à des points
correspondants, se contresemplant (sic) en un mot. La
charge est donc ainsi divisée en deux parties, de poids égaux, de nombres
égaux, et de points similaires
d’attaches. Les effets de cette charge représenteront donc, d’une manière à peu
près exacte, les points de pression de l’air qui supporte l’appareil, quand il
est en fonction.
Les choses se
passent-elles comme cela dans l’aéroplane qui chemine ? A première réflexion on
penserait que oui, l’effort se répartissant également sur chaque portion de la
surface offerte à l’action de la résistance aérienne, le centimètre carré du
bout de l’aile supportant le même effort que le centimètre carré du corps de
l’oiseau.
J’ai déjà indiqué
dans cette étude que je ne croyais pas à l’égale répartition de l’effort dans
l’aéroplane.
Ce centre de la
main dont j’ai parlé, ce point utile de l’aile, qu’il ne faut pas toucher sous peine de suppression du vol, indique
d’une manière probante que l’effort, non seulement en vol ramé, mais même en
vol plané, va en progression de la ligne médiane passant de l’épaule à la
queue, à la pointe de la rémige la plus longue ; en d’autres termes l’effort
augmente en allant du centre de l’oiseau à l’extrémité de l’aile.
Je m’en suis
persuadé en coupant à des milans toutes les plumes du bras et de l’avant- bras. L’oiseau
ainsi mutilé avait
un aspect curieux
: il ressemblait à un squelette. Les mains
et deux plumes de l’avant-bras étaient intactes. Il n’avait plus que douze
plumes à chaque aile et cependant il a pu vivre. Je le voyais chaque jour et il
était facile à distinguer de ses congénères.
Ce fait indique
donc que la répartition des plombs doit être progressive du centre à
l’extrémité. Mais dans quelle progression ? Je l’ignore. — C’est pour cela que je m’en suis
tenu à l’égalité de la charge sur tous les points de l’appareil.
Le premier
procédé est donc meilleur que ce dernier, en ce qu’il esquive ce point
litigieux tout en le démontrant, car la tension
ou l’allongement plus ou moins
grand des fils de caoutchouc indique la pression
que supporte chaque point.
Le cerf-volant
existe depuis que le monde est monde. Il semble venir de l’Extrême- Orient : Japon, Inde,
Chine surtout. Ces peuples ont eu des loisirs quand
les occidentaux en étaient encore à chasser le renne.
En Asie Mineure,
il est encore pour la jeunesse une récréation bien plus prisée que chez nous. A
Smyrne, ville qui croit être la patrie de ce jouet, il y a des forts à ce jeu.
Au reste, on assure que c’est dans cette ville qu’un certain Archytras,
contemporain du divin Platon, lança le premier
cerf-volant. Il n’est donc pas étonnant que les jeunes y soient défendus par les adultes, qui ne dédaignent pas de prendre
en main la ficelle, afin de capturer avec leur cerf-volant celui de la terrasse
voisine.
De mars à fin
mai, chaque jour de fête, il y a mille cerfs-volants au pied du Pagus.
Il y a deux
camps, comme au temps d’Homère : l’Orient et l’Occident : les Grecs et les
Turcs, et souvent la journée se termine par des batailles en règle.
Ces luttes
ont des clauses
précises qui sont exécutées de part et d’autre. On convient que le vainqueur gardera le cerf-volant
du vaincu ou seulement le déshonorera en arrachant la queue. Puis viennent une
foule d’autres conventions que je passe ; cependant relatons celle-ci entre autres réglant l’attaque :
La prise doit être opérée de dessous en dessus et jamais de dessus en dessous, cas qui est considéré comme un acte de félonie
qualifié.
Gommer on le
voit, c’est une lutte tout à fait sérieuse.
Ils ont une
pratique de ce jouet dont on ne se doute pas en Occident. Chez nous, on se
borne à faire voler le cerf-volant ; c’est donc à celui qui ira le plus haut,
ou pour mieux dire celui qui aura le
plus de ficelle et par conséquent le plus grand cerf-volant. En Orient c’est autre
chose. La grandeur importe peu. Comme forme, ils ont à peu près la nôtre : c’est un arc tendu par une corde, le
vulgaire cercle de tonneau aminci et emmanché sur un axe. Mais au lieu de viser
à l’immobilité, ils visent au contraire au mouvement. Leur but est d’accrocher le cerf-volant du voisin
et de le prendre en retirant rapidement la corde. Ordinairement ils sont perdus
tous les deux ; ils vont tomber sur une terrasse inaccessible et y restent ; mais la victoire n’en est
pas moins à celui qui a capturé le voisin.
Comment font-ils
pour arriver à imprimer une direction précise autre que celle donnée par la
direction du vent ? Ils y parviennent en donnant une série de secousses quand
le cerf-volant se trouve avoir la
pointe dirigée du côté du but vers lequel ils tendent. Là est le coup de main.
C’est au reste, une manœuvre assez difficile à bien exécuter, et qu’on ne
réussit pas du premier coup, mais avec de l’exercice et un bon outil, on arrive
à produire des écarts sur la ligne du vent qu’on peut estimer à au moins vingt
degrés.
Au moyen de ces
secousses, ils parviennent à faire remonter leur cerf-volant bien au- dessus de la position
que désigne la corde qui règle ce jouet. C’est donc une portion du ciel
qu’ils peuvent parcourir, qui n’a pas moins de quarante degrés de diamètre. En
frappant de droite à gauche, et de haut en bas, le cerf-volant se dirige à
droite et vice versa. Pour le faire monter, ils retirent vivement la ficelle,
et pour le faire descendre, pour voler bas, ils en lâchent beaucoup.
Ils sont arrivés
à produire des faits intéressants dans cet ordre d’idées. Ainsi ils ont le
cerf-volant chanteur — hurleur serait plus juste — qui est de forme carrée, et
qui a, une lame vibrante en papier, montée sur les barres de la tète. D’autres
fois, ils font monter excessivement haut sept ou huit de ces jouets attachés
les uns après les autres à la même corde ; dans ce cas la difficulté est de
trouver le point d’attache juste.
Ils ont trouvé
l’immobilité en attachant la queue à une corde lâche dont les deux bouts sont
fixés aux deux angles du bas d’un cerf-volant carré ; dans ce cas, le bas du
carré et la ficelle forment les trois côtés d’un triangle isocèle. Ils ont
encore d’autres dispositions pour
entraver la mobilité de ce jouet : ainsi ils attachent une longue queue à
l’autre angle, ce qui donne beaucoup de fixité à l’appareil.
Ils s’amusent en
plaine à lui faire traîner une pierre, un petit chariot. En faisant monter en
l’air un mouchoir plein de gravier, ils parviennent au moyen de secousses à le
faire tomber chez les voisins.
Mais la plus
curieuse de leurs créations dans ce genre est le Tcharpïn (polisson) : c’est un
cerf-volant petit, excessivement mobile, et surtout bien conduit. Ils le
lancent sans aide, comme une fronde, en trois mouvements. C’est avec ce jouet
qu’ils décrochent les linges étendus aux fenêtres (il y en a souvent en
Orient), attaquent même les passants, enfin font toutes ces farces de la rue
qui leur ont valu une réputation dans toute l’Asie Mineure.
Le Tcharpïn
n’a pas plus de vingt mètres de corde. Il demande une grande adresse. Dans la
queue le glissement est bien plus parfait que dans le nôtre dont les barres de
papier en travers produisent un traînement considérable ; chez le Tcharpïn elle
retient très peu et fait seulement contre-poids. En somme, un cerf-volant de
Smyrne, en bon « tricapeli » (papier qui a trois chapeaux pour marque), qui est
bien mené, peut faire une foule de tours de force,
entre autres celui-ci : tomber
derrière celui qui le fait voler.
Comme on le voit,
ils sont bien plus fort que nous. En Chine, c’est bien autre chose, ils ont
maîtrisé absolument cet appareil.
Depuis quelques
années les cerfs-volants à poches sont arrivés en France, et vous avez pu voir
quelle foule de modèles différents ils produisent. Il y a nombre de ces petits
jouets qui une fois réglés comme point d’attache produisent parfaitement
l’immobilité.
Nous venons de voir
ce que cet appareil mis entre bonnes mains peut produire avec une seule corde,
voyons maintenant ce qu’il peut faier si on lui en met deux.
En remplaçant la
corde unique par deux cordes attachées, l’une au sommet et l’autre au bas du
cerf-volant, on obtient en tirant sur l’une ou sur l’autre une déviation du
plan normal, et par conséquent tous les effets d’ascension et de descente qu’on
désire ; cela se comprend sans qu’il soit nécessaire de s’étendre davantage sur
ce point. En attachant aux deux extrémités de la barre transversale, on produit
également en tirant légèrement l’une plus que l’autre un écart sur la direction
normale du vent : cela aussi n’a pas besoin d’explication.
Cet écart varie
suivant la rigidité du plan offert au vent. Il dépasse facilement 45° de chaque
côté, soit un total de plus de 90°.
Pour exécuter
facilement ce systèmes de deux cordes, il faut, pour éviter tout embrouillement
de ficelle, mettre une troisième corde maîtresse, qui est la corde ordinaire
sur laquelle sont fixées avec adresse les deux cordes minces de direction. J’y
suis parvenu au moyen de simples boutons de caleçons à cinq trous en corne,
retenus entre deux nœuds tous les cinq mètres environ. La forte corde maîtresse
passait dans le trou du milieu, légèrement agrandi, et dans deux autres trous
opposés l’un à l’autre passaient les deux cordes directrices, qui étaient des
cordonnets de soie très résistants.
On lance donc
l’appareil comme s’il n’avait qu’une corde, et quand il est en pleine action,
on tend les deux cordonnets de direction qu’on a eu le soin de tenir un peu
lâches. En tirant sur l’un ou sur l’autre, on fait présenter au cerf-volant sa
surface sous un angle qui n’est pas
normal à la course du vent ; il y a donc aussitôt déplacement de l’appareil.
A quatre cordes,
c’est le même effet, mais doublé. On a donc direction verticale et horizontale
de la surface offerte au vent.
Mais à trois
cordes l’action, quoique se simplifiant, se complique comme adresse à dépenser
; le cerf-volant devient plus perfectible comme effets possibles.
Il faut toujours
pour le lancer une corde maîtresse ; cependant je suis arrivé à m’en passer.
J’ai utilisé dans
ma jeunesse cet appareil pour chasser un oiseau bien difficile à approcher.
Il y avait en
Algérie à portée de ma lunette un terrain marécageux qui avait au reste la
configuration de tous les marais pâturés, mais comme ce cas est très rare en
France, je le décris :
Ce sol tourbeux
sous l’action des pluies d’hiver se détrempait outre mesure. Quand le bétail y
passait, les pas faisaient des ornières régulières, c’étaient des chemins de
boue très liquides, vieux comme le monde, laissant entre eux de larges mottes
ayant le niveau ordinaire de la prairie et sur le sommet desquelles croissait
l’herbe. Ces chemins étaient un paradis pour les bécassines et les oiseaux
d’eau.
En été, quand le
marais était asséché, le sol était transformé en glaise dure comme la pierre ;
la configuration du terrain était immobilisée par ce durcissement. C’étaient
donc des chemins creux de trente centimètres de profondeur, larges de vingt,
souvent couverts par les herbes qui croissaient en abondance sur le sommet de
ces mottes régulières.
A cette époque de
l’année arrivait l’outarde canepétière, magnifique gallinacé de la grosseur d’une petite femelle
de dinde. C’est un des plus beaux coups de fusil qu’on puisse
faire, vu la beauté de l’oiseau et la succulence de sa chair. Je les voyais de
mon observatoire à la lunette, se dissimulant dans ces passages creux : les
têtes seules étaient visibles ; elles étaient là bien cachées de leurs deux
ennemis : les aigles et les hommes. Dès
qu’un aigle apparaissait au loin, il était signalé ; la bande se tapissait dans
les endroits couverts et le rapace, ne voyant rien, continuait sa route.
Pendant deux étés
j’essayai au moins cent fois de leur donner la chasse, mais ces oiseaux sont d’une défiance telle qu’à
deux cents mètres la compagnie prenait le vol avec ce bruit extraordinaire qui
stupéfie le chasseur le plus endurci. Les Arabes, pour dépeindre le vacarme que
fait cette outarde en s’envolant, l’ont tout simplement nommée le tonnerre (el
raad).
Tant est-il
que je n’en tuais jamais.
Si je n’avais
rencontré par hasard quelques individus isolés qui se laissèrent surprendre,
j’aurais abandonné cette chasse à cause de sa difficulté, mais c’était un si
bel oiseau ! et, surtout, si bon cuit à la broche que je m’ingéniais à pouvoir
l’approcher.
L’idée me vint d’utiliser le cerf-volant ; voici comme je m’y suis pris :
Je construisis
une carcasse d’oiseau les ailes étendues en osier et roseaux de quatre mètres
d’envergure. Cela simulait tout à fait un gros aigle. Il fut recouvert de
papier sur lequel je peignis l’oiseau avec toutes ses plumes.
Ce cerf-volant
d’un nouveau genre avait trois cordes, une à la naissance de la queue et les
deux autres attachées aux jointures des ailes. Ces trois cordes étaient à
l’autre bout fixées au trois branches d’un trépied. Je décris cet appareil,
malgré sa rusticité, pour faire comprendre le principe qui permettait de
reproduire les évolutions de l’oiseau qui plane.
Il est admis qu’à
la campagne on fait comme on peut. J’avais donc jeté mon dévolu sur un guéridon
de jardin à trois pieds qui était assez léger. La colonne qui supportait la
table fut sciée au ras du moyeu dans lequel s’encastrent les pieds, et
elle-même fut coupée quarante centimètres plus haut. Le moyeu fut troué bien au milieu,
et fut transversé par une forte vis de quinze centimètres de
longueur, qui elle-même fut vissée dans ce tronçon de colonne. Le trou du
trépied était légèrement plus grand que la vis ; il tournait donc librement sur
cette âme, vu surtout qu’il était parfaitement graissé. En tenant à deux mains
ce tronçon de colonne, il était facile de figurer le plan utile à la
présentation au vent du cerf-volant, plan qui se reproduisait sur l’aigle en
papier par la tension des cordes.
Pour me servir de cet engin,
je faisais transporter le cerf-volant au sommet de la maison, j’étendais les cordes, je prenais en main le trépied et, sans corde
maîtresse, après avoir
bien égalisé mes trois ficelles comme longueur, je mettais l’appareil au
vol.
Comme la brise en
été est toujours active, je n’avais pas besoin de bouger de place ; on le lâchait
seulement et il s’élevait. Dès l’instant de son départ, il essayait de
tournoyer. J’entravais ce mouvement en lui faisant présenter un plan qui
décidait le mouvement contraire. Il montait ainsi à peu près directement en
l’air, la tête en avant, en serpentant à chaque correction, jusqu’à environ
cent mètres, hauteur maximum que la longueur des cordes lui permettait d’atteindre. Alors, le tenant
aussi immobile que possible comme
écart de mouvement, je me dirigeais vers le point de chasse, et je
finissais par l’amener au dessus du
marais. Là j’entrais le tronçon de colonne dans un trou fait d’avance à un
pilier de bois planté dans le sol. La direction de ce trou, foré à une
inclinaison de 55 degrés faisait
reproduire ce plan au trépied et par conséquent au cerf-volant. J’abandonnais
alors l’appareil à lui-même, et il se mettait à tourner à son aise comme un
énorme oiseau qui plane. Le trépied sollicité par les cordes tournait à peu
près comme lui sur son tourillon très
mobile, ce qui permettait aux trois cordes de rester à peu près dans leurs
positions respectives. Alors je prenais mon fusil, mon chien m’indiquait le
gibier, et je parvenais, sous l’action de la terreur inspirée par ce gros aigle
en papier, à approcher les outardes à dix mètres.
Est-il
absolument irrationnel d’aller plus loin encore, c’est-à-dire de penser à
transformer le cerf-volant en un appareil d’aviation pur, c’est-à-dire de
songer à se faire transporter sans toucher la terre.
La
difficulté est de trouver le point d’attache, le point de retenue du
cerf-volant en dehors de la terre ; le trouver c’est résoudre le problème.
Par les grands vents fixes, qui balayent une
zone de pays de la surface aux confins de l’atmosphère, il n’y faut pas
penser, la vitesse est environ la même partout, et les petites différences
qu’il y a entre les grandes hauteurs et la surface ne sont pas capables de
produire un point d’attache de traction utile.
Un petit
appareil ingénieux traîné sur terre ou sur eau suffirait peut-être, une simple
corde produirait peut-être un retard suffisant, mais en plein
air, sans contact
aucun avec la terre, par ce vent régulier, à moins
de songer à des propulseurs en sens inverse, c’est-à- dire faisant retenue, à
des battements contre l’air, choses qui sont peu pratiques, qui en tous cas sont un appareil complet
qui n’entre pas dans cette
étude, il est difficile de trouver
à quoi se retenir. Une voile
n’agira pas plus là qu’un ballon. Il faut donc dans ce cas y renoncer.
Mais si on
a affaire à un vent moins entier que celui du problème précédent, si on se
trouve avoir affaire à un de ces vents ordinaires qui augmentent en rapidité en
raison de l’altitude, on voit tout de suite que la résistance sur l’air de la
moindre voile au bas de la corde sera un point d’attache sur lequel on pourra
compter.
Maintenant,
si nous dépassons, si nous nous trouvons en face de vents croisés, c’est-à-
dire de vents qui ont une direction
contraire l’un avec l’autre, nous nous trouvons
dans des conditions qui
permettent de songer à attaquer la direction aérienne par ce côté.
Effectivement on réduit le problème à celui d’un aéroplane mu par un propulseur.
Là le propulseur est le cerf-volant. L’aéroplane est non seulement traîné mais
porté.
Le cerf-volant
dirigeable peut devenir très utile en se transformant en agent de traction.
Dans ce cas, on a une voile dans l’espace, à une hauteur facilement considérable,
qui a l’avantage sur les voiles ras-l’eau d’avoir une action bien plus
constante et surtout pas de poids.
Effectivement,
les vents faibles à la surface du sol sont ordinairement actifs à cent mètres de hauteur. Cette brise
inutilisable près de terre, qui a un ou deux mètres de vitesse, est là-haut de
dix mètres et, fait une pression sur la surface du cerf-volant capable non
seulement de le soutenir, mais a encore un excédent de force dont on peut se
servir pour traîner un véhicule. De sorte qu’il arrive très souvent pour les
bateaux que ceux à voiles ordinairement seront réduits
à l’immobilité quand ceux à voile cerf-volant seront encore en pleine action.
La traction ne se
borne pas à être directe, car alors elle ne serait utilisable que vent arrière
; elle peut produire d’autres effets que celui-ci. Si le bateau, par sa
longueur et la puissance d’action de sa quille, a un sillage bien franc,
c’est-à-dire qu’il ait, sous l’action d’une force qui le pousse par le travers,
la plus petite dérive possible, au moyen d’un gouvernail actif on pourra
produire un angle de déviation sur la ligne de tirage qui, théoriquement, est
de 90 degrés, moins les imperfections.
Admettons, ce qui
ne sera pas loin de la réalité, que cet angle soit pratiquement de 45 degrés,
fait que l’on produit très facilement toutes les fois qu’on fait traîner une
embarcation allongée par une corde longue attachée
presque au centre du bateau.
Cet angle de déviation sera
augmenté par la manœuvre qui va suivre : déplacement du point de traction. Si au lieu de laisser
le cerf-volant où le vent le fixe,
on fait agir la corde
qui est du côté du sens où on se dirige, on change
le plan du cerf-volant ; on peut ainsi l’amener à faire un angle avec le vent
de 90 degrés moins les imperfections, qui est variable avec la tenue plus ou
moins rigide de cette surface et avec le traînement du courant aérien sur la
corde, mais que nous estimerons être égal au précédent, soit 45 degrés. Cette
déviation nous en permet maintenant une pareille sur le bateau qui, par cette
manœuvre, était tiré en tête.
Nous avons donc deux
déviations de la direction du vent de chacune 45 degrés ; total 90 degrés. C’est donc une course au plus près, qui sera souvent dépassée parce que une yole
longue à quille
puissante produit très facilement un angle de plus de 45 degrés.
Combien de voiliers
n’arrivent à produire
cet angle qu’en
ayant une dérive
déplorable.
Mais là n’est pas
l’intérêt de cette idée ; il est dans la hauteur à laquelle est placée la
voile, hauteur qui lui fait trouver un courant actif quand le calme règne à la
surface, puis dans l’énorme plan que peut se permettre un bateau léger sans se
charger et même en s’allégeant.
Le cerf-volant à employer doit être démontable afin de tenir le moins de place
possible quand il n’est pas en activité ; sa forme importe peu, supposons
cependant la tournure suivante : (figure 9).
Un immense
éventail allongé en hauteur, le plus grand possible — on peut sans grande
difficulté arriver à 25 mq. de surface — formé d’une série de bambous se
reliant tout au bas à une charnière
qui forme l’angle inférieur de l’engin. Cet éventail est rendu rigide par un
bambou attaché en travers aux deux angles extérieurs. Cet appareil peut donc se
monter simplement en le développant, et fixant cette barre par des attaches.
Ramené en un seul paquet et lié, il occupe peu de place. A la charnière on met
une queue.
La corde
maîtresse, qui est l’organe de traction, doit être un solide câble de soie d’un
centimètre de diamètre capable de supporter un tirage énorme. On lui joint
adroitement, tous les mètres, afin de bien faire corps avec elle, les quatre
cordes de direction ;
On comprend que
cet appareil attaché à une longue yole de course, par le point juste où le
tirage procure le soulagement de l’avant, doit procurer des vitesses souvent
effrayantes. Quand le vent est bien actif la yole doit porter seulement sur
l’arrière.
En allant
plus loin, il serait peut-être praticable de diviser le poids à faire traîner
et à faire porter en deux ; l’homme serait suspendu d’une manière commode à une
certaine hauteur au dessus de la mer, une dizaine de mètres au-dessus (fig. 9).
La retenue du cerf- volant serait faite par un bateau fuseau qui serait
remorqué. Au moyen d’élastiques métalliques,
de ressorts ou points de suspension, et près du bateau, on arriverait à éteindre
toutes les secousses données par chaque vague qui rendraient le séjour du
bateau bien pénible, surtout dès que l’on n’irait pas exactement vent en
arrière. Le bateau, en cas de calme, servirait de refuge ; on y réintégrerait
le cerf-volant. Pour y redescendre il suffirait de s’y laisser glisser (moyen
adroit) — Dans les saisons de vent et dans les parages où le vent est régulier,
il serait possible de faire de très grandes traversées ainsi et à très peu de frais.
Rien n’est
simple, quand on veut s’arrêter, comme de faire descendre, au moyen des quatre
cordes, ce cerf-volant sur le point que l’on juge propice à l’atterrissage.
Ceci est le moyen d’arrêt élémentaire, ainsi que celui de couper la corde dans
un cas de danger ; pour bien faire, il faudrait avoir un grand et solide dévidoir, sur lequel on rentrerait la corde et le
cerf-volant au bout.
Le lancement de cet
immense éventail n’offrira de difficultés que quand le vent sera faible. Dans
ce même cas, les voiles n’auront pas d’action.
Dans les
bâtiments voiliers, on pourra se servir des mats, qui faciliteront beaucoup son
départ. C’est affaire aux manœuvriers.
On peut donc se
servir de ce jouet comme d’un moteur d’une plus longue action que la voile et
pouvant s’employer simultanément avec elle.
J’espère que les
canotiers s’empareront de cette idée, car je me souviens des heures
fastidieuses passées à tirer le cordeau sur la berge, au gros soleil et au petit pas. Il était bien plus simple de se faire remorquer par
cette haute voile qui aurait su trouver du vent par- dessus les collines de la
Saône ou de la Seine.
Il est certain que, à part son utilité pour les bateaux à
voile, il y a dans cet engin les éléments de plusieurs sports intéressants. La promenade en canot à la voile est
entravée à chaque instant, sur nos rivières,
par l’absence du vent. Cet engin régularise
la possibilité
de ces courses. Sur les
grandes nappes d’eau, il procurera une célérité qui permettra de grands
voyages. Adapté aux traineaux, sur les lacs gelés, il sera bien supérieur aux
voiles employées jusqu’ici. C’est en
somme un agent de traction qui, dans certaines contrées plates, donnera de bons
résultats.
Quelles courses étranges il est permis de rêver avec ce
moteur ! Les originaux, les intrépides vont pouvoir s’en donner à cœur joie. Pour rendre. possibles ces courses folles de
vitesse que peuvent donner les vents impétueux agissant sur d’énormes surfaces,
on pourrait songer à la disposition suivante : employer un bateau fuseau,
ponté, pouvant filer comme une flèche ; prendre pour moteur un cerf-volant de
cinquante mètres de surface, qui
produira par un vent de vingt mètres à la seconde une traction de cinq cents
kilogrammes et une rapidité de 25 nœuds à l’heure.
Voile immense, 50 mq. de surface, traînant en mer avec une
vitesse de 25 nœuds à l’heure un long fuseau ponté. Chariot léger parcourant les steppes avec une vélocité folle. Un
accident de terrain, le lit d’un torrent, une broussaille, ne seraient pas un
obstacle sérieux pour cet appareil qui, au moyen d’une disposition adroite,
parviendrait facilement à les franchir.
Traîneau rapide distançant ses lourds confrères sur les lacs
glacés et parcourant ces surfaces quand les traîneaux à voile restent en
détresse faute de vent, etc., etc. On va loin
en cultivant cette idée que je livre aux réflexions du lecteur. On pourrait bien aller plus loin, mais alors
nous tombons en pleine rêverie. Cependant, comme cela ne nuit à personne...
Cependant je crois devoir attirer l’attention sur le cas suivant :
Faire agir le cerf-volant sur un aéroplane. — On peut le faire d’une foule de façons ; il
y a là toute une mine d’idées à exploiter ; je présente donc la suivante :
Si à un chariot léger,
muni de trois grandes roues du genre de celles des vélocipèdes, de trois ou
quatre mètres de diamètre et plus si c’est possible, on adapte deux ailes
possédant les deux directions, et une vaste queue, qu’on fasse traîner ce
chariot par un cerf-volant dirigeable, on obtient un engin dont on peut espérer
pouvoir demander les manœuvres suivantes :
Rapidité,
direction dans la moitié de la surface du cercle, et même aller jusqu’à aborder
le près du vent ; possibilité de franchir des obstacles, et peut-être, si on
l’ose, attaquer franchement l’aviation.
Voici un croquis de ce chariot
aéroplane (figure 11).
Soit A un bâti
auquel est fixé un essieu qui a deux grandes roues et dont les écrous sont les
supports des ailes.
En B roues
directrices se menant par deux cordes.
La queue qui est
fermée sur ce dessin, car l’appareil est représenté dans sa tournure de course
contre le vent, communique aux ailes par les organes C C’. En élargissant la
queue, les ailes sont portées à l’avant, il y a donc transport du centre de
gravité à l’arrière et augmentation de surface de toute la queue.
Comme cet
appareil ne doit pas positivement voler, il peut être chargé de 10 kilogrammes
par mètre carré ; soit 35 mètres de surface. On aura donc 12 mètres de longueur
des ailes, soit 6 mètres l’une sur 2 mètres de largeur, qui font 24 mètres
carrés de surface, plus 11 pour la queue, total 35. Le type est donc 6 : 1.
Cet aéroplane peut planer, car en tenant
compte de la progression inconnue
de faculté de soutènement des grandes surfaces et
des fortes masses, il doit se trouver correspondre à peu près à la proportion du grand vautour. C’est l’imitation du
procédé employé chez la grue, l’argala, la grande outarde, enfin par tous les
oiseaux de grands poids qui ont peu de surface, mais qui ont de grandes jambes
pour procurer la vitesse qui permet à l’air de
porter ; dans ce cas le cerf-volant remplace les pattes.
Il reste a
réfléchir sur l’action de ce cerf-volant.
Quand le chariot
va vent en arrière, si nous admettons un vent d’égale vitesse à cent mètres en
l’air, hauteur ou sera le cerf-volant, et celui de la surface du sol, nous
n’avons qu’une simple voiture traînée. Mais ce fait est rare. Dès qu’une
différence de vitesse s’établira entre la zône haute et la zône de surface, les
ailes porteront sur l’air en raison de cette différence.
La rapidité que
doit pouvoir atteindre ce vélocipède vent arrière est celle de l’air moins le
traînement. Par les grands vents, elle aura celle des chemins de fer. Sur la
glace, surface unie, il y aura peu de difficulté à le conduire, mais
l’aéroplane n’aura pour ainsi dire pas à entrer en action, si ce n’est
peut-être pour franchir une fente ou
un glaçon ; au reste, sur une
surface
aussi unie que celle d’un lac gelé, l’appareil de vol doit avoir peu de
puissance de soutènement ; car la
différence de vitesse des deux zônes doit être faible, mais en place, dans les
pays ondulés, steppe, désert, où le courant de surface est souvent brisé, il en
aura davantage. Or, à chaque instant,
on aura à franchir un buisson, un ruisseau, une dépression,
et c’est l’aéroplane qui permettra de faire ce saut. Les pointes plus ou moins
portées en avant, et l’obstacle sera franchi.
Il faudra, si on
se propose d’attaquer l’aviation par ce moyen, pouvoir abandonner le
cerf-volant avec une grande célérité. Je laisse à chercher ce moyen, ainsi
qu’une foule de détails, entre autres celui du mouvement de la queue et, par
conséquent, des ailes ; ce sont seulement les grandes
lignes que je trace ici. Assurément, que si on propose de se retourner contre le vent, il ne faudra
plus être attaché. Le cerf-volant sera perdu ou retrouvé, peu importe à ce
problème. Qui ne l’abandonnerait bien des fois pour se trouver vent debout ?
Vent qu’on ne supportera que les pointes à fond en arrière, même avec cette
charge de dix kilogrammes par mètre carré. Mais pour y arriver, à ce
retournement, il faut absolument quitter le sol, avoir l’espace dessous
l’appareil. Au fait, il faut bien s’y décider à quitter la terre solide,
puisque c’est ce que nous cherchons.
On pourra le
faire sans grand risque en étudiant auparavant la marche de cet appareil dans
l’air. Il sera facile de le lancer dans le vide, en le faisant courir sur une,
pente qui se termine par un à pic. Il pourra aller choir dans l’eau, où aucun
choc ne le détériorera, et où il sera facile de le faire flotter. Dans cette
expérience, l’avancement des pointes devra se faire automatiquement, par un
moyen quelconque.
Il va de soi que
les ailes doivent être en V ; 100 degrés ne sont pas trop, pour avoir un
équilibre absolument stable, et obtenir que les bouts des rémiges soient assez
élevés au- dessus du sol, pour qu’elles ne rencontrent rien.
Le filet et les
cordes doivent être en dessus, et la toile en dessous, afin de ne rien accrocher.
L’aéroplane doit
être complet, c’est-à-dire avoir les deux directions. Les plans mobiles des annulaires doivent être exagérés,
car ils aideront souvent à la direction
du chariot sur le
sol.
La direction de
ce tricycle se fait en agissant sur la roue de devant, qui peut produire un
angle total de direction de 75 degrés, auquel on doit joindre celui produit par
le cerf-volant dirigeable ; on peut donc se permettre une course d’une ligne
excessivement variée.
Nous n’avons
envisagé jusqu’ici que ce qui se passe par vent exactement arrière, nous
n’avons vu que cette allure, mais, dès que ce tricycle et son aéroplane
suivront une autre direction que celle de l’air, les effets de l’aéroplane
changeront d’autant plus que la direction s’écartera davantage de la ligne du
vent. Il se passera alors des phénomènes qu’il vaut mieux étudier pratiquement
qu’analyser d’intuition, vu leur complication. Ils iront probablement en augmentant comme
soulagement de l’appareil, depuis la ligne
normale du courant aérien
jusqu’à l’angle droit, qu’on atteindra assurément sans difficulté.
Un point qui sera
bien curieux à étudier sera celui de l’action des ailes sur le vent, si on
arrive par la perfection du chariot, du cerf-volant, et surtout de la manœuvre,
à aller
légèrement
au plus près.
Dans cette circonstance, par le vent très actif,
l’enlèvement de l’appareil
devient un fait possible.
Voici approximativement ce que peut peser cet engin :
Admettons
pour les trois roues 20+20+15 = 55 k.
Bâti et essieu Aéroplane Charge deux
hommes |
|
100 k. 45 k. 150 k. |
|
Total |
350 k. |
qui peuvent
être réduits à 250 kilos, s’il n’y a qu’un aviateur..
Ces 350 kilos sont,
à mon sens, ce qu’on peut espérer faire de plus lourd, entravé que l’on est par
la résistance des matériaux.
Un tricycle
aéroplane pour homme léger, pour enfant, peut encore fortement diminuer comme
poids et dimensions, mais il n’y aura rien de trop dans l’énergie de l’adulte,
pour parer à tous les accidents de terrain qu’on rencontrera, et dont la
manœuvre devra être d’une décision rapide que l’enfant ne serait peut-être pas
susceptible d’avoir.
Il faut des roues
capables de supporter ce poids, et même plus, car dans le saut, l’atterrissage
sera toujours un choc, plus ou moins fort, suivant l’adresse que l’on déploiera
; mais il y aura toujours un coup reçu par les roues. Il faudrait donc songer à faire
des roues élastiques, ce qui est faisable. Ceci est l’affaire
des constructeurs de vélocipèdes.
Si nous admettons
que la hauteur du cerf-volant puisse atteindre 250 mètres, ce qui est assez
difficile à cause de l’action du vent sur une corde aussi longue, mais qui est
d’autant plus possible que la surface du cerf-volant devient plus grande ; si,
spéculant sur cette grande hauteur, nous admettons un fait assez fréquent dans
les pays tempérés, c’est-à-dire deux vents de directions différentes, nous
abordons dans ce cas à une autre mine de spéculations nouvelles que je me borne
à indiquer.
...ainsi que les accouplements divers du ballon et du cerf-volant. Dans ce cas, la mission de l’aéroplane change, il devient un
frein du cerf-volant, tout en s’élevant.
Mais
laissons ces idées qui sembleraient probablement des rêveries à la génération
actuelle, qui n’est pas encore assez initiée aux phénomènes pour les admettre,
sans expérience concluante à l’appui.
Depuis la
publication de l’Empire de l’air, un
grand malheur est arrivé à l’aviation. Les ballons de l’Etat ont eu un
commencement de réussite comme direction. Ils ont réussi à équilibrer un
courant d’air de dix mètres à la seconde[35].
Cette ombre de
résultat a suffi pour arrêter toute étude. On n’a plus voulu entendre parler que des ballons dirigeables, tout
autre ordre d’idées a été écarté. Cela se calme cependant ; les ballons aussi.
On commence à réfléchir et à analyser ce qui a été offert comme expérience
sérieuse, et on attend le complément.
L’humanité se dit
: la France à coups de millions dépensés, a réussi à obtenir un petit résultat,
assurément intéressant, mais qui, en somme, est absolument insuffisant ; ce
n’est pas du tout ce qu’on demande. Le résultat obtenu a peut-être un intérêt
comme manœuvre de guerre, mais ne dépasse assurément pas cela. L’humanité, en
général, n’a pas l’emploi de ces faibles vitesses ; elle attend une rapidité
plus grande, avec une patience remarquable,
il faut le reconnaître.
Les gouvernants,
qui, certainement, n’ont pas fait des études spéciales sur cette question, se disent : en n’économisant
rien on arrivera : c’est une question de moteur. Il faut léger et puissant ;
avec du temps et de l’argent la réussite est certaine.
Si ce
raisonnement était juste, on arriverait assurément, mais il ne l’est pas, et on
n’aboutira pas par ce chemin.
Il était
cependant à croire que beaucoup de dépenses, beaucoup d’intelligence, des
découvertes nouvelles, des moteurs plus puissants, permettraient d’activer les
propulseurs jusqu’au point de pouvoir atteindre une vitesse utile.
C’est là
qu’apparaît l’écueil.
Afin de ne pas
perdre de temps à attendre que ce moteur soit trouvé, nous allons en faire un ;
c’est la locomotive.
Attacher à cette machine,
par le point choisi, le ballon. Opérer par le calme ; marcher seulement à la
vitesse de 3G kilomètres à l’heure, qui est celle des trains omnibus, pendant
10 heures, et voir ce que sera devenu le ballon.
Il est inutile d’insister.
C’est la faiblesse de l’enveloppe qui est la pierre d’achoppement. C’est le point
faible du ballon ; et c’est
un vice d’origine.
Le ballon animé
est par la faiblesse de l’enveloppe destiné à durer très peu. Dans l’aérostat
ordinaire, on n’a qu’à soigner la dilatation. Avec de l’attention, on est sur
qu’il ne crèvera pas, mais, dans celui qui avance contre le vent, on perçoit l’usure qui se produit
à
chaque instant sur cette mince pellicule ; on comprend, qu’un peu plus tôt, un
peu plus tard, le frottement aura raison de ce rien qui soutient.
Et ce frottement
est constant ; le ballon avance donc constamment vers la destruction, chaque fois qu’il sort de son rôle de flotteur. Plus la vitesse
est grande, plus le danger croît.
En l’exagérant, on arrive fatalement à l’écrasement final.
Pour atténuer ce
vice de naissance, il faut franchir un pas immense. Il faut grossir
démesurément l’aéronef.
Attaquons d’emblée
le million de mètres cubes.
Nous nous
trouvons en face d’un ballon qui, s’il est sphérique, a, à peu près, 125 mètres
de diamètre, grandeur qui est acceptable ; ce n’est en somme pas si monstrueux
qu’on le suppose à première vue.
Nous obtenons par
cet énorme volume : bénéfice de frottement, bénéfice de solidité et bénéfice de
commodité.
Le frottement
diminue dans une proportion qui doit avoir une certaine corrélation avec la diminution de la surface. Malgré qu’on
ne puisse la préciser, on peut assurer qu’elle est énorme. N’insistons cependant pas trop sur ce point, malgré
la donnée réconfortante qui dit que les
surfaces croissent comme les carrés et les volumes comme les cubes, car, malgré
cette assurance heureuse, il ne serait pas absolument impossible qu’on se
trouvât en face de difficultés non
encore entrevues par la mécanique pratique, qui n’a au reste jamais eu
l’occasion d’étudier l’action du vent sur d’aussi vastes surfaces.
Avec un énorme
cube, la solidité de l’enveloppe peut être attaquée sérieusement. Ce n’est plus
la pellicule, la pelure d’oignon à laquelle on aurait affaire, c’est un cuir complexe d’un centimètre d’épaisseur,
auquel on pourrait demander résistance et étanchéité
complète.
Sur les commodités
qui seraient permises par le fait de cette force ascensionnelle, nous ne nous
étendrons pas. Nous attirerons seulement l’attention sur les perfectionnements qu’il sera permis de donner aux
propulseurs et aux machines.
Oui, il y a à faire
et beaucoup dans le ballon ! Notre ennemi, pour arriver à posséder toutes ses
facultés, doit grossir énormément, au contraire, dans des proportions
remarquables. Reste la question financière. Il n’est pas probable qu’une
machine et une enveloppe soient au-dessus des moyens pécuniaires de notre
époque.
Bien ! Le ballon
de nos rêves existe, le million de mètres est construit, parfait comme
solidité, comme perfection, comme puissance. À quoi arrivera-t-il comme vitesse
? Atteindra-t-il six mètres à la seconde ?
Non seulement
nous l’espérons, mais nous le croyons.
Est-ce le
résultat que nous cherchions ? Est-ce ce que l’humanité désire ?
Non, assurément !
elle veut aller autrement vite que cela et par d’autres temps. Si le voyage
aérien n’est possible que dans des jours spéciaux et rares, malgré que la
statistique dise le contraire, il n’entrera forcément
pas dans la pratique. Ce sera toujours
une
expérience
plus ou moins bien réussie, plus ou moins drôle, mais la masse ne l’utilisera pas.
Dix mètres de
vitesse, par le calme absolu, telle semble être la limite de l’aéronef de
l’avenir ; ce qui fait la vitesse des trains omnibus dans l’air parfaitement
calme, ou l’arrêt par un léger vent.
À cette vitesse,
nos aéroplanes, à nous aviateurs, commenceront seulement à entrer en action ;
il faut cette rapidité de vent pour qu’ils puissent supporter leur charge.
Maintenant quant à celle qu’il pourront braver, c’est autre chose. Il n’y a pas
grande difficulté à construire, même en grand, un appareil capable de lutter
contre un vent de 25 mètres et avancer sur lui de 5 mètres. Il s’agit seulement
de pouvoir déplacer assez le centre de gravité, le porter assez à l’avant pour
être en équilibre avec cette vitesse, puis avoir un appareil assez perfectionné
pour pouvoir diminuer la surface en s’attaquant à la largeur de l’aile de la
quantité que comporte ce courant d’air rapide.
Là sont les
seules difficultés ; sauf celle du capital.
Il finira bien
par venir à nous. A force de mécomptes, l’humanité sera bien forcée de regarder
de notre côté, et de chercher si dans nos timides essais il n’y a pas quelque
chose de bon.
En tous cas, le
résultat est à nous aviateurs, et aviateurs à la voile seulement. Nous seuls
sommes appelés à résoudre le problème de la station presque perpétuelle dans
l’air ; et station économique, démocratique, à l’usage de tous, du pauvre comme
du riche, la machine à cent francs, et non le monstre qui coûte des millions.
Pourquoi alors ne
l’avez-vous pas fait ? Pourquoi les quelques aviateurs que vous avez ralliés au
vol à la voile ne l’ont-ils pas exécuté ? Ils n’étaient pas entravés comme vous
l’êtes par la maladie et les besoins de
la vie ; eux pouvaient agir et cependant, ils n’ont rien produit ! Tandis
que nous, les partisans du ballon dirigeable, nous avons tenu tète à un vent
léger. Comme vous venez de le dire, c’est insuffisant, mais c’est un résultat
positif et d’ici peu, nous ferons mieux.
Nous, les aviateurs rameurs,
nous avons produit
des oiseaux qui volent en pleine
séance ; pour nous aussi,
ce résultat positif
ira en progressant. Vous n’avez
donc pas raison d’être aussi exclusifs que vous
l’êtes !
Ce qu’on nous reproche
est exact, mais à cela nous pouvons répondre que, si le problème n’a pas été démontré par nous, si nous n’avons pas eu la quantité de vie et d’action suffisante pour
mener à bien ce problème, ce n’est pas une preuve qu’il ne le sera pas un
jour par d’autres plus actifs, plus hardis qui suivront notre voie. Puis, si
l’homme n’a pas encore osé se livrer
sérieusement à ce glissement sur l’air, des oiseaux de masse presque comparable
à la sienne s’y livrent chaque jour… et
nous montrent que nous sommes dans le bon chemin. Pour vous il n’en est pas
ainsi ; vous n’êtes pas avec la Nature
; nul ballon n’a été créé par elle ; nul rameur de forte masse n’a été
construit par cette mécanicienne divine qui sait tout, qui fait tout plier à sa
volonté, qui crée l’organe et l’anime.
Non, vous ne la
suivez pas ! et nous, c’est pas à pas que nous nous mettons à sa suite, que
nous tâchons de la comprendre et de l’imiter.
Il est donc
compréhensible que notre croyance soit énergique.
Je m’étais
bien proposé de le construire ; mais, pour cela comme
pour beaucoup d’autres choses, je n’ai pas dépassé l’intention.
Ce qui prouve qu’on ne fait pas tout ce que l’on veut dans la vie de ce monde.
Dans ma jeunesse,
j’ai beaucoup parcouru les pays montagneux : Bugey, Suisse et Savoie. Il m’est
arrivé bien souvent d’être obligé de faire plusieurs lieues pour franchir
seulement en droite ligne moins d’un kilomètre. Cette dépense inutile de temps
et de force m’irritait. Quand je pensais que le point que je voulais atteindre
était là en face, à un jet de pierre, et que, pour Y arriver, il me fallait
plusieurs heures de marche pénible, il me venait à l’idée de chercher à
esquiver cette difficulté.
Le besoin crée l’outil.
J’avais donc
pensé construire un ballon ainsi fait :
Faire en soie
très fine, très légère et parfaitement résistante, un petit ballon de cent et
quelques mètres cubes. L’imperméabiliser de la manière la plus absolue possible
; faire en somme qu’il puisse
fonctionner sans perte
trop sensible pendant
une journée. Lui mettre un filet en cordonnet de soie pour éviter
la charge : en somme, produire un ballon où rien n’a été épargné pour bien faire. Cela est facile au reste, il n’a que six mètres de diamètre : c’est
presque un jouet.
A cet appareil,
pas de soupape et pas de nacelle. L’aéronaute est pendu à un système de
courroie très solide qui lui laisse toute liberté de mouvements.
Afin de procurer
une demi-direction, l’aéronaute sera pourvu d’un aéroplane léger lui aussi. La
forme de cet aéroplane sera à peu près celle de mon essai n° 3[36] ;
seulement, on lui ajoutera une direction horizontale active. Il est un rameur
et un planeur. Pour le rendre actif comme rameur, on recouvre la carcasse de
l’aéroplane d’un filet en cordonnet de soie à mailles larges de cinq
centimètres de côté, bien tendu, et sur ce filet on colle par un des côtés des bandes de papier du Japon de dix centimètres de largeur sur un mètre de
longueur.
Ces bandes sont fixées par le côté avant, en dessous de l’appareil, sur un
centimètre de largeur, les neuf autres sont donc flottants ; ils pendent
perpendiculairement. Sur le bord libre de ces bandes on fixe dans un repli de papier des tiges de plumes ébarbées bien fines, bien résistantes. Je
m’étais adressé aux rémiges du martinet ; mais, vu la difficulté de se procurer
cet oiseau en Europe, les rémiges de pigeon suffiront.
A ces petites
barres, on attache un fil de soie, qui va se fixer par l’autre bout à une maille du filet. Le but cherché est
d’empêcher la feuille de papier d’atteindre la perpendiculaire, ce qui pourrait
faire qu’à un battement par le calme ou vent arrière, elle ne
s’applique sur le côté avant, ce qui ne remplirait nullement l’effet cherché.
L’ouverture permise par la longueur du fil est de 45 degrés. Collé du côté
avant, bord pendant dirigé à l’arrière.
Il est facile de comprendre
le mécanisme de ces soupapes. Quand l’aile se relève, toutes ces soupapes sont
ouvertes et laissent passer l’air, quand l’aile s’abaisse, la pression les
applique énergiquement contre le filet. J’ai construit un plan rigide de deux
mètres carrés de surface sur ce système, qui a donné des différences entre
l’effort d’enlèvement et celui d’abaissement que les ailes des grands oiseaux
n’atteignent pas.
C’est un appareil
un peu long et très délicat à construire, mais qui est parfaitement solide.
Certain papier chinois ou japonais de première qualité, car il y a une foule de
qualités, est résistant comme une étoffe et léger comme
du papier à cigarettes. Les coutures
à la colle tiennent parfaitement. Il est certain que, si l’on à à craindre la
pluie, on peut se servir d’étoffe de soie très légère.
On aura
certainement des appréhensions de se confier à un appareil en papier, mais,
quand on aura bien palpé ses effets, on s’y confiera. Puis, dans le cas
présent, ce n’est pas lui qui est le support, c’est le ballon ; l’aéroplane
n’est là que pour diriger autant qu’il le peut, l’aviateur et l’aérostat.
Le tout bien
construit, bien établi, il reste à s’en servir. Le ballon enlève pratiquement
100 kilog. L’aéronaute et ses annexes pèsent 70 kilog., le ballon et son
aéroplane 5 kilog., total 95 kilog. Il reste donc une force ascensionnelle de 5
kilog. qu’on équilibre au moyen de 10 kilogrammes de plomb de chasse disposés
dans les poches des vêtements.
L’homme, le
ballon et l’aéroplane pèsent donc 5 kilog., c’est-à-dire qu’ils ne s’enlèveront
que sous l’effort produit par l’aéroplane, effort très minime au reste — 5
kilog., ce n’est rien — et qu’on entretient égal en se délestant au fur et à mesure du besoin.
Maintenant on
comprend que, lorsque le chemin est grand comme l’air et qu’on ne pèse que 5
kilog., ou même moins si l’on veut, — car rien ne gêne, si on veut faire une
petite ascension, de se l’offrir en se délestant, — en comprend, dis-je, quelle facilité
on doit avoir pour se mouvoir par le temps calme,
condition expresse de l’emploi de cet appareil. Mais cette condition est facile
à trouver dans les beaux jours de l’été ; il n’y a guère que les sommets sur lesquels le calme ne s’établit pas. Dans les vallées à mi-côte, on rencontre très souvent, dans la saison chaude,
cette immobilité de l’atmosphère que nous recherchons pour cet appareil.
On voit quelle
facilité de se mouvoir on possède avec cet engin. Les flancs perpendiculaires
des montagnes alpestres n’existent plus. L’ascension fatigante est annulée.
On se précipitera avec enthousiasme dans le vide, et on abordera sans grand effort sur le flanc opposé. Une descente
du Mont-Blanc devient un jeu tout comme sa montée. Là, plus de crainte de l’avalanche, et mieux, on joue avec
l’abîme.
Coût, quelques
centaines de francs.
Il y aura bien un
revers à la médaille, mais il n’est pas bien déplaisant. L’écueil, c’est le
vent ! L’ascension n’est certainement pas faisable à heure ni même à jour fixe
; à cela on lui répond en choisissant bien son temps et son heure. La matinée,
jusqu’à dix heures, est très souvent utilisable, et en six heures, on fait bien
du chemin et on voit bien des choses. Si cependant on était pris par un courant
d’air gênant, il resterait toujours le moyen de se délester et de fuir avec
lui. On irait tomber loin, on serait un peu dépaysé, mais le cas ne serait pas
mortel.
Pour pouvoir
présenter toujours le visage au point vers lequel on se dirige, il faudra se
munir d’un bambou fin et long de 5 à 6 mètres, à l’extrémité fine duquel sera
fixée une palette, d’un mètre environ de longueur sur cinquante centimètres de
largeur. Cette palette légère, en étoffe tendue sur un léger bâti, servira de gouvernail.
Il sera facile, avec un faible effort
sur ce long levier, de se retourner
du côté où on voudra aller. L’extrême
pointe du bambou sera ferrée, toujours très légèrement, d’un outil
d’acier, pouvant remplir l’office de
gaffe, harpon, crochet, etc., etc.
Le point
difficile, dans cet appareil, est la production de l’hydrogène sur place, au
pied des montagnes. Mais rien ne prouve que, si ce genre de divertissement
était demandé, appareils et hydrogène ne soient fournis par les grands hôtels
qui exploitent les sites pittoresques. C’est assurément, une annexe
intéressante pour ces établissements, et, quand l’ascension se trouvera prête,
et qu’elle sera réduite à une question d’argent, les aéronautes se trouveront.
Ce qui décidera
les timides, et qui formera par la suite autant d’aéronautes, c’est le
sentiment qu’on aura d’être absolument l’arbitre de ses mouvements. Avec le
ballon ordinaire, on est emporté à la diable. Il y a bien certainement quelques
aéronautes qui sont assez maîtres de leur lest pour se tenir à une hauteur
régulièrement la même, mais ils sont rares, ce sont les professeurs de l’art ;
puis, quand leur lest est épuisé, cette tenue dans l’altitude est finie. Dans
cet appareil, la question lest est exactement la même ; il faudra apprendre à
s’en servir, mais l’important n’est pas là : c’est l’aéroplane qui est l’outil
intéressant. Il permet, en ramant, de monter presque sans fatigue, puisqu’on ne
pèse presque pas ; pour redescendre, il suffit de ne plus agir, on tombe alors
lentement. L’aéroplane, par son action de glissement sur l’air et l’inclinaison
des plans qu’il peut présenter, puis par ses organes de direction horizontale,
permet d’imprimer un sens de mouvement, qui est d’autant plus actif et précis
que le calme est plus grand et le poids de l’ensemble plus considérable ; par
conséquent l’aéronaute qui se dirigera le mieux sera celui qui sera le plus
chargé.
Comme on le comprend
de suite, il y aura là, comme partout au reste, un léger apprentissage à faire ; mais il n’offrira aucun danger. En tout cas, il sera aidé par le désir
qu’auront
les opérateurs de renouveler les impressions curieuses qu’ils auront déjà
ressenties, et le désir de mieux faire comme direction.
C’est cet
aéroballon qui formera les timides ; c’est lui qui créera la demoiselle aéronaute !
Ceci semble, à
première vue, un peu avancé ; mais nous ne le croyons pas. Effectivement, quand
une jeune personne aura eu la curiosité de se boucler les attaches du ballon,
d’enfourcher l’aéroplane, quand elle verra qu’elle reste à terre exactement
comme auparavant, elle s’enhardira. Au bout de quelques minutes, elle se
permettra une légère pression sur les ailes. L’effet produit sera un petit saut
d’un mètre environ nullement effrayant. Encouragée par l’innocuité de cette
manœuvre, elle s’en permettra un second, puis un troisième, etc., et,
finalement, au bout de quelques séances, elle deviendra une aéronaute
accomplie.
Et nous aurons
formé ainsi une pléiade d’ascensionnistes des deux sexes, nous aurons créé une
nouvelle couche de pratiquants du royaume de l’air. Le ballon quittera un peu
la fête foraine pour entrer définitivement dans le sport ; et ce ne sera pas
malheureux ! Il ne restera plus alors que l’ascension scientifique et
l’ascension humoristique.
L’apport sérieux
de cet appareil sera de familiariser l’homme avec l’emploi de l’aéroplane. Il
apprendra à s’en servir, à compter sur lui, et, au moyen de certains tours
d’adresse, arrivera par instant à ne porter que sur lui. Il s’ingéniera à se
passer de plus en plus de son support, le ballon, tout comme un nageur novice
diminue de plus en plus la puissance de ses lièges, ou comme l’enfant qui
apprend à marcher quitte peu à peu son petit
chariot roulant.
Voilà comment
l’humanité timide s’enhardiera et arrivera par une série d’études préparatoires
à se confier à l’aéroplane.
Les physiciens ne
savent que peu de chose sur la hauteur de l’atmosphère, sur sa composition, sa
température, son état hygrométrique, électrique, etc., etc. Avec les appareils
enregistreurs automatiques il semble facile de trancher toutes ces questions.
Effectivement,
si, au lieu de faire faire cette étude par des observateurs, qui perdent leurs facultés dès qu’ils atteignent 5 ou
6 mille mètres, qui, en tous cas, ne peuvent dépasser 10.000 mètres sous peine de mort, on se contente
d’y envoyer des instruments, on ne sera plus arrêté par le froid ou le
manque d’air ; et les observations n’en seront pas moins bien faites.
Ces instruments, il
faut bien les reconnaître, non seulement dans ce cas suppriment l’aéronaute,
mais le dépassent comme action, et comme garantie des faits observés.
Voici comment
on pourrait s’y prendre pour obtenir ces résultats :
Si on prend un
petit ballon en baudruche de 20 mètres cubes, qu’on le gonfle à moitié avec de
l’hydrogène, soit 10 mètres cubes, on aura une force ascensionnelle de 10
kilogrammes, qui sera équilibrée par :
Poids du ballon en baudruche 2.000 grammes
Poids du filet de soie 250 −
Poids d’un parachute 1.500 −
Poids d’un ozonomètre enregistreur 500 −
Poids d’un thermomètre
enregistreur 500 − Poids d’un ballon de verre à
fermeture automatique 500 −
5.750 grammes
Force ascensionnelle 4.250 −
Total 10.000 grammes
Il reste donc une
force ascensionnelle de 4.250 grammes qui ne diminuera qu’arrivé à une très
haute altitude, puisque la dilatation est possible, le ballon n’étant rempli
qu’à moitié.
Il est facile, en
grandissant le volume du ballon, d’arriver à ne le gonfler que d’une fraction
minime, et d’avoir cependant une force ascensionnelle considérable afin de monter rapidement ; la dilatation
pourrait, dans ce cas, arriver à tolérer une hauteur à laquelle on n’a pas
encore pu songer.
Au filet de soie
est suspendu un parachute chargé des appareils d’observation. Ce parachute est
commandé par un appareil léger, d’un système quelconque, qui le détachera du
ballon au bout d’un laps de temps précisé. Au bout de ce temps, mis en liberté,
il transportera sa charge doucement à terre, où elle pourra être recueillie et
remise à l’expérimentateur.
Si on a eu soin
de :
Choisir un jour
sans vent, d’opérer loin de la mer, d’avoir fait prévenir le pays par les
journaux, de s’être précautionné contre
la submersion des appareils, enfin
de promettre une récompense sérieuse à celui qui
trouvera et fera parvenir les enregistreurs, on peut être à peu près certain de
les retrouver.
Nous avons donc
là le moyen de savoir :
Si l’atmosphère
n’a réellement que la hauteur que les traités de physique classiques lui
accordent, soit 50 à 60 kilomètres, chiffres que des observations d’acoustique
semble fortement infirmer ;
Si la composition
de l’air à ces énormes altitudes est la même que celle des couches qui
avoisinent la surface du globe : point qui est aussi l’objet de nombreuses
spéculations ;
Puis quelle est
la température de ces hautes régions ;
Et, enfin, quels sont les états hygrométriques, ozonométriques de l’atmosphère ? Toutes questions sur lesquelles on en
est réduit aux hypothèses.
La transformation
de tous ces inconnus en faits acquis demanderait une dépense bien minime. Le coût de l’ensemble des appareils serait
de quelques centaines de francs, somme insignifiante comparée à
l’importance des données fournies.
C’est bien la
partie du ballon qui est la plus délicate et qui a fait le moins de progrès.
Depuis les
ballons de guerre de la Première République, il y a eu beaucoup de formes
nouvelles de soupapes présentées, mais on en reste, malgré ces nouveautés, à la
vieille soupape à emplâtre de farine de lin. Malgré tous ses défauts, les
aéronautes ne se servent que d’elle ; on dirait qu’ils n’ont pas confiance
dans les autres
systèmes. Cependant elle est
bien peu propre ! Cet énorme cataplasme est d’une confection peu ragoûtante.
Puis, une fois un coup de soupape donné, il faut a peu près songer à la
descente, car elle ne se referme plus hermétiquement, il y a donc une
déperdition de gaz rapide qui fait qu’il faut songer à atterrir.
Je propose, pour
parer à ce défaut, d’expérimenter l’idée suivante, que je n’ai jamais essayée,
ni en grand ni en petit, mais qui me semble être bonne et simple.
Remplacer
l’ancienne soupape par un tuyau en étoffe de cinquante centimètres de diamètre
pour un ballon de 500 mètres cubes et long de quatre mètres. Un bout de ce tube
est cousu au sommet du ballon, à la place où se met la soupape, l’autre
extrémité, qui pend au milieu de l’aérostat, est garnie d’un cercle léger en
jonc. Quatre ou cinq ficelles fortes, longues d’un mètre environ, sont
attachées à égale distance sur ce cercle. On les réunit à leurs extrémités
libres, et on attache ce faisceau de ficelles à une cordelette qui est la corde
de cette soupape.
Le gaz cherchant à sortir doit comprimer ce tube souple
en étoffe et l’appliquer contre
la paroi du ballon. On peut, au reste, l’aider à prendre cette position
en l’attachant par quelques fils de caoutchouc.
Le tube étant bouché
par la pression qui l’aplatit contre l’aérostat, n’est
plus un tube,
par conséquent la déperdition du gaz doit être impossible. Pour se
servir de cet appareil, pour rendre possible la sortie du gaz, il faut
reconstituer le tuyau. On y parvient en tirant la corde qui passe par la manche du ballon. Sous l’action de cette
traction le tube d’étoffe reprend sa forme et la position perpendiculaire. Son
ouverture, tenue béante par le cercle de
jonc, se trouve être juste au centre du ballon ; le gaz passera donc d’autant
plus facilement que cette manche, sous l’action de la traction plus ou moins
forte, sera redevenue tube.
Il y a
certainement à craindre les déchirures en tirant trop fort ; mais si on a eu
soin de mettre dans cette longueur de tuyau un ou plusieurs petits cercles
encore plus légers que celui de l’ouverture, cet engin doit pouvoir, sous une
faible traction, reprendre la forme utile au passage du gaz. Au reste, pour
donner de la solidité, il sera facile de doubler le premier mètre de tube et
son point d’attache au ballon, partie où une rupture serait dangereuse.
Cette soupape
devrait, pour plus de sécurité, et pour éviter la déperdition du gaz, être
construite en velours ou en peluche dont l’envers serait imperméabilisé.
Le principal avantage
qu’offre cet appareil est de, précisément, parer le défaut de l’ancien système,
c’est-à-dire de permettre de donner autant de coups de soupape que l’on voudra,
et de régler la déperdition du gaz comme temps d’ouverture et même comme
largeur d’ouverture, car avec un peu d’adresse et de pratique, on arrivera
facilement à ne laisser passer qu’un filet de gaz.
Instrument qui
n’est pas pratique. Il est un contresens et c’est pour cela qu’il est peu utilisé.
De temps en temps,
quelques acrobates se livrent encore à cette descente périlleuse, au grand émoi des populations spectatrices qui ont cinq minutes
de véritable angoisse.
Comme l’homme
se tient vigoureusement, et que l’atterrissage est très doux,
il n’arrive pas d’accidents.
De la manière
dont est construit et employé cet engin, il n’offre absolument comme intérêt
que celui d’une créature humaine qui se livre à un exercice dangereux. Ce n’est
pas un but digne d’un appareil d’aviation. L’effet produit par la vue d’une
descente en parachute est épouvantable, on plaint le malheureux qui se livre à
de pareilles oscillations.
Un jour,
quelqu’un qui pensait juste, retourna cet appareil ; il eut le tort de le mal
construire et de s’y confier sans l’avoir essayé préalablement. Le parachute se
brisa, l’homme fut tué, et le parachute n’en est pas revenu.
Expérimentons et
cherchons à détruire ce mouvement de pendule qui est un vice rédhibitoire de
cet appareil.
Si nous prenons
un petit parachute d’un mètre carré de surface, que nous le chargions d’un
kilogramme, poids dont on le charge dans les ascensions où il est donné en
spectacle, si nous nous offrons la descente de cet appareil d’une hauteur un
peu considérable, nous reproduisons cet épouvantable effet de balancement que
tout le monde a vu.
La première idée
qui se présente comme correction à faire est celle de l’agrandissement du trou
par où l’air s’échappe. Après l’avoir augmenté de grandeur, nous livrons le
parachute à l’espace. Nous remarquons que le balancement n’est pas entravé
d’une manière sensible. Nous
agrandissons encore ce trou et nous continuons d’expérimenter. L’effet de
pendule se continue. À force de coups de ciseaux, nous sommes arrivés à avoir
réduit le parachute à avoir la tournure d’une couronne ; la moitié de sa
surface y a passé. Nous le livrons à la chute, et constatons que la descente
devient de plus en plus rapide, et que l’oscillation s’agrandit comme amplitude
au point de rendre l’engin inutilisable.
Il n’y a donc
rien à faire avec ce système.
Reprenons cette
idée par un moyen différent, qui a tué un homme, c’est vrai, mais qui n’est pas
faux pour cela.
Nous prenons un
parapluie, nous l’enlevons de sa canne, le remettons en place en le retournant,
de façon que le sommet soit du côté du manche. Nous chargeons la poignée du
poids à faire supporter, et nous livrons le tout à la descente. Nous constatons
du premier coup que l’oscillation est absolument entravée ; le parapluie choit
droit comme un plomb qui tombe.
Il n’y a donc pas
à chercher autre chose. C’est par ce procédé que le parachute doit être
construit ; seulement, il faut le faire solide.
À quoi peut-on
employer cet appareil ?
À part le côté
spectacle, qui est l’envers de ce que désire l’aviateur, il peut être bon à
accoutumer l’homme à la vue et à la sensation de la chute dans l’espace, ce qui
est déjà quelque chose d’important ; car il n’y a pas à se le dissimuler,
l’aviation demandera des études préliminaires, une accoutumance progressive,
comme au reste tous les exercices corporels, on ne nage pas du premier coup,
l’être à peur de l’eau comme du vide, dans le patinage, le vélocipède, dans l’équitation, partout
il en est de même. Ce n’est que peu à
peu,
par un entraînement lent, qu’on arrive à permettre à nos nerfs de se calmer et
d’agir avec justesse, qu’on parvient à produire ces effets d’équilibre qui
stupéfient ceux qui n’y sont pas faits.
Cet engin permet
à un voyageur de quitter un ballon en marche, quand il y a d’autres aéronautes
dans la nacelle, ou qu’on se décide à perdre le ballon ; fait qui est rarement utile.
Il pourrait
encore servir à des amusements : ainsi un excursionniste muni d’un parachute, qui serait un fort parapluie
construit pour cette destination, pourrait descendre une montagne sans
s’occuper des routes. Il pourrait assurément, s’il rencontrait un flanc
perpendiculaire, se précipiter sans crainte et tomber doucement au bas. Cela
raccourcirait peut-être un peu le chemin, mais, à part la sensation produite,
ne vaudrait probablement pas la peine
qu’a coûtée cette charge, qu’il lui a fallu monter avec lui. L’intérêt n’est
donc jusqu’ici qu’absolument pittoresque.
On pourrait
encore, comme le racontait M. de la Landelle, éviter la descente des escaliers,
en se précipitant de la fenêtre ; mais ce ne serait nullement pratique, surtout
pour les dames.
Comme on le voit,
il est peu facile de faire du parachute un instrument sérieux. Son grand défaut
est de n’être pas dirigeable. Celui qui s’en sert tombe au hasard de la
perpendiculaire dérangée par le courant aérien, de sorte qu’on ne sait jamais
où on va choir : ce qui n’est pas
récréatif.
Il s’agirait
donc, pour rendre cet appareil intéressant, de pouvoir légèrement le diriger
dans sa chute.
On y arriverait
par le moyen suivant :
Soit un bâton de
deux mètres de longueur, en bois souple et fort, de la grosseur d’une barre de
trapèze, terminé par un renflement du bois, qui sera destiné à arrêter d’une manière formelle la ferrure du haut du
parapluie. L’autre bout se termine par une barre en travers, de cinquante
centimètres de longueur, sur laquelle l’aviateur peut se mettre à cheval. Il a
donc, en acte de descente, la position suivante : des deux mains il tient le
bâton de deux mètres et ses cuisses reposent sur cette béquille, dont chaque
côté offre un appui de vingt-cinq
centimètres.
Le parapluie sera
ainsi fait. Une ferrure forgée en acier excellent, possédant 24 charnières, où viendront se loger les têtes des baleines. Ces baleines sont de fortes
badines, de la grosseur du doigt. Ces 24 petits bâtons sont reliés entre
eux afin de régulariser l’écartement. L’ouverture du parapluie sera, le bâton
étant perpendiculaire, l’horizontalité exacte.
Il sera circulaire
ou carré, peu importe. S’il est rond, on pourra donner deux mètres dix de
longueur aux baleines, dont deux mètres seront entoilés, les dix centimètres
qui dépassent seront utilisés plus tard.
Elles sont
relevées par le procédé ordinaire qu’on emploie pour le parapluie. Cette tige
de fer et cette glissière n’ont pas besoin d’une très grande solidité, parce
qu’elles n’ont d’autre but que de permettre d’ouvrir le parapluie et de le
maintenir ouvert.
Pour retenir en position
horizontale, sous la pression violente de l’air, ces 24 baleines, il faudra 48
cordelettes, toujours d’une solidité éprouvée, et venant s’attacher une à
l’extrémité de la baleine et l’autre au milieu, afin de ne pas permettre la
formation d’un arc.
Le parapluie étant ouvert, il est fortement immobilisé : 1° par les petites barres
de fer qui le poussent en haut ; 2° par les 48 cordes fines qui
l’empêchent de dépasser l’horizontalité.
Toutes ces cordes
sont attachées au manche au-dessous de la glissière de remontée, d’une façon
qu’on peut laisser à la sollicitude de l’expérimentateur, puisque ce sont elles
qui vont le soutenir.
L’étoffe à
employer est tout simplement une soie écrue très vigoureuse, fixée par une
foule de points aux baleines, et à chaque maille du filet de cordon de soie qui
doit les recouvrir et les relier entre elles.
Ceci n’est que la moitié du parachute, qui n’est pas encore légèrement dirigeable. L’autre moitié est ainsi faite :
Les bouts des
baleines du parapluie dépassent la toile et sa bordure de dix centimètres. On
profite de ces morceaux de bois libres pour ajouter une annexe au parachute.
Pour le faire, on peut se servir de douilles, semblables à celles qui, dans
l’appuie-main des peintres, relient
entre eux les tronçons de cet outil. Ces douilles en fer ont pour but de
joindre aux baleines des allonges de lᵐ50 de longueur, faites en bois
souple, tel que des joncs bien huilés et pas piqués des vers, ou encore des
badines, du bois avec lequel on fait les fouets de rouliers. Ce bois est
nerveux et souple, quand il est bien graissé, il peut donc remplir facilement
le rôle de ressort que nous lui destinons, d’autant mieux qu’il ne casse jamais.
Avec le premier
parachute rond, de 12ᵐ56 carrés de surface, d’une forme plate et horizontale, on
n’a pas un parachute. Si on le livrait à une descente, il reproduirait ce
mouvement de balancement du parachute ordinaire d’une manière probablement
exagérée, et notre but est de détruire ce mouvement. Avec cette annexe de 24
allonges de 1ᵐ50 de long, qui sont unies entre elles par une étoffe de
soie, on a d’abord ajouté à l’appareil une surface de 25ᵐ90, à opposer à
l’action de retenue de l’air. Le parachute a donc maintenant 38mq46,
et en action environ 30 mètres. Puis on a supprimé le balancement. Livré à la
descente, chargé d’un aviateur du poids de 65 kilog., il tombe avec une vitesse
régulière et perpendiculaire, qui sera probablement, d’après des expériences en
petit, d’un peu moins de 5 mètres à
la seconde.
Cette vitesse
de chute, sous l’action de ces ressorts
qui ont produit
des surfaces fuyantes, est devenue régulière et sans
aucune oscillation. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à construire cet appareil dans
des proportions réduites, et on est édifié sur la régularité de la descente.
Mais là ne se
borne pas l’effet cherché. Nous désirons le rendre légèrement dirigeable, afin de pouvoir préciser,
dans les bases de l’action
de cet appareil, le point où on veut
atterrir.
Il est assurément intéressant de pouvoir éviter de tomber sur une maison, une
rivière, en somme de choisir son endroit.
Si nous attachons
à l’extrémité des pointes une cordelette, et qu’en descente nous tirions sur
celle qui est devant nous par exemple, assez fortement pour, non seulement la
ramener à l’horizontale, mais la lui faire dépasser, de façon à faire
légèrement le creux en dessous, nous créons un acte directeur. Le parachute ne
tombe plus perpendiculairement mais nous dirige, en tombant, devant nous ; et
cela d’une quantité qui peut aller jusqu’à produire un angle de 45 degrés.
On pourrait donc
fournir 24 sens de directions différentes puisqu’on a 24 pointes à déformer.
Rien n’empêche d’en tirer deux à la fois et même un plus grand nombre ; si on
relie par exemple les six cordelettes qui sont devant l’aviateur par un bâton
qui les commandera toutes les six, en appuyant au milieu du bâton, ou à gauche,
ou à droite, on se dirige ou devant, ou à gauche, ou à droite.
Les cordes qui
actionnent les pointes qui sont devant l’aviateur sont celles dont on aura le
plus souvent à se servir, car il est plus naturel de se diriger devant soi que
derrière ; toutes les autres peuvent, à la rigueur, être supprimées.
Cette direction
en avant pourra être facilitée par l’emploi simultané d’un gouvernail, pareil à
celui dont il a été parlé au ballon alpestre. On pourrait le fixer
horizontalement sous la traverse sur
laquelle repose l’aviateur, et il pourrait être mû par les genoux. Ce
gouvernail pourrait facilement ne peser que 1.500 grammes,
et cependant avoir
5 mètres de longueur, et à peu près un mètre carré
de surface ; il’ serait donc très maniable, et aurait l’avantage de pouvoir
donner des coups de force, qui n’emprunteraient rien à la vitesse.
Mais, nous
remarquons, à notre grand déplaisir, que cet acte directeur produit un
balancement très fort, et quand on y réfléchit, on trouve que c’est naturel. Toute
force, qui trouble l’équilibre de tombée, actionne ce pendule, et lui
communique un mouvement, qui ne se continuera pas indéfiniment, parce qu’il
sera entravé par les plans offerts par le parachute à l’air qu’il rencontre,
mais qui durera cependant assez longtemps. Je n’ai pu étudier ce balancement
que sur des chutes qui ne dépassaient pas la hauteur de 24 mètres.
J’ai expérimenté le parachute avec une surface
carrée, elle produit
le même effet
que sur la surface ronde. J’ai
produit ensuite une surface rectangulaire de deux mètres de longueur sur un mètre de largeur. La direction en travers se-produit très activement et est plus rapide
que dans les formes rondes et carrées, mais le balancement semble augmenter.
Tout ce qui
précède a été expérimenté un grand nombre de fois ; ce qui va suivre est de la
spéculation intuitive.
La première
expérience qui se présente à l’esprit est l’allongement du pendule, afin
d’agrandir l’amplitude des oscillations, les rendre plus douces et moins
nombreuses.
La seconde a
trait à la forme à donner à la surface portante.
Dans le rectangle
de deux sur un, on voit poindre l’aéroplane, et c’est ce que je cherchais. La
translation est facilitée par la faible largeur du parachute, et c’est naturel,
car le traînement diminue.
Je voulais aller ainsi jusqu’à l’absurde :
10 : 1, et bien au-delà, même. Je me proposais également de
raccourcir progressivement la longueur du pendule. Ce que produira ce
raccourcissement, je l’ignore. Il est à espérer, si le pendule est ferme,
c’est-à-dire si c’est une barre de bois bien liée à la surface portante, que
les oscillations seront diminuées. Le raccourcissement peut aller jusqu’à
annulation complète du pendule ; la charge serait en fin de compte logée en plein parachute tout comme le corps de
l’oiseau. Là le nom de l’appareil doit changer, ce n’est plus parachute qu’on
doit le nommer, mais aéroplane.
Je crois fermement que les deux engins se lient par ces deux points : le raccourcissement absolu du pendule, et par la disproportion de la longueur
à la largeur de la surface
portante ; mais ce ne sont que des suppositions, qu’il convient de faire passer
au critérium de la pratique.
J’ai été si
souvent induit en erreur par le raisonnement, l’expérimentation a si souvent
infirmé des spéculations imaginatives qui semblaient bien établies, que je
n’ose rien avancer si je ne l’ai vu expérimenter par l’oiseau, ou si je n ’ai
produit moi-même l’expérience.
CAUSERIES
Je me permettrai de redire, et cela sans crainte de me répéter,
qu’il faut étudier
beaucoup l’oiseau, le connaître comme ornithologie, comme anatomie, comme
mœurs, et surtout comme manière de voler, puisque c’est surtout ce point qui
est le sujet de mes réflexions.
Le moins qu’on
puisse faire quand on a un professeur, c’est de suivre ses exemples et ses conseils ; et quel est maître plus
savant que celui-ci ? Il n’est pas phraseur, il ne vous dira aucun fait avancé
; en cette matière, l’aviation, il ne dira même rien : il démontre, il exécute
le vol plus ou moins bien suivant son savoir, on pourrait dire sans jeu de mot
suivant sa capacité.
Son étude, poursuivie
avec passion depuis quarante ans, m’a permis d’affirmer dans l’Empire de l’air, sous forme d’axiomes, une
série de propositions que, depuis 1881, je me suis appliqué à revoir. Je ne
trouve que peu de chose à changer et peu à y ajouter.
Les voici réunies
en un seul groupe.
Page 31 : Chez l’oiseau « La force proportionnelle est en raison de la petitesse. » Page 33 : « La vitesse est en raison inverse de la grandeur de la surface. »
Page 36 : « L’aptitude
au changement de direction est en relation avec l’ampleur et la puissance de la
queue. »
Page 37 : « Les
oiseaux sans queue ont tous l’avant-bras très
long. »
Page 63 : « Dans
la navigation aérienne la question de
base est la vitesse. »
Page 69 : « La quantité
de surface proportionnelle nécessaire à un oiseau pour un genre de vol donné diminue avec
l’augmentation du poids de l’oiseau. »
Page 210 : « Quand un
corps se meut, son centre de gravité
(ou son centre de pression) se déplace et se transporte en arrière du sens de
mouvement. »
Page 236 : « Dans le
vol des oiseaux voiliers, l’exhaussement est produit par l’emploi adroit de la
force du vent, et la direction par l’adresse ; de sorte qu’avec un vent moyen,
on peut, avec un aéroplane qui n’est pourvu d’aucun appareil pour s’exhausser,
s’élever dans les airs et se diriger même contre le vent. »
Page 237 : « L’ascension est produite par l’utilisation adroite
de la puissance du vent,
et nulle force autre n’est nécessaire pour s’élever. »
Dans le présent livre
nous trouvons celle-ci
au chapitre « Aéropane d’essa
i » :
«
L’oiseau qui a l’aile étroite n’a presque
pas de queue, et celui qui a l’aile large a la queue très développée. »
Je n’ai malheureusement
pu étudier que peu d’oiseaux, l’observation des voiliers africains et
américains pourra probablement suggérer d’autres exposés de principes. Il faut
donc étudier le volateur vivant en liberté, en pleine action de vie, suivre
avec ardeur le professeur dans ses démonstrations, s’en pénétrer et les
analyser sagement.
Là est la voie ;
il n’y en a pas d’autre !
L’étude crée et détruit.
Elle crée la science de l’aviation et détruit les errements produits par
l’imagination.
L’imagination,
c’est le sentiment faux de la mécanique ; c’est, et cela sans ombre de
paradoxe, la spéculation mathématique mal étayée, qui se fourvoie chaque fois
que les bases sont fausses, et elles le sont toujours, puisqu’on ne sait encore
rien de précis. Puis, il faut l’avouer, ce sont les observation inexactes.
Cette dernière
assertion est un danger bien sérieux. On commence à écouter l’observation et à
croire son dire, elle doit être la vérité même ; si par malheur elle est
fausse, c’est un désastre pour l’entendement humain.
Il y a eu
beaucoup d’observations ; ce ne sont pas les yeux du corps qui ont commis ces
erreurs, ce sont les yeux de l’intelligence qui ont cru voir, ou même qui ont
dit : J’ai vu !
N’insistons pas.
Soyons sérieux, soyons véridiques, l’aviation s’en trouvera mieux. Il ne faut
parler sur cette matière que quand on sait bien.
Laissons de côté les inexactitudes des autres, et
voyons celles de l’auteur.
Que n’a-t-on pas
dit sur la rapidité des volateurs ? J’ai consacré un chapitre à ce sujet où, tout en baissant la note généralement
admise comme chiffre de rapidité de l’être ailé, j’ai été encore du côté de
l’exagération.
Ainsi il y est
dit que l’oiseau à vol rapide fait 60 kilomètres à l’heure, soit 1 kilomètre à
la minute, soit 16 mètres 66 à la seconde. C’est trop, beaucoup trop ; l’oiseau
va bien moins vite que cela, et je
parle là des pigeons et des tourterelles. Dix ans de plus d’observation
m’engagent à diminuer cette estimation et à la reporter, pour ces deux oiseaux,
à 10 ou 12 mètres environ seulement pour le vol usuel moyen.
Au reste,
dans cette question
de vitesse, les chiffres sérieux
ne pourront être donnés, que quand on s’accordera pour ne
l’estimer que par le calme absolu ; c’est dans ce cas seulement qu’on comptera
juste.
Il est clair que
si l’on néglige la vitesse du vent on va à l’absurde. Ainsi, supposons un vent
de 20 mètres à la seconde ; c’est le grand vent du nord. Faites qu’un pigeon
voyageur ait à aller contre lui pour rejoindre son pigeonnier, vous constaterez
qu’il n’arrive pas dans la plupart du cas ; ce vent n’est pas pénétrable pour
lui sur un long parcours. D’après cette expérience on ne pourra cependant pas
dire avec raison que le pigeon ne vole pas. Si, maintenant, c’est le cas
contraire qui est posé, le pigeon allant avec le vent, il aura une vitesse de
20 mètres qui est celle du courant d’air plus la sienne propre par le calme qui
est de 12 mètres, qui font un total de 32 mètres à la seconde produits sans se
forcer. C’est 115 kilomètres à l’heure ; et cependant le pigeon ne peut avoir
cette vitesse que quand il est ainsi poussé.
Dernièrement il a
été parlé sérieusement d’hirondelle produisant 200 kilomètres à l’heure. On ne
peut pas dire que c’est faux, mais on peut assurer que, si c’est exact, le vent
avec lequel elle allait avait 175 kilomètres de rapidité.
L’hirondelle va
lentement. Expérimentez vous-mêmes, vous le pouvez facilement ayant beaucoup de ces oiseaux sous les yeux. Choisissez
un temps pluvieux dans lequel elle vole
bas.
Etudiez-la suivant un chemin, une rue, de son vol ordinaire de chasse et vous constaterez
qu’elle ne fait que 6 à 7 mètres à la seconde. Adressez-vous à l’hirondelle de
cheminée (rustica) qui est très familière
et qui est la plus véloce des oiseaux de ce genre de
France.
Puis ne croyez pas
que c’est un vol de circonstance. Je les ai vues en voyage, en pleine mer, bien
des fois : c’est le même rythme absolument que celui que vous lui voyez produire sur le sol. L’hirondelle ne se
presse que quand, irritée et effrayée, elle poursuit un émouchet ; il y a dans
ce cas grande accélération de vitesse, les ressorts la poussent vivement en
avant, mais qu’est cet excès de rapidité comparé à 200 kilomètres ? Au fait il
reste un vent de 175 kilomètres à l’heure, voyons ce qu’il est. − C’est
plus de 48 mètres à la seconde !
N’insistons pas.
Le fait important
qui ressort de cette digression est la compréhension de la vitesse minime de
l’hirondelle et de généralement tous les petits oiseaux à vol rapide. Cette
faiblesse dans la translation est forcée, car ces oiseaux
sont de petite taille, de masse faible, ils ont avec cela une grande
surface, par conséquent le traînement est énorme. Ces oiseaux le détruisent ce
traînement par une succession de coups de force ; mais ces efforts ne sont pas
illimités. Il faut pour aller vite non seulement être fort mais peser beaucoup.
Voyez les canards. Le pigeon est déjà bien plus lourd que l’hirondelle, aussi
doit-il donner aux pigonniers de guerre des résultats bien plus certains que
les hirondelliers.
A ce propos, de
faire servir à la guerre ces petits oiseaux, que peut-on espérer tirer d’un
volateur qui n’habite l’Europe que fin avril à fin septembre, soit cinq mois ?
Le pigeon offre bien plus de garanties
: il est à poste fixe, il s’élève, s’éduque,
s’entraîne, apprend son métier de voyageur ; c’est beaucoup
à son avoir. Ne devrait-on pas cependant lui substituer
un de ses congénères qui le dépasse
de beaucoup dans toutes ces aptitudes. Il y a en Egypte beaucoup de bizets (colomba livia), variété africaine. Celui-ci est le vrai type du
voyageur : ailes étroites, pectoraux énormes, volateur émérite et sociable ; il
habite ici des pigeonniers. Comme vol, il laisse de bien loin en arrière tous
les pigeons du Caire, et vous savez que toutes
les variétés de pigeons d’Europe
viennent de cette
ville où les amateurs de ces oiseaux sont très nombreux. Il y a
un marché spécial de pigeons qui se tient chaque vendredi sur lequel on voit régulièrement
des variétés qui ne se trouvent pas en Europe.
Les amateurs font des folies
pour ces volatiles. Leur grande récréation est de les faire voler au-dessus de la vieille ville, le
matin et le soir. Vous rencontrerez à ce marché non seulement les paons
trembleurs d’une pureté de race remarquable les chanteurs aux roucoulements
curieux et interminables, les énormes pigeons turcs, etc., et tous ceux qui
volent mal, mais vous remarquerez que où l’Egyptien montre un savoir de
sélection tout particulier, c’est dans le choix des variétés de voyageurs. Tous
les becs courts à ailes longues que vous pouvez posséder sont présents ici :
les grandes et les petites tailles sans parler du plumage, depuis le 0ᵐ90
d’envergure jusqu’au minuscule blanc à manteau noir gros comme une tourterelle.
Hé bien ! quand un bizet passe à travers tous ces vols, du premier coup d’œil
on saisit que c’est un oiseau sauvage. La vitesse de l’un et des autres n’est
pas comparable ; elle est probablement d’un tiers en plus, puis, la route
suivie est rectiligne et très haute ; tout-à-fait hors de portée d’un coup de
fusil.
Ils font ainsi,
sans y être poussés par autre chose que leur instinct, de véritables voyages
qui indiquent que ces pigeons ont la géographie infuse dans leur petite tête :
ils n’auraient donc pas besoin d’être entraînés.
Il serait facile
de s’en procurer quelques centaines de paires d’un seul coup. Comme manger
c’est un gibier.
Les rameurs même
les plus rapides vont donc lentement dans l’air calme. On a toujours des tendances à exagérer leur vélocité. Quant
aux voiliers c’est
encore pire. Le milan vise à
planer sur place, le vautour a le même but et y réussit ; c’est donc l’envers
de la vitesse.
Dans certains
cas, qu’on ne considère généralement pas comme des exceptions, il y a des tours de force qui sont produits.
C’est surtout dans les pays montagneux que ce mode de locomotion fait des
effets extraordinaires. Ainsi, dans la montagne, les routes sont excessivement
sinueuses, et le chemin de l’air est droit ; une contrée accidentée, comme la
Suisse ou la Savoie par exemple, demande
pour être traversée sur terre un temps très long ; par la route de l’air c’est peu de
chose : de là l’illusion.
Malgré toutes ces
considérations sur la lenteur des êtres ailés il n’en reste pas moins qu’il
faut 8 à 10 mètres de rapidité par le calme pour être porté par un aéroplane à
grande surface, ce qui est encore trop pour que, sans éducation préalable,
l’homme ose s’y livrer.
Il a été dit
plusieurs fois dans ces deux études que plus la surface augmente pour une
charge donnée, plus le ralentissement croît. Ce ralentissement produit une très
curieuse impression, c’est encore un effet inconnu de l’entendement usuel et
sur lequel il est bon d’insister.
Une flèche de
grande taille, de deux mètres carrés de surface et du poids de 3.500 grammes va
avec une vitesse d’environ cinq mètres à la seconde dans l’air immobile. Un
aéroplane de 5 mètres d’envergure et de 4 mètres carrés de surface est d’une
lenteur singulière dans sa marche. J’ai cet appareil tout construit depuis dix
ans, je l’ai vu en acte de vol, mais malheureusement d’une façon trop sommaire.
Sa note frappante est le ralentissement dans le parcours. Nous devons donc,
pour les premiers essais, nous servir de
surfaces les plus grandes possibles, afin de n’être pas effrayés par la
vitesse.
L’absence de traînement
dont j’ai parlé doit être considérée comme une fiction. Il doit y avoir
assurément production d’un retard quelconque dans tout corps qui pénètre un
milieu, c’est absolument certain, et cela, quelque forme qu’on lui donne. Le
fond de la pensée est celui-ci : c’est que ce retard est infime, absolument
négligeable et ne doit pas occuper nos réflexions.
Quand on suppute
bien attentivement la fluidité de l’air, on comprend que cette manière
d’envisager la résistance offerte par le milieu aérien est juste, surtout pour
les fortes masses. Dans l’oiseau, l’aile ne traîne pas sensiblement ; il n’y a
que le corps qui peut avoir de la difficulté à pénétrer le fluide, mais ce corps
dans les volateurs est tellement bien construit que l’intelligence fait,
de suite, comprendre combien doit être facile cette retenue.
Elle se fait voir
cependant lorsque le courant devient très violent et peut alors être estimée.
On pourra dire dans ce cas qu’elle est égale à telle vitesse de courant ou à
telle rapidité par le calme.
L’arrêt de la
marche de l’aéroplane-oiseau dans un courant aérien puissant, est variable avec
l’espèce. La faculté de pénétration est, à gabaris égaux, en relation exacte
avec l’importance du poids : ainsi un goëland pénètre plus facilement l’air
qu’une mouette, tous deux étant sensiblement de même construction.
Ce qui fait que
le gros oiseau a plus de facilité de pénétration que le petit, c’est que sa
surface est moindre. (Voir les tableaux de l’Empire de l’Air où cette proportionnalité est indiquée dans chaque
dernière colonne pour tous les genres de vol.) Comme toujours nous laissons de côté les rameurs et nous ne nous
adressons qu’aux voiliers. Cependant nous répéterons que la faculté de
pénétration dans les grands courants d’air est en relation avec l’étroitesse de
l’aile, soit dans le vol ramé, soit dans le vol plané. Ainsi, le rameur pluvier et le planeur
puffin admettent des vents qui forcent au repos le rameur perdrix
et le planeur vautour.
Mes observations
sur le vol des oiseaux m’engagent à classer ainsi ces quelques sujets :
Plénitude
Arrêt
Plénitude
Arrêt
RAMEURS
de Facultés –
VOILIERS
de Facultés –
–
mètres
mètres
–
mètres
mètres
Colombus Imbrim |
35 |
50 |
Albatros divers |
25 |
40 |
– miner |
30 |
45 |
Puffins divers |
20 |
35 |
Grdes Outardes |
20 |
35 |
Percnoptère |
10 |
25 |
Pluviers
divers |
15 |
25 |
Milan |
10 |
25 |
Pigeons |
10 |
20 |
Effraye |
5 |
15 |
Moineau |
5 |
15 |
|
|
|
Ces quelques
chiffres sont des estimations qui n’acquièreront de l’importance que quand
on aura pu vérifier combien ils approchent de la vérité. Je les ai revus et
corrigés vingt fois pendant dix ans ; ils sont donc étudiés autant que j’ai pu
le faire.
Si ces données
sont justes, on voit donc que, chez le volateur bien construit, cette
expression « Absence de traînement » peut être considérée, vue en gros,
comme une vérité. Elle en approche
d’autant plus que la masse devient plus forte ; ceci est un fait indiscutable
prouvé par plus de cent mensurations, qui sont dans les tableaux que j’ai
présentés dans ces deux études.
Quand, au lieu de s’adresser à une masse du poids de 7.500 grammes on aura
affaire à celle de 75.000 grammes, soit dix fois plus, il est probable que cette
formule approchera dix fois plus de la vérité.
Il est facile de
comprendre que la surface offerte par l’homme qui pèse dix n’est, dans
certaines positions heureuses, que le double ou le triple de celle du pélican
ou du vautour qui pèse un. Or, si chez ces oiseaux, la retenue est déjà presque
indiscernable, ne sera-t-elle pas pour la masse humaine
absolument négligeable ?
La machinerie de l’oiseau est aussi merveilleuse que son imitation produite par l’homme est grossière et imparfaite.
Regardons de près un de ces énormes voiliers, un vautour, un pélican, un aigle,
et délectons-nous devant cette collection de tours de force de mécanique
vivante qui composent cet aéroplane animé.
Tout vit dans le volateur, tout pousse, tout croît, s’use et se répare. La plume importante, la rémige, renaît, garantie
par ses voisines qui la préservent d’un effort trop grand et lui impriment la
bonne direction. Elle fait son travail de plume pendant deux ou trois ans et
meurt, c’est-à-dire tombe à son tour, et, dans cette rotation établie dans la
chute de ces organes indispensables à l’oiseau, jamais deux voisines ne tombent
ensemble ; le vol en serait atteint et la reconstitution prêterait à des
accidents.
La croissance de ces
longues rémiges qui supportent tant d’efforts, qui braveront les terribles
courants aériens, est intéressante au possible. Avec quel soin l’oiseau les
soigne ! Le bec, plusieurs fois par jour, vient couper la pellicule qui
l’enveloppe. Ces coups de bec attaquent légèrement les barbes, et marquent la
plume de crans réguliers espacés entre eux d’un demi-centimètre.
Tous ces soins et
la vie font la plume, chose inimitable. Les os, les jointures, ces longs
tendons, ces cordes élastiques, tout cela ne peut se reproduire, c’est la
substance vivante ; il n’y faut toucher.
Puis, si on étudie l’ensemble de l’aéroplane, ce qu’il lui est permis de
faire,
les mouvements compliqués que l’oiseau peut se permettre dans le vol, on reste
atterré ; c’est à renoncer à essayer de produire même une grossière
contrefaçon.
Qu’avons-nous
pour imiter ces splendeurs ? Rien ou presque rien : les bambous, les hampes d’agave, les caisses légères, les tubes
d’aluminium et les étoffes. Avec ces faibles
ressources, il sera difficile de faire quelque chose de suffisant. Ce serait à
abandonner si le cerveau humain ne venait en aide à la mécanique et à ses
faibles moyens d’imitation. La pensée, heureusement, vient éliminer une forte
partie des difficultés présentées par le vol ; elle finit par le réduire à sa
plus simple expression qui est le vol sans battement. Elle refait au reste,
dans ce cas, le même travail d’élimination de difficultés que celui qui a été
fait par la nature.
Le vol réduit à
ces proportions (qui sont cependant tout ce qu’on désire) est difficile, mais
pas impossible à reproduire.
Le chapitre « Aéroplane
» traite de ce sujet, mais il n’est que la grossière et difficile ombre de
cette merveille. Cependant, tout imparfait qu’il est présenté, il peut suffire
pour aller bien haut et bien loin.
Plus tard on fera
mieux, on fractionnera l’étude du modèle, on essaiera de transformer ces plans
rigides en surfaces variables. La pointe de l’aile, la main, est à créer du
haut en bas. Dans les machines perfectionnées, elle devra être fermable et
développable comme celle de l’oiseau. Toutes les surfaces, au reste, doivent
être éminemment variables si on veut pouvoir perfectionner le vol.
Chez l’oiseau, non seulement la pointe de l’aile peut
s’étendre, décupler de surface, mais
même les plumes axillaires sont susceptibles de produire ces variations ...et en produisant cette variation de surface
nous ne ferons qu’imiter la Nature qui se sert de ce moyen.
Vous devez avoir
remarqué que les plumes portantes du manteau, celles qui sont implantées sur
les os du bras et de l’avant-bras de l’oiseau, les axillaires en un mot, sont
tordues d’une façon très accusée chez certains volateurs, précisément chez ceux
qui ont à supporter de grands vents ou à produire des vols très rapides. Ces
plumes, au repos, ont une courbure
très accusée qui raccourcit leur longueur, chez le canard par exemple de près
de deux centimètres, chez le goéland d’une quantité proportionnelle encore plus
grande. Joignez à cela qu’elles sont toutes implantées absolument en biais. Ces
dispositions produisent les effets suivants : Toutes les fois que le volateur a
à lutter contre un courant aérien puissant, il ne le fait que les pointes en
arrière ; les pointe sen avant seraient un contre-sens de vol qui empêcherait
la translation et la transformerait en ascension. L’aile est donc très peu
étendue, les plumes que nous examinons gardent simplement leur courbure et leur
inclinaison, et la surface est alors la plus petite possible ; non seulement la
surface est minime, mais l’aile est diminuée dans sa largeur, disposition
spécialement utile pour la pénétration. Mais, si l’oiseau rencontre peu de
courant, ou s’il a à aller lentement, ou encore à s’élever, il a alors besoin
d’une plus grande surface et d’une plus grande largeur de l’aile ; il obtient
ces deux excédents de support en étendant l’aile complètement. Par cette
extension il se produit l’effet suivant ; sous l’action de retenue des barbes
entre elles toutes ces plumes peuvent
être considérées comme
collées ensemble ; cet
entraînement
en avant ne peut se produire qu’en détruisant cette disposition inclinée de
l’ensemble de tous ces supports, les ramenant à la perpendiculaire, par
conséquent en élargissant l’aile, puis en redressant toutes ces courbures et
les ramenant à la droite, et même en élargissant toutes les plumes, car le même
effet qui se produit sur les canons se reproduit sur les barbes ; de là,
changement de largeur et augmentation de surface dans cette partie de l’aile :
effets bien moins étudiés que celui des variations produites dans le même cas
par la pointe de l’aile.
Pour voir facilement cette disposition particulière, regardez
le pélican chez qui les ailes fermées n’ont pour ainsi dire aucune largeur
; toutes les plumes semblent
roulées ensemble comme un
parapluie roulé dans son fourreau. Chez l’albatros, la frégate, le fou, cet
effet est encore plus accusé, et,
comme antithèse, voyez l’énorme surface présentée par les axillaires chez les aigles
et les vautours qui ont cette partie
de l’aile immuable. − Pour voir
cet effet de variation de surface bien accusé, adressez-vous au martinet ; vous
trouverez chez ce volateur la plume tellement adhésive qu’elle semble vivante :
elle mord sa voisine avec une énergie qui étonne, on est surpris de sa faculté
de reconstitution ; en ouvrant et fermant l’aile, on voit se redresser ou se
recourber les plumes que nous observons.
Ce sera une disposition à copier, dès qu’on sera sorti des aéroplanes élémentaires. Il n’y a qu’à copier et à adapter l’effet, aux
substances que nous utiliserons.
Chercher à copier
de trop près la nature semble bien osé ; il convient de se borner à
l’interpréter, car ce mécanisme de mouvements divers de plumes ne se borne pas
à l’action adhésive des barbes. Quand on dissèque une aile de grand volateur à
ailes étroites et variables, on voit, rien qu’en enlevant les plumes de
couverture qui gènent la vision du mécanisme des portantes, combien est
compliquée dans l’être la production de ces mouvements. Il y a des muscles
peaussiers, des tendons, des ligaments larges qui concourent à fixer, à
mouvoir, à redresser et à retourner légèrement sur elles-mêmes toutes ces
plumes qui, chez les oiseaux à ailes très allongées, sont excessivement
nombreuses. Cela à tout-à-fait la tournure, comme complication, d’un clavier de
piano qui serait vivant. Pour bien saisir le fonctionnement de ces mouvements,
point n’est besoin d’avoir recours au scalpel ; ces tendons et ces muscles que
la graisse n’encombre pas sont d’une netteté de vision bien suffisante, la peau
qui les recouvre est pour ainsi dire transparente ; en allongeant ou
racourcissant l’aile, on saisit de suite le jeu de tous ces organes. Mais autre
est de comprendre, autre est de reproduire.
On pourrait se
borner à imiter ainsi dans les appareils perfectionnés ce chef-d’œuvre qu’on ne
fait qu’apercevoir. S’adresser pour ce genre d’aéroplane à l’aile en deux
morceaux. Nous admettons pour un instant que le mécanisme qui produit la
variabilité de la main a été trouvé.
Les surfaces variables que nous cherchons à reproduire doivent être fixées sur
la partie qui remplace le bras et l’avant-bras ; elles seraient formées d’une
série d’âmes, joncs ou bambous, qui rempliraient le rôle de canons de plumes et
sur lesquels serait tendue une étoffe élastique telle qu’un tricot. La main de
l’aéroplane commanderait ce mouvement de sorte que, quand on le porterait
en avant, toutes les âmes élastiques
seraient
tirées et redressées ; elles entraîneraient et élargiraient les étoffes de
tricot et l’augmentation de surface serait produite.
On pourrait
encore adapter à chaque canon élastique une surface particulière indépendante ;
ce serait alors l’imitation beaucoup plus rigoureuse de la plume ; ou encore
une série de plans rigides s’imbriquant les uns sur les autres qui seraient mis
en mouvement, redressés et développés par le mouvement en avant de la main.
Quand on étudie
l’oiseau, il ne faut jamais considérer ce qu’il fait mais ce qu’il peut faire.
On ne doit pas voir ce qu’il fait dans l’instant, mais ce qu’il fait par
moment. Ainsi, on voit un voilier excessif ramer à outrance sous l’action du
besoin, on ne doit pas se dire : cet oiseau est un rameur, mais, au contraire,
l’étudier longuement, le voir dans l’ensemble de ses actes de vol et se dire :
il ne rame que par accident et est, au contraire, un voilier.
En étudiant l’être
ailé avec intelligence, au point de vue exclusif de l’aviation à la voile, on
doit dépasser de beaucoup l’observation attentive de l’ensemble de son vol.
Ainsi, son vol de voilier est composé d’une foule d’actes différents ; les uns
simples, les autres compliqués : on doit chercher d’abord à se les expliquer
tous, puis laisser de côté ceux qui s’éloignent du vol simple de parcours et ne
conserver que ceux dont l’exécution est facile.
Un voilier peu
imitable, observé à ce point de vue spécial des actes qui peuvent être utiles,
devient alors un excellent professeur.
Ainsi le milan,
ce professeur perpétuel de difficultés inimitables a, lui-même, de bons
instants ; il produit, de loin en loin, des manœuvres d’une simplicité
surprenante. On se demande en le voyant voler de ce vol naïf : pourquoi
n’emploie-t-il pas toujours ce procédé infiniment moins compliqué que ceux qui lui sont usuels ? C’est que interviennent
une foule de raisons qui n’ont aucun rapport avec l’aviation ; c’est qu’il est
milan, oiseau actif, énergique, puis, qu’il vole pour lui et non pour
professer.
Pour pouvoir
faire un pareil choix dans les évolutions des volateurs il faut assurément
avoir un grand nombre d’exemples sous les yeux. La quantité des oiseaux qu’on a
à portée de la vue est beaucoup, mais ce n’est cependant pas tout ; il faut
regarder et assidûment. Il y a des gens qui ont des yeux pour ne pas voir.
Combien dans notre bonne ville du Caire, véritable paradis des voiliers,
n’ont pour ainsi dire pas remarqué qu’il y a plus de milans
qu’ailleurs,
et qui par dessus le marché n’ont jamais vu ni pélican ni vautour ? Quand on
sait voir on trouve dans les airs des êtres ailés de grande taille qui passent
tout à fait inaperçus des gens qui n’observent pas. Ainsi, en 1881, en pleine
rue de Paris, j’ai montré à un groupe
de connaissances deux aigles qui passaient au-dessus de nous. Il fallut de
l’attention à ces gens qui n’étaient pas initiés à cette. recherche pour
arriver à comprendre que ces deux oiseaux, qu’ils prenaient pour des pigeons,
avaient un mètre cinquante au moins d’envergure, mais enfin, une fois leur
attention bien éveillée, ils convinrent que, si je ne les avait pas fait remarquer, ils ne les auraient pas
soupçonnés.
Il faut apprendre
à voir ! L’observation est comme le dessin, elle demande non seulement une aptitude et une conformation spéciale de l’œil,
mais même une gymnastique
et un entraînement particuliers. Le lecteur qui aura fait des études sérieuses
sur ce qu’on nomme, en dessin de figure « la ligne » me comprendra ; pour ceux
qui n’ont pas poussé jusque là je dirai simplement qu’il faut d’abord avoir une
belle vue, puis l’amour de cette étude.
Généralement, on
ne se sert pas de ses yeux, on ne voit rien, on est distrait. Il faut que
l’oiseau vienne positivement vous heurter pour qu’il éveille votre attention ;
tandis que, quand on est né ou devenu observateur, un rien, un point qui passe
là-haut avec une tournure qui n’est pas naturelle attire votre regard.
Cet oubli de voir
ce qui existe, cette paresse de l’œil même bien conformé, est extrême ; c’est à
confondre celui qui sait voir. Les pays dépourvus d’oiseaux en ont cependant
suffisamment pour permettre l’étude du vol, ce n’est pas précisément là qu’est
l’écueil, il est dans l’inattention de la vue. Ainsi on peut voir en Europe
l’ascension par le planement produite dans de mauvaises conditions, c’est vrai,
mais enfin fournie d’une façon exacte par la crécerelle, et cela en pleine
ville, par certains jours de changement de temps. Le vol de parcours plané
n’est pas plus rare ; dans chaque port de mer on peut l’observer toutes les fois que le vent est un peu vif ; par une bonne
brise, les oiseaux
marins rament peu. Ces
deux exemples d’oiseaux faciles à rencontrer démontrent le vol de parcours et l’ascension ; quand l’observateur aura aperçu ces deux
genres de locomotion, lorsqu’il aura saisi leur économie, lorsque seulement il sera
persuadé qu’ils existent, il se dira alors qu’il y a des oiseaux qui font mieux
ces exercices que ceux qu’il
étudie ; qui, par le fait de leur grosseur sont plus aptes à fournir une démonstration plus facile à analyser ; alors, il cherchera à voir
ces gros volateurs et le sentiment de l’observation sera né chez lui.
Ce qu’il verra alors l’étonnera ; il se demandera souvent
pourquoi, auparavant, il n’avait jamais soupçonné ce qui lui crève les yeux
maintenant. Il m’a été dit souvent ceci : depuis que j’ai vu l’Empire de l’Air mon attention est
éveillée, et je vois des oiseaux où avant je n’en voyais pas. Oui assurément
les êtres ailés auront décuplé pour l’observateur dont l’esprit s’est ouvert à
cette étude. Il en verra partout, dans la forêt, dans les buissons, dans la
plaine, dans l’immensité des cieux, et même dans la nuit. — Les gens qui ont visité le Caire ne sont pas
rares. Demandez-leur combien ils ont vu de chauves-souris, de 0 m. 50 de
diamètre. Ils vous diront certainement : aucune. Cependant le soir, sans se
déranger, sur ma terrasse,
je leur en ferai voir un cent en une heure. Elles auront toutes de 0.40 à
0.50 d’un bout d’une aile à l’autre, ce qui
est respectable ; et ils verront cela, sans l’ombre
de fatigue, étendus sur un divan,
tournant le dos à la lune et en prenant le frais. On les entendra même voler
s’il fait un peu de brise. Et cependant neuf cairotes sur dix ne les
soupçonnent pas. Du même coup, on apercevra le scops qui est juste gros comme
la rousselle, l’effraye, l’otis brachyotus qui plane si merveilleusement dans
l’air calme de la nuit, et enfin,
peut-être, le duc africain. Celui-ci
vaut le dérangement ; on ne l’oubliera pas facilement.
Il faut donc décidément
se résoudre à regarder en l’air et non sur le papier. Il faut agir, quitter les
villes, fréquenter la campagne, visiter les pays éloignés où se trouvent les
oiseaux de grande taille, ou laisser l’aviation où elle est, c’est-à-dire en
pleine ornière. Il faut abandonner le chapeau, l’ombrelle et le parapluie. Pour
voir ce qui se passe dans le ciel, il ne faut pas de visière ; c’est
quelquefois ennuyeux, mais c’est comme cela. Vous figurez-vous la longue
carabine avec un chapeau ! Quand vous chassez l’oiseau, s’il arrive par
derrière et passe au-dessus de vous, vous ne le verrez, ayant un chapeau, que
quand il sera hors de portée. La moitié du champ de vision est supprimée et
c’est bien à considérer. Il faut avoir la vue libre si on veut bien voir et
c’est naturel.
(Vol lent)
À quoi peut bien
nous être utile le coup de poussée ?
À rien, surtout dans
le commencement. La vitesse produite par la chute de l’aéroplane, sa marche
simple cherchons à l’augmenter. À quoi pense-t-on ? Cette course
naturelle de 5 à 10 mètres de vitesse, suivant les
surfaces proportionnelles, nous stupéfie, trouble notre instinct de
conservation et nous comptons l’activer. Que faisons-nous de notre bons sens ?
C’est au
contraire le retard qu’il faut cultiver.
Voyons la nature, regardons comment elle s’y prend dans le cas présent ; on fait toujours
bien de l’étudier, c’est infiniment plus facile que d’inventer. Elle a eu
souvent à s’occuper de cette question du ralentissement du vol. Elle a eu, au
reste, à s’occuper de tous les cas : rapidité excessive, vélocité moyenne, vol
dans les courants d’air, vol perpétuel ou peu s’en faut, locomotion de l’oiseau
qui ne vole presque pas, etc., enfin vol retenu.
Et retenu
forcément, parce que l’être qui en est fourni en à besoin pour ne pas se tuer
dans sa translation nocturne à travers mille obstacles, ce qui est le fait des chauves-souris
et des oiseaux de
nuit.
On doit partir de
ce principe, qui rompt un peu avec les idées reçues, mais qui n’en est pas
moins vrai pour cela, c’est que ces nocturnes malgré leurs yeux extraordinaires
y voient souvent à peine pour se
conduire. Dans la nuit complète, au reste, ils ne volent pas, je m’en suis
assuré bien des fois en faisant l’obscurité absolue. Mes chouettes et même mes grands-ducs n’osaient plus s’envoler, et c’était naturel
car l’organe de la vision
ne crée pas la lumière ;
quand il n’y en a pas il ne peut pas la trouver. Un oiseau de nuit dans
l’obscurité précise, un chat, même une chauve-souris, être qui possède cette
faculté à un degré encore bien supérieur, dans le noir exact n’y voit pas plus
que nous.
Cependant j’ai
été longtemps à me persuader de ce fait, ma conviction était entravée par un
cas étrange qui s’était passé sous mes yeux et que je ne m’explique pas.
Dans ces
expériences sur l’action de l’obscurité complète sur les yeux des oiseaux, j’y
soumis des chauves-souris vulgaires. À mon grand
étonnement elles volaient
presque aussi facilement que dans la lumière de la nuit ordinaire. Je repris l’expérience avec plus de soin,
produisis le noir le plus exact et créai même une difficulté, c’était le
passage d’une chambre à une autre par un gros tuyau de cheminée en tôle de 0,40 centimètres de diamètre et long
de plusieurs mètres. Ce tuyau allait aboutir dans un réduit sans ouverture ;
l’obscurité y était donc absolue. Je remarquai aux battements des ailes que le
vol était fortement gêné, cependant il n’y avait jamais choc contre les murs.
Elles ne savaient presque plus s’accrocher au plafond, manquaient souvent leur
abordage, mais cependant, à ma grande surprise, elles passèrent toutes, en
quelques minutes de tâtonnements, dans le tuyau et de là dans le réduit, afin
de fuir la présence de l’homme dont leur organe olfactif leur indiquait la
présence dans la grande chambre. Dans cette même obscurité, hulotte, grand-duc,
chevêche, effraye …et scops étaient
immobilisés.
Je parlai de
cette expérience à mon maître feu Jourdan, le Geoffroy Saint-Hilaire de Lyon,
qui s’intéressait à mes études, et il vint s’assurer que l’expérience était bien
faite.
Voici l’explication qu’il en donna quelques jours après dans une leçon de Zoologie
«
Chez la chauve-souris, comme chez tout être, quand la lumière est absente, la
rétine, quelque acuité qu’elle possède, ne peut être impressionnée, il faut
donc mettre la possibilité du vol de
ce mammifère sur une autre fonction. » Il attribua au sens du toucher cette
possibilité de direction. Ces grandes membranes des ailes doivent posséder une
faculté de tact excessive. Le battement produit sur l’air qui avoisine un corps
dense, un mur par exemple, n’a plus
la même élasticité que celui qui est au large. Cette simple différence devait
suffire à la chauve-souris pour être avertie de l’approche d’un corps contre
lequel elle allait se heurter ; et comme, chez elle, la masse est minime, et
que, en plus, elle possède une faculté de présentation de plans divers que nul
petit oiseau n’atteint même de loin, ajoutez à ces qualités une force de
pectoraux incomparable, on arrive à comprendre comment elle parvenait à se
mouvoir dans le noir au moyen du tact, comme si la vue avait perfectionné.
La nature a
fourni aux volateurs nocturnes, mammifères ou oiseaux, des organes spéciaux qui
leur permettent d’éviter les chocs que produirait fatalement la faible
intensité de la lumière qui leur permet de se diriger. Ces organes sont, d’abord, une grande surface
par
rapport à la masse, fait qui prouve forcément le vol lent. Puis la faculté
qu’ils ont de changer le plan de leurs ailes d’une façon tellement brève et
active que l’oiseau de nuit volant dans un espace restreint est une révélation
pour l’observateur, qui n’a jamais rencontré dans les oiseaux diurnes des
facultés de direction qui leur ressemblent.
À l’article «
Grand-Duc » j’en ai dit quelques mots, mais je n’ai pas assez insisté sur ce
vol étrange par sa mobilité dans la direction et par son silence. Dans une
chambre d’environ 10 mètres de longueur sur 6 mètres de hauteur, je les ai vus
planer en descendant, décrire une
spirale ellipsoïdale, passer deux fois devant moi avant d’atteindre le sol, et
cela sans bruit. Les nocturnes sont les oiseaux qui volent dans l’espace le
plus restreint, et cela à cause des organes qu’ils possèdent pour produire le
vol lent.
Une des
dispositions de l’être qui permet ce retard est la grande surface plane qu’ils
présentent à l’avant. Les nocturnes ont tous un disque facial qui est un organe
d’arrêt actif. Ce grand plan qui est formé, non par l’ossature de la tête de
l’oiseau, mais par des plumes rigides actionnées par des muscles actifs, peut
disparaître à volonté de l’animal. Au repos, au vol contre le vent, l’accipitre nocturne qui voit clairement sa route n’a plus de disque : il
est complètement effacé : l’oiseau ne se ressemble plus. Un grand-duc qui,
lorsqu’on le regarde, a la face large de deux centimètres carrés, n’a plus, en
acte de vol de pénétration, que le quart de cette surface d’arrêt ; ses
aigrettes ont même disparu, elles sont aplaties sur la tête et ne sont plus
retenues.
Mais que sont ces
écrans à côté des oreilles mobiles des chauves-souris ? Regardez attentivement
l’oreillard (plecotus auritus) et
vous comprendrez de suite le véritable but que s’est proposé la Nature en
créant cet appareil auditif qui est de grandeur hors de toute proportion.
Cet angle moyen sous
lequel l’aéroplane prend le vent, afin d’être supporté, qu’à tort on s’ingénie
à chercher, nul ne peut le mesurer, parce qu’il est variable avec le vent qu’il
fait dans l’instant, avec l’orientation de la course de l’oiseau par rapport à
la direction du courant d’air, et enfin avec le but que le volateur se propose d’atteindre. On pourrait même encore adjoindre une foule d’autres considérations
qui finalement font comprendre que cette recherche devient tellement compliquée
qu’elle est absolument inextricable. C’est la vie, la locomotion intraduisible
en chiffres ou en angles, parce que le changement est de tous les instants,
c’est la gymnastique, en un mot, devant laquelle les données précises
s’inclinent, et sont remplacées par l’intelligence spéciale qui chez l’être
régit l’acte de mouvement de l’instant.
Cet angle est
sous la pondération des centres nerveux qui sont à l’arrière de la tête :
cervelet et moelle allongée, et non des masses cérébrales qui sont sur le
devant de l’encéphale.
Pour essayer de
faire comprendre la variété d’importance que peut avoir cet angle, je vais
tâcher de décrire quelques-uns de ces exercices que fait l’oiseau voilier, et
cela en termes les plus simples afin d’être compris de tous.
Le premier, celui
qui est classique, est le mouvement produit par la chute, qui donne à
l’aéroplane la vitesse suffisante pour être supporté, puis sa remontée pour
atteindre un autre perchoir moins
élevé ; le tout exécuté par le calme exact.
Cet exercice est produit par mes deux milans. Il y a vingt ans que j’assiste à
cette manœuvre, elle est donc bien étudiée. Ils partent du sommet d’un
observatoire et vont se poser à 75 mètres de là et ont fourni comme ensemble de
course un angle de 12 degrés. Ces
mesures, sans être exactes, sont très approchées. − La course produite a cette forme (fig. 12).−
Un seul battement
est généralement donné au départ, il a pour but d’aider l’effort de projection
en avant ; le reste de la course, abordage compris, est du glissement pur. Par
cette chute d’un angle de douze degrés, l’angle de prise de vent n’est pas
discernable, malgré les centaines d’évolutions étudiées avec la plus grand
attention à ce point de vue spécial.
Je revois dans
mes souvenirs une manœuvre à peu près pareille produite par la cigogne. Je l’ai
perdu de vue ce charmant oiseau, elle ne niche pas ici. En Algérie, j’en avais
un nid sur ma propriété. Il était placé au sommet de grands frênes, à la
hauteur de 22 mètres, mesurée au moyen de l’ombre qu’il
projetait. Souvent ces oiseaux se lançaient dans le vide de cette hauteur et se mettaient à
glisser sans battement jusqu’à excinction. Encore là l’angle est nul, au moins
dans la plus grande partie de la course. Dans la finale, la cigogne doit le
produire ; mais comment s’en assurer et surtout le mesurer ? L’étude simple de
l’espace parcouru par cet oiseau dans cette chute n’est même pas permise, parce
que les renseignements qu’elle fournit sont faux. Je m’offris cependant
quelques mesures ; la chose était
facile, je comptais combien il y avait de pas du pied de l’arbre au buisson ou
à la touffe d’herbe près de laquelle elle s’était posée, et chaque opération
variait de la précédente de quantités énormes ; jusqu’à ce qu’un jour j’y
renonçai, l’ayant vu produire une course indéfinie. Je la perdis de vue. Elle
avait dû rencontrer un courant aérien qu’elle utilisait et qui n’existait pas sur le point d’où je l’observais, car je choisissais naturellement un moment de calme pour étudier ce cas.
On arrive à
constater la presque impossibilité de l’analyse précise de l’évolution. Tout
manque pour le faire : les mesures,
l’absence de certitude
que l’oiseau a volé dans le calme
exact,
et,., et,. Quand on étudie le volateur dans un courant, on ne sait jamais
quelle est l’activité de ce mouvement ; toujours les données sérieuses
échappent et entravent tout calcul.
On ne tranchera
les premiers éléments de ces questions qu’au moyen d’expériences faites avec
des surfaces, des poids, des formes connues et expérimentées dans des endroits fermés.
Si nous passons à
l’étude du vol de parcours, je dois avoir avoué n’avoir discerné nettement
l’angle de présentation que chez un oiseau : le milan, et dans un seul cas :
c’est quand l’air du soir est absolument au repos. Dans cette circonstance,
l’angle est visible à l’œil nu ; il est quelquefois très accentué. L’oiseau se
traîne péniblement dans cet air lourd et embrumé qui ne semble pas porter comme
dans les autres heures du jour. Le dénivellement entre le bec et le bout de la
queue est souvent estimable à 15 degrés. C’est l’angle utile pour ce cas
particulier, pour cet air électrisé qui a des effets physiques et physiologiques
curieux absolument inconnus de l’Europe, entre autres, certaines fois, celui-ci : soutenir les poussières d’une
façon incroyable. J’ai vu un soir la trace du passage d’un homme marquée par un
petit nuage d’un mètre d’épaisseur, d’une dizaine de mètres de largeur, et qui
se soutenait indéfiniment à 50 centimètres du sol, sans s’élever ni retomber.
Ceux que la recherche
de l’angle de prise de l’air intéresse, trouveront ce renseignement au moyen
de la photographie instantanée ; l’appareil de M. Marey le leur fournira. L’allure de
l’aéroplane copié dans cet instant précisera cet angle d’une manière exacte
pour la vitesse de ce moment, et pour l’aéroplane qu’on aura photographié. Si
on opère sur un autre aéroplane, l’angle trouvé sera différent. Si, maintenant, on photographie un aéroplane
mal réglé, c’est-à-dire produisant une course qui a des ressauts, on obtient
autant d’angles différents qu’on obtient d’épreuves, et cela, parce que l’angle
d’attaque de l’air a varié progressivement avec la variation de la vitesse de
translation. Cet angle n’est précis que quand la course est précisément
régulière ; sitôt que l’aéroplane animé ou inanimé quitte cette translation
ponctuellement la même, sitôt l’angle est changé. Et il est bien entendu que
toutes ces expériences sont faites dans l’air tranquille ; s’il y a un
mouvement aérien, tout est encore à changer.
Ce qu’il y a de
singulier dans cette recherche, c’est que ce ne sont pas les aviateurs à la
voile qui s’en préoccupent le plus, mais au contraire, ceux qui cherchent à
produire l’aviation par une propulsion quelconque. Au point de vue où ils se
placent, l’aéroplane poussé par une force qui procure plus que la sustention,
ils devraient négliger cet angle qui devient absolument inutile, puisque
l’excès de vitesse, celle qu’il y a en plus de la sustentation, permet la
direction et même l’ascension de l’appareil.
Ceux, au contraire,
qui doivent s’en occuper sont les aviateurs voiliers, parce que, dans le vol à
la voile, la vitesse et la sustentation sont données assez souvent par cet
angle. Seulement il est à espérer que ces considérations feront comprendre
qu’il est souverainement variable ; il est dispensateur du mouvement, c’est
vrai, mais, comme le mouvement dans l’air est tout à fait irrégulier, il doit
l’être également.
Le cas où il
semblerait utile de le chercher par la théorie plutôt que par la pratique est
celui du parcours régulier de longueur : l’aéroplane partant du haut et
baissant jusqu’à arriver à toucher
la terre. Si nous consultons le gyps fulvus,
le grand maître
sur ce mode de translation,
l’oiseau qui semble ne pas ressentir l’action du traînement, nous voyons
quelquefois une course inclinée descendante de 5 degrés environ, absolument
régulière ; son aéroplane est pour ainsi dire immobilisé ; c’est donc bien le
cas d’étudier cet angle. La difficulté est d’abord de le faire. Il est
assurément inutile de songer à le photographier autrement que vu par dessous,
il faut donc renoncer à ce moyen ; un autre système de reproduction de son
allure est encore à trouver, il ne reste donc que la réflexion.
La réflexion
commence par faire cette remarque : qui doit servir de base à l’estimation de
cet angle ; est-ce la ligne d’horizon qui doit le mesurer ? Dans le cas
présent, la base ne serait pas bonne
puisqu’elle donnerait un angle négatif,
étant d’observation très exacte que, dans sa course descendante, le gyps
fulvus ne fait aucun angle visible sur la ligne qu’il poursuit. Force est donc
de prendre pour base cette ligne qu’il parcourt.
L’angle est donc,
dans ce cas, égal à 0 sur cette ligne. Maintenant comment esquive-t-il tous les
apports d’exhaussement qui lui sont fournis par l’onde aérienne et qui
devraient le déniveler. Comment les détruit-il, sans changer sa voilure, car
rien ne varie, dans la tournure de son aéroplane, observation précise. — Il faut
admettre, absolument, l’effet d’une inertie prépondérante fournie par la masse de 7500 grammes,
supportée par un mètre
carré qui permet et tolère cette continuité dans le mouvement.
Nous ne trouvons
donc pas d’angle dans ce parcours qui est cependant un exemple choisi, et nous
ne commençons à le soupçonner que quand cette course, au lieu d’être
descendante, est horizontale ou même légèrement ascensionnelle.
Cette digression
nous amène à envisager une autre manœuvre importante : l’ascension.
Que dire de sérieux
sur une évolution qu’on voit constamment d’en bas et toujours de très loin ? On
approche difficilement le vautour à cent mètres. Je l’ai vu de très près en
ascension, mais dans un cas particulier de courant ascendant ; on ne peut donc
que faire des estimations
instinctives.
La vue de cet
acte de vol fait remarquer que, dans l’orbe ascensionnel, cet angle existe dans
une partie de la courbe qui est le moment où l’exhaussement se produit et
l’instant où l’oiseau va contre le vent. Il s’éteint ensuite, et c’est logique,
dans la partie où, poussé par le vent, il fait provision de vitesse.
Mais toutes les
ascensions ne sont pas aussi simples que celle-là il en est d’autres qui
semblent inexplicables ; ainsi celle-ci la courbe entière est une montée
presque régulière, sans ressaut, et même presque concentrique, c’est-à-dire
dont toutes les parties de l’orbe sont presque semblables entre elles. C’est
une spirale inclinée qui n’est presque pas déformée. Le milan produit ce tour
de force quand il est en retard pour prendre le frais et que le vent est actif ; il se dépêche afin de se soustraire le plus vite possible à la chaleur.
Sa grande surface doit lui faciliter cette manœuvre extraordinaire ; il
doit assurément offrir à l’air un angle très fort ; le courant aérien doit le pousser énergiquement, et le résultat est
cette
ascension, difficile à admettre, mais dont je m’offre le spectacle presque tous
les jours, dans les mois d’été.
Je suis convaincu que cette manœuvre serait
plus facile à reproduire qu’à expliquer.
On peut dire avec
justesse que cet angle est très fort dans l’instant du départ de l’oiseau qui
s’élève du sol plat ; il est tout à fait visible dans ce cas. À chaque
battement des ailes correspond un battement de la queue
qui a pour effet de transformer l’exhaussement en une résultante
qui est l’avancement.
On voit cet effet d’une façon très claire
dans le départ des gros voiliers.
L’angle est, aux
deux ou trois premiers battements, de plus de 25 degrés ; il diminue ensuite
très rapidement ainsi que le battement de la queue, à mesure que l’oiseau
s’étale de plus en plus sur l’air. Une fois lancé, le mouvement de la queue
cesse, l’angle s’éteint progressivement ; et, dès que le volateur se met à
planer, il n’est plus discernable.
Il résulte donc
de toutes ces considérations que la grandeur de cet angle est en raison de la
réaction que le volateur veut produire sur l’air. Il l’exagère dans le cas du
départ, de l’ascension extra-rapide ou du poser, mais ne s’en sert pour ainsi
dire pas dans celui de simple parcours.
Il est un
chapitre dans l’Empire de l’Air qui
m’a valu bien des critiques : c’est le « Vol théorique ».
Sur cette question,
l’aviation, il faut, d’après les uns, se taire et agir. Ceci est parfait, mais
ce n’est pas instructif. — Il est facile
d’émettre un aphorisme bien redondant. — D’après les autres, il est bon,
quand on s’est trouvé de par le fait du hasard en bonne position pour voir beaucoup,
de raconter à ceux qui ont été moins bien partagés ce que l’on a vu. C’est, en somme, le livre,
l’instruction par le récit ; il n’y a donc pas à avoir de remords.
Cependant ce
chapitre a été trop loin pour beaucoup de gens. Oser dire que plus tard l’homme
volera mieux que l’oiseau semble dépasser l’hérésie. Et cependant, rien n’est plus vrai. L’homme volera. Il a déjà volé
! Quand il se remettra à cet exercice, quand, avec l’accoutumance, il reprendra
en action la plénitude de ses facultés, il aura ce que l’oiseau n’a pas, des
ailes comme lui, bien imparfaites c’est vrai, mais une tête qui, comme analyse
et combinaison, n’est pas à comparer avec celle du volatile.
Oui, sans aucune
outrecuidance, on peut dire que l’homme, quand il adaptera ses facultés à l’étude de ce problème, fera
des merveilles. Voyez-le dans tous les exercices auxquels il s’applique. Voyez
le patin, ce qu’il produit ! le vélocipède ! Regardez seulement en gymnastique
à quoi il est arrivé ! Quel est le gibbon agile capable de produire les tours de force que font
certains clowns ?
Par une espèce de
timidité outrée, je n’ai fait qu’effleurer ces problèmes ; celui qui n’est
certain que d’une chose, c’est que l’air porte parfaitement, n’avait pas
mission de parler ; et cependant les
échappées qu’on entrevoit sont vraies, voire même le vol en arrière qu’on m’a
fortement reproché.
Ce ne sont pas
des réflexions imaginatives qui ont amené ces considérations sur le vol de l’avenir, c’est simplement la vision du
phénomène et son analyse.
Le domaine de
l’observation et des démonstrations est tellement vaste au Caire qu’il n’est
besoin de rien rêver comme manœuvre, la vue seule suffit pour éclairer. Vous
voyez l’acte de vol se produire devant vos yeux quelque jour et par quelque
vent particulier, phénomène souvent très rare, mais qui ne vous permet pas
moins, et cela sans le moindre effort d’intelligence, de vous dire : Mais
pourquoi l’oiseau se sert-il si rarement de ce procédé ? C’est un acte à noter
et à utiliser plus tard.
Ce vol en arrière
qui a surpris nombre de penseurs, mais je le vois se reproduire chaque jour de
grand vent. Contre certains à-coups violents du courant aérien, les milans
n’osent pas se retourner : ils seraient emportés trop loin et ne veulent pas le
permettre. Comme le transport des pointes à l’arrière ne semble pas être
suffisant pour résister à cette rafale violente, ils reculent simplement.
Cette marche en
arrière est ordinairement peu importante : quelques mètres seulement, mais
cependant j’ai vu plusieurs fois les deux ou trois douzaines de ces oiseaux que
j’observais reculer d’au moins cent mètres en s’élevant.
Voilà ce qui m’a
fait dire que, dans le vol de parcours, l’ascension en reculant devant le vent
est possible. Comme on le voit, je n’ai rien inventé, j’ai seulement beaucoup
vu.
Je me rends bien
compte que la généralité des aviateurs doit être dans une grande perplexité,
lorsqu’elle songe à ces manœuvres de vol qu’elle ne connaît pas.
Il ne suffit pas
d’adorer l’aviation, de combiner des appareils, de les chiffrer même à grands
renforts de formules, pour se sentir en équilibre sur deux ailes. Non, cela est
insuffisant, et le penseur le comprend dès qu’il met la main à la pâte,
c’est-à-dire dès qu’il commence à construire.
Il se dit ceci :
que ferai-je de ce grand appareil ? Comment m’en servirai-je ? Quelles
manœuvres dois-je produire pour glisser avec succès sur l’air ? car songer à le
faire ramer est impossible. Là apparaît l’ignorance. L’aviateur ne sait non
seulement pas voler, mais même pas comment on vole. À ce moment, il se rend
compte que toutes les observations qu’il a faites sur les rameurs n’ont
absolument aucune utilité, que là n’est pas … le rythme que doit avoir
la grosse bête humaine, l’allure
que doit avoir
le gros oiseau
humain, que ce qu’il a vu n’est pas reproduisible,
puisque le battement brise les ailes. Les rares voiliers qu’il a entrevus dans
sa vie lui reviennent à la mémoire, et là, devant l’aéroplane, à pied- d’œuvre,
il est forcé de se dire : C’est là qu’est la voie ; c’est ce vol qu’il faut
apprendre et non celui du rameur.
Ce sont ces mille
évolutions qu’il faut posséder comme
on a su son catéchisme. Et on ne sait pas ! Oui, il faut absolument posséder
le vol à la voile. Chaque aviateur devrait faire comme moi, vivre parmi les
planeurs, c’est le seul moyen d’apprendre ; car c’est une science complexe qui
ne s’assimile pas du premier coup d’œil. Passer outre, se dire qu’on apprendra
en pratiquant n’est pas bien raisonner. Pour voler, il ne s’agit pas
d’apprendre, mais de savoir. Quand vous serez lancé avec la vitesse d’un train
ou enlevé par le coup de vent, il ne sera plus temps de réfléchir. Si
l’observation, si la manœuvre mille fois vue n’a pas fait entrer dans votre
instinct le sentiment du mouvement juste à produire, vous ne réussirez pas ; et
gare ! en aviation, quand on ne réussit pas, c’est au moins le bain.
J’aimerais
pouvoir enseigner ce que je sais, mais je reconnais que c’est absolument
impossible sans les exemples à pouvoir mettre à l’appui, puis c’est vouloir
dépeindre le mouvement. Cela ressemblerait à l’étude de la natation en calle
sèche ou à celle du billard faite dans les livres.
Il faut donc
absolument savoir son métier de volateur, puis le pratiquer beaucoup. Hors de
cela pas de salut. Donc, beaucoup voir et se fier à son brave instinct qui
sortira mieux d’embarras que toutes les réflexions possibles.
Je recommande donc
instamment au lecteur d’abandonner complètement l’impression prépondérante,
innée chez tout humain, du vol ramé. Cette impression est créée chez nous par
la vision perpétuelle du rameur. Depuis notre enfance, nous sommes habitués à
voir l’oiseau frapper l’air
et non glisser, et nous ne remarquons pas que nous ne voyons
que des petits oiseaux.
…Ce n’est pas le seul
vol ramé que nous étudions ici, c’est l’autre vol, celui qui est
malheureusement rare, qui est le glissement. Il est un autre mode de se transporter
dans le milieu aérien qui est employé par l’oiseau de forte masse, c’est le vol
plané, mode de translation qui est absolument l’antithèse de celui des petits oiseaux,
procédé duquel on
peut dire que, s’il n’est pas
exactement inimitable, il a cependant résisté jusqu’à ce jour à tous les
efforts intellectuels de l’humanité qui désirait le reproduire.
Le rameur est
pour nous un leurre, un phare trompeur qui nous dirige sur les écueils.
Voyez plutôt le
grand voilier, quand il est forcé de ramer. Regardez-le avec attention et vous
comprendrez de suite ses efforts et sa souffrance. Quand les grands vautours
partent du sol plat, ils font positivement de la peine à voir. Ces ailes trop
grandes plient à se rompre ; on ne craint pas pour la plume qui est élastique,
mais pour l’os qu’on a peur de voir se briser. Puis, ne croyez-pas qu’il essaye
de s’envoler franchement comme un pigeon qui part ; bien au contraire, il
s’élance à la course avant même de battre des ailes et, au moyen de sauts nombreux
et énergiques, il finit par atteindre la vitesse qui permet aux ailes
d’être utiles, de pouvoir le porter. Jamais un gros voilier n’a songé à ramer franchement ; il sait qu’il ne le peut
pas, il a conscience de l’impuissance de ses ailes et, aurait-il la force, il
n’ose les soumettre à cette épreuve.
Et dire que
l’aile du plus grand vautour et du plus grand albatros n’a que rarement un
mètre cinquante : 1,50+1,50+0,30 = 3,30 ; il y a peu d’oiseaux de cette
envergure. L’aile de nos appareils
doit avoir au moins quatre mètres : concluez vous-mêmes.
Il faut donc abandonner l’idée enracinée que, pour voler,
il faut absolument frapper l’air, faire
l’effort violent de renonciation à nos idées reçues et parfaitement établies,
on devrait dire fixées, vissées en nous depuis notre naissance… qui nous disent qu’on ne vole qu’en battant
des ailes. Il faut laisser nos rêveries irréalisables du vol gracieux : le
passereau, l’insecte doivent être oubliés comme évolution, et reporter nos pensées sur le glissement. Il faut donc le voir ce vol qui se fait sans effort, ou, si on
ne le peut, croire ceux qui l’ont vu.
Bien peu de
personnes aptes à analyser le vol plané se sont trouvées dans des conditions heureuses
pour observer les grands maîtres de ce genre souverainement étrange de
translation ; mais cependant beaucoup de gens, qui ont des yeux pour s’en
servir ; ont aperçu, non pas la démonstration catégorique du vol sans
battement, mais des essais, des ébauches de cette manœuvre. Ainsi, tout
habitant du bord de la mer a perpétuellement en vue le goëland, oiseau qui
plane à peu près, mais bien rarement ; celui qui réside à la campagne aperçoit
de loin en loin la buse, le Jean-le-Blanc, quelquefois le milan, tous oiseaux
qui sont très intéressants par moments, mais qui malheureusement ne sont
visibles qu’à des intervalles si éloignés les uns des autres que ces
observations ne se lient plus.
Il faut donc,
maintenant que le vol à la voile est dénoncé à l’étude, observer sans cesse et ne pas se décourager… On passera
peut-être un temps-très long sans voir aucun acte de vol digne d’intérêt, mais
il ne faut pas abandonner l’étude ; une fois ou l’autre on sera récompensé par
la vue d’une évolution qui restera gravée d’une manière indélébile dans
l’entendement et qui persuadera que tel acte peut se faire sans ramer.
Toutes ces observations rares
et espacées, cousues
bout à bout, réunies dans la mémoire, feront comprendre qu’il est un
autre point par où la question de l’aviation peut êtrre attaquée avec bon sens
et chance de succès. Cette démonstration fractionnée n’aura jamais sur
l’entendement cet effet de flamme de Bengale, aveuglante tant elle est
lumineuse, d’un grand vautour entrevu
seulement cinq minutes,
mais avec de l’ordre, un esprit d’analyse
bien entendu, on tirera cependant
un parti très avantageux de toutes ces bribes éparses d’évolution.
Il m’a été
souvent demandé comment je pensais disposer l’aviateur pour lui permette de
stationner longtemps dans les airs, pour permettre, en un mot, le vol plané
dans lequel, une fois parti, le temps ne se mesure plus et peut durer tant que
souffle le vent.
La position
verticale de l’aviateur indiquée dans
les aéroplanes de l’Empire de l’air et de la présente étude n’est assurément pas
pénible mais ne peut cependant pas durer plusieurs heures sans fatiguer
énormément. Il faut pouvoir changer de position et se mettre à son aise.
Dans le départ et
l’atterrissage, cette position debout est excellente, elle permet la course, le lancé et l’abordage. En marche,
elle produit un retard qui, pour les premiers essais, sera plutôt un avantage qu’un
défaut ; c’est le ralentissement, la course lente, qui sont procurés par cet
écran opposé à la marche qu’est la surface du corps de l’homme présentée à
l’action du vent.
Une fois lancé, bien
en route, ayant atteint le vent actif des hauteurs, il faut pouvoir changer de
position afin de se délasser d’abord, puis surtout de mieux couler dans l’air
en lui offrant moins de prise. On arrive bien facilement à ce résultat au moyen
d’une série de courroies qui permettront de s’asseoir à son aise, d’étendre
horizontalement les jambes, de se coucher pour ainsi dire sur le dos, sur un
côté ou sur l’autre. On ne sera pas exactement comme sur un lit ; mais,
cependant, les positions variées et tout à fait de repos qu’on pourra prendre permettront, au point de
vue de la fatigue, la station indéfinie.
Il sera même facile,
au moyen de couvertures imperméables, développées au moment où
le vol n’est plus qu’une question d’attention et de temps, de s’isoler complètement
du courant aérien qui doit être singulièrement âpre en hiver, surtout quand on
va contre lui. Il faut bien admettre qu’une fois bien lancé, quand on a atteint
une hauteur de deux ou trois cents mètres, que le vent porte franchement,
l’acte d’aviation se borne à une simple direction fournie par une faible
pression de mains. L’angle des ailes a été étudié, il est fixé par un moyen
quelconque, on n’a donc plus à s’inquiéter que de la direction horizontale qui se produit au moyen d’une faible
traction sur la corde qui fait présenter un plan de retard à l’un ou à l’autre
annulaire. Cette direction
fournie par ces plans est, d’après les
expériences
faites sur des aéroplanes de petite, de moyenne et de grande taille, d’une
sensibilité extrême ; une traction égalé à un kilogramme, doit certainement
décider bien franchement d’un sens de mouvement : c’est donc une manœuvre très
douce.
Il ne faut point
croire que, dans le vol de parcours
à la voile, l’attention et l’activité aient besoin d’être constamment dans un
état de surexcitation fébrile. Certainement que, dans les premiers exercices, il n’en sera pas autrement : la peur,
l’inconnu de cette situation nouvelle, l’étrange mouvement auquel on livre son
individu ne sont pas sans donner des frissons épouvantables. Cela ne pourrait
même pas durer longtemps ; mais, on s’habitue à tout, et on s’habituera à cet exercice
comme on s’est
fait peu a peu à tous les actes insolites de la gymnastique. La quiétude
reviendra et on finira, par l’habitude, à regarder de haut tout aussi
tranquillement qu’on regarde les passants dans la rue d’une fenêtre élevée.
C’est tout simplement le fait de huit jours d’exercice.
Le ballon nous renseigne
sur l’effet que produit la vue de haut. Tous ceux qui s’occupent
d’aviation se sont probablement offert ce spectacle. Nous avons donc tous
remarqué que le seul moment pénible, celui dans lequel le sentiment de la
conservation est ému, est la hauteur du sommet maisons, et cela à la première
ascension, quand ce spectacle est absolument nouveau. Plus haut, à cent mètres,
cette impression désagréable s’éteint peu à peu ; à cinq cents elle n’existe
plus chez la plupart des personnes. J’ai remarqué que des dames qui s’élevaient
pour la première fois dans le ballon captif de Giffard[37] avaient repris à cette hauteur tout leur calme ;
elles causaient comme à terre, s’inquiétaient des monuments, du spectacle, mais
nullement de leur sécurité.
Le vertige n’est
sensible, pour la plupart des gens, que jusqu’à 50 mètres, plus haut il
s’éteint. Il en sera très probablement de même pour l’aéroplane ; je ne puis
cependant l’affirmer, n’ayant pas dépassé dans ma fameuse course la hauteur
d’un mètre, mais je le crois fermement et c’est à se le figurer, étant donné
surtout que les petites nacelles deviennent tout aussi bien en hauteur votre «
chez vous » que la grande plate-forme circulaire du ballon de 1878.
Quant à l’effet
produit par la rapidité de la translation, tout le monde le connaît et a
remarqué que l’impression ne croît pas avec la vitesse. On regarde passer tout
aussi tranquillement le paysage, du rapide que du train omnibus. On sera donc
chez soi au bout de quelques jours ; le tout est de s’habituer à l’effet
ennuyeux du départ. Au-delà on sait que le danger s’éloigne, qu’il est là-bas,
bien loin à la terre, et que pour l’atteindre il faut beaucoup de temps.
L’oiseau nous
renseigne sur ces points ; lui-même, l’être qui est né pour voler, est en plein
éveil quand il part ou quand il aborde ; il n’a assurément pas peur, mais
cependant toutes ses facultés sont en activité. Arrivé à cent mètres, il est
visible que son attention diminue.
Beaucoup de
voiliers, surtout dans les pays chauds, volent souvent de longues heures, la
demi-journée entière, dans le seul but de se soustraire à la chaleur. Le milan
est dans ce cas. En été, dans les
jours où le thermomètre est à 40°, de dix heures à trois heures de
l’après-midi, tout milan qui n’est pas occupé par les soins de son nid disparaît dans les airs. Il
stationne à mille
mètres environ d’altitude. On les aperçoit
par groupes de quinze ou
vingt
individus paraissant gros comme des hirondelles, volant contre le vent ou le
hasard les pousse, puis quand ils sont allés assez loin, revenant au-dessus du
point de départ, regagnant par quelques orbes bien sentis la hauteur qu’ils ont
perdue et recommençant ce manège pendant de longues heures. C’est dans ce vol
inconscient, fait à cette hauteur, qu’on doit supposer le repos de l’oiseau.
Les corbeaux du
Caire (corvus cornix) qui sont des
rameurs, et qui par conséquent ne peuvent s’offrir cette station dans les
hautes régions, cherchent l’ombre pour éviter ce long coup de soleil qui
dessèche et brûle tout. On les voit s’ingéniant à trouver un petit coin au Nord
où l’infernal soleil d’Egypte ne frappe pas. Ils sont là le bec grand ouvert,
jalousant leurs voisins qui vont se rafraîchir là-haut à peu-de frais.
Le corbeau du désert
produit l’ascension en planant, mais la corneille mantelée n’a jamais pu
réussir cet exercice. Il faut qu’elle frappe l’air quand même. On comprend qu’à
sa place on ferait bien mieux qu’elle et qu’il serait facile, ayant sa grande
surface et sa masse, d’éviter les neuf dixièmes des efforts auxquels elle se
livre intempestivement. Mais revenons aux voiliers.
J’ai vu de
nombreuses fautes de vol commises dans cette circonstance particulière,
produites par cet oiseau impeccable : le milan. Il n’est possible de se les
expliquer qu’en admettant que cet oiseau dormait. Ma conviction est qu’il a là
haut des moments de somnolence très accusés ; on perçoit le réveil de la bande
entière qui reprend ses sens quand elle a trop baissé ou trop avancé. Je
n’oserais en dire autant des vautours, car je n’ai pas pu les étudier à la
hauteur où ils se tiennent ordinairement : la lunette n’y porte pas, et, comme
je ne parle que de ce que j’ai bien vu, je ne puis affirmer ; mais cependant
certains indices l’indiqueraient. Il
aurait comme le milan, des moments d’absence, surtout sur le coup de trois
heures.
Le sommeil au vol
chez l’oiseau étonne à première pensée ; mais, si on y réfléchit, on arrive à comprendre qu’il
n’offre aucun danger.
Effectivement que peut-il
arriver ? Rien de
bien désastreux. Si l’évanouissement. de la volonté est complet, comme dans le
sommeil profond, les ailes peuvent fléchir, comme
j’ai vu le fait se produire chez le grand vautour, ce qui n’est cependant
pas certain, mais cette absence ne peut pas être de longue durée ; l’oiseau
est, de suite, réveillé par ce déséquilibrement insolite, et se remet de suite
en position de vol ; ce n’est donc pas bien dangereux, surtout quand on a un
kilomètre au- dessous de soi pour se rattraper.
Il pourrait
survenir la rencontre de deux oiseaux. J’ai vu ce fait plusieurs fois chez les
milans et une fois entre autres, d’assez près. Ils n’étaient pas à plus de deux
cents mètres de hauteur, au beau
soleil de midi, par 45 à mon thermomètre, avec, enfin, tout ce qu’il faut pour bien dormir.
Deux oiseaux
d’une bande de flaneurs qui prenaient le frais s’approchèrent lentement l’un de
l’autre ; la route qu’ils suivaient était presque parallèle mais devait
cependant se réunir au sommet
de l’angle. Ordinairement, les milans ne s’approchent pas autant que cela
sans donner des signes, certains et parfaitement discernables, soit d’amour
soit de colère. Là rien ; l’angle diminuait
peu à peu et le contact eut lieu. Le réveil fut parfaitement
visible.
À l’étonnement succéda la colère, et la lutte commença, dès qu’ils se furent
remis d’aplomb sur leurs ailes.
Quand l’aviation
sera chose faite, on remarquera que le repos de quelques instants, une légère
sieste d’une demie-heure, est possible sans s’exposer au moindre danger. — Si
d’une hauteur de 3.000 mètres, on laisse l’appareil descendre à son gré, si on
abandonne la direction après l’avoir parfaitement fixée comme équilibre
vertical, c’est-à-dire si l’angle qui produit la course est immuable, que le
vent soit moyen et régulier, comme cela se rencontre très souvent à cette
hauteur, en combien de temps l’aéroplane arrivera-t-il à la surface ?
Sa course sera la
production de cercles d’autant plus grands que les ailes seront plus
semblables. Le parcours rectiligne n’est possible, même pour les oiseaux, qu’au
moyen de corrections permanentes fournies par la volonté ; la course en ligne
droite doit donc être écartée, car elle est impossible dans ce cas-là.
Admettons l’orbe probable d’un aéroplane de
cette taille, et donnons-lui 600 mètres de longueur par tour ; enfin supposons
le calme dans la descente, afin de pouvoir tabler sur autre chose que sur une
foule d’inconnus. Cet aéroplane, vu sa grande taille,
sa forte charge,
est, par le fait de son importance, pourvu des qualités que donne la masse et que jamais
les aéroplanes minimes
ne peuvent atteindre. Cet angle de chute que j’ai à tort fixé à 10°, d’après des
expériences sans nombre faites avec des aéroplanes en papier, doit être bien
moins fort. Faute d’avoir pu étudier ce cas en
grand, nous sommes
obligés de voir ce que produit l’aéroplane animé de 2.500
grammes et de 7.500 grammes,
qui sont pour nous parfaitement connus : le milan et le grand vautour. Ici
encore les chiffres précis sont impossibles à fournir, mais l’estimation, le
bon juger, porte à dire qu’on peut, sans aucune exagération, le diminuer de la
grosse moitié, surtout pour ce cas, et admettre qu’il est en gros de 5 degrés.
Cinq degrés font
à peu près 11 m. 70 de parcours pour
1 mètre de chute ; mettons 12 mètres. 3.000 fois cette quantité 12 mètres,
puisque nous partons de 3.000 mètres de hauteur, font 36.000 mètres à
parcourir. Admettons une translation de 10 mètres à la seconde, ce qui est
exagéré, nous trouvons 3.600 secondes qui font juste une heure, temps que
durera cette descente. L’aviation aura donc ses instants de repos.
À propos de cette supputation de temps, le lecteur doit
remarquer combien sont timides et incertaines toutes les données qui servent de
base à ce simple calcul. Les coefficients varient du simple au double ; rien
n’est fixe, rien n’est précis ; ce sont, sans jeu de mots, des comptes en
l’air. À ceci je répondrai simplement que celui qui a fait l’Empire de l’air et le Vol sans Battement
n’en sait pas davantage et qu’il a la loyauté de l’avouer. Ce dont il est certain cependant, c’est que
l’angle sous lequel l’air est attaqué pour produire la sustentation est
variable avec le but que se propose l’oiseau. Ainsi l’angle employé par le
grand vautour pour planer rapidement n’est pas le même que celui qu’il utilise
pour figurer l’ascension en attendant la brise, et, pour atteindre du coup
l’excessif comme manœuvre, n’est pas celui qu’il
emploie dans la tombée verticale, allure dans laquelle
tout mouvement de translation est exactement éteint.
Cet angle
qu’on a tant cherché n’existe donc pas. Ce n’est pas une donnée fixe, puisqu’il varie avec le vent qu’il fait et
ce que l’oiseau veut faire.
Quant à la tournure
qu’aura l’aéroplane humain, on en a pu juger par ceux qui ont été construits,
malgré qu’on ait à peine osé les essayer. Ce sont et ce seront assurément
d’énormes chauves-souris, généralement grises, nullement gracieuses, glissant
très lentement dans les airs, ayant toujours peur d’approcher du sol ; d’une
lourdeur surprenante, mais possédant cependant une majesté d’allure singulière.
Quand on regarde fonctionner un grand aéroplane de 5 mètres
d’envergure, comme celui que j’ai fait évoluer il y a quelque
vingt ans, quand, lancé du haut d’une carrière de 75 mètres de hauteur, il se
retourne lentement, et se met à courir gravement sur l’air, on se trouve en
face d’une allure qu’on n’a jamais vue. Ce mouvement inconnu vous poursuit et
devient inoubliable.
J’espère pouvoir
m’offrir bientôt ce spectacle en plus grand. Le sommet de cette carrière
va devenir, dit-on, un sanatorium auquel on parviendra au moyen d’un chemin de
fer. Je pourrai donc m’offrir cette petite course, et je ferai précipiter un
aéroplane de neuf mètres d’envergure et de quinze mètres de surface, chargé de
poids progressifs. C’est l’appareil dessiné page 251 de l’Empire de l’air. Il est fini depuis dix ans et n’a jamais
été essayé ; ce
sera un moyen de le faire servir à quelque chose. Il nous fera voir la tournure
qu’aura en marche l’aéroplane capable de porter un homme.
On a beaucoup
parlé de l’indispensabilité de la plume pour la reproduction du vol ; et, pour
beaucoup de personnes, elle est une condition de la station dans l’air. Malgré
que je me sois incliné bien bas devant cette merveille, je suis persuadé
qu’elle n’est pas indispensable. La membrane a fait mieux et plus grand dans le
vol, que la rémige ; les grandes surfaces des ptérodactyles du Jurassique n’ont
pas encore été atteintes par la plume
et, comme perfection d’effets produits, nul être emplumé ne peut lutter, comme
difficultés fournies et exécutées, avec les chauves-souris de petite taille.
Oh pourrait
mettre en parallèle les soui-mauga et les colibris, mais on aurait tort ; ces
deux oiseaux reproduisent le vol de l’abeille, l’immobilité par le battement.
Les chauves- souris, même de forte taille,
font souvent cet exercice. Toutes
les fois que les roussettes ont à choisir des fruits, elles
font leur choix
de cette manière.
Mais qu’est cette
manœuvre, que le premier tiercelet venu fait vingt fois par jour, à côté des mille crochets
de la pipistrelle ?
—
Le plus terrible ennemi de l’insecte, celui auquel il ne peut absolument pas
échapper, est la chauve-souris.
Le vol peut donc se passer de la plume. Nous nous servirons
forcément de la membrane ; nos appareils seront disgracieux,
mais ils voleront.
Beaucoup de personnes ne peuvent admettre
que l’appareil qui véhiculera l’homme
dans les airs soit aussi lourd que cela. Pour elles, leur rêve est
autre. Elles comprennent le vol. dans le genre de celui du rameur,
pas même du gros rameur
qui est lourd,
qui se pose
pesamment,
mais quelque chose comme la manière de se mouvoir des petits passereaux qui se transportent où ils veulent et tourbillonnent
au gré de leurs désirs.
Des dames m’ont
avoué avoir pensé aux ailes des anges ; certaines d’entre elles, des jeunes
filles, désiraient se mouvoir comme ces phalènes qui pompent le suc des fleurs
sans se poser sur elles.
C’est trop
demander à une lourde machine qui sera toujours lourdement chargée. Il faut en
rabattre et énormément. Regardez la Nature, voyez si elle est toujours
élégante. Voyez la grâce du départ
d’un argala, d’un vautour où d’un pélican. Il y a de la trivialité dans ces
efforts faits pour enlever leur pesante masse.
Hélas !
mesdemoiselles, quand l’homme aura à enlever son énorme individu, soyez sûres qu’il n’aura rien de l’ange, à moins
cependant que vous ne vous mettiez de la partie…
Je désirerais
élucider un point dans lequel on m’a convaincu que j’ai été tout-à-fait
insuffisant. Dans cette étude et dans la précédente, je laisse flotter un
brouillard sur un point sérieux du vol à la voile : c’est cette partie de
l’orbe dans lequel l’oiseau va avec le vent.
La frayeur que
semble m’inspirer ce pas difficile à expliquer est simplement un acte
d’imitation, de soumission à l’effroi des autres. Il semble d’après
mes réflexions sur ce cas, que, dans l’instant de ce parcours,
l’aéroplane n’étant soutenu par rien, doit choir perpendiculairement comme un
corps qui tombe.
J’ai eu tort de
sacrifier au dire général, de ne pas avoir complètement abandonné le vieil
homme et ses frayeurs aussi fausses qu’exagérées.
Ce cas bien
analysé peut s’expliquer ainsi :
L’aéroplane, dans
cette partie du cercle où il va avec le vent, a pour le soutenir, d’abord un
excès d’élancé dont j’ai parlé, et surtout, ce à quoi on ne réfléchit pas, la
faculté excessive de glissement que possède l’aéroplane bien construit qui ne
choit, par le calme absolu, que d’une quantité de 5 degrés et souvent
infiniment moins.
Qu’est cette
chute minime dans cette fraction minime de parcours, en comparaison des efforts de soutènement et même d’enlèvement que produit l’activité
du courant, quand on
lui présente un
angle parfaitement pondéré et précis ?
Oui, dans l’orbe,
il y a un hiatus d’un instant ; l’aéroplane tombe, c’est vrai, mais c’est d’une
quantité si faible qu’elle est négligeable.
On s’est affolé
de ce manque de support, on a exagéré son importance, cependant le raisonnement
qui s’égarait aurait pu être ramené dans la bonne voie par la démonstration du
planeur qui, lui, vous dit : je néglige l’hiatus.
DE L’EXPÉRIMENTATION
Après avoir
beaucoup vu, ce qu’il faut faire pour s’instruire, c’est expérimenter beaucoup.
Quand on a vu une manœuvre et qu’on s’en est donné une explication, il est sage de voir si cette explication est
juste. Pour cela faire, rien n’est meilleur que de la faire passer au creuset
de la pratique. Quand une théorie résiste à cette expérience, on peut être
certain qu’elle est vraie.
Ainsi, exemple,
vérifions cette affirmation que la direction horizontale se produit activement
au moyen d’une relevée de l’annulaire.
Pour cela faire, prenons
un aéroplane en papier de 0,75 à 1 mètre
d’envergure. Collons à chaque
extrémité des ailes, à la place des plumes annulaires, un morceau de papier nerveux de 0,06 sur 0,03. Nous mettons de
la colle sur 0,01 de largeur du côté long et nous les plaçons, la longueur dans
le sens de l’envergure. Il y a donc un centimètre qui est collé et deux
centimètres qui sont restés libres. Quand ils sont secs, faites voler
l’aéroplane, sa marche ne sera pas troublée
; s’il est bien construit pour filer droit,
s’il allait d’une
manière rectiligne avant cette opération, il ira de même après, les deux
surfaces du papier étant en contact, il n’y aura aucun effet de traînement
produit : rien n’est changé.
Si, maintenant,
nous voulons le faire tourner d’un côté, mais là rapidement, énergiquement,
nous n’avons qu’à relever ces deux centimètres de papier de ce côté, nous
présenterons maintenant à l’action de l’air une surface perpendiculaire à la
marche de l’aéroplane, surface qui aura 2x6, soit 12 centimètres carrés, qui
produiront un arrêt forcé de marche de ce côté et feront pivoter l’appareil
presque sur ce point.
Pour démontrer la
direction verticale avec ces petits appareils, l’expérience est un peu
délicate. Pour se persuader absolument de la justesse et de l’efficacité de
cette manœuvre, opérez de là manière suivante. C’est ce que j’ai trouvé de plus
simple.
Construisez un
aéroplane en papier et en carton Bristol en trois morceaux : le premier fait le
corps et les deux bras, le second et le troisième font-chacun une extrémité
d’aile : une main. Faites les charnières ainsi : prenez deux œillets de
cordonnier. Enlevez à l’emporte-pièce les deux trous dans lesquels vous les
écraserez ensuite, tout comme on pose un œillet à un soulier pour y passer un
cordon. Les deux pointes des ailes seront donc fixées aux deux bras d’une manière
assez énergique pour ne pas varier pendant
le vol, mais cependant elles pourront, sous une pression des doigts,
varier de position.
Nous plaçons
ensuite les deux ailes dans la position dans laquelle vous avez vu qu’elles
sont chez les planeurs en acte de vol, et nous obtenons le vol rectiligne après
quelques tâtonnements. Si, alors, nous avançons les ailes de manière à ce
qu’elles soient sensiblement en avant, l’appareil ne vole plus de la même
manière, sa marche est changée. Abandonné de quelques mètres de hauteur, il se
relève plusieurs fois avant d’avoir atteint le
sol. Cet avancement des pointes étant augmenté fait faire à l’aéroplane le tour
sur lui- même.
Si, maintenant,
nous produisons la manœuvre contraire, c’est-à-dire si nous portons les pointes
à l’arrière, nous voyons que le relèvement de l’aéroplane pour atteindre la
course horizontale ne se fait plus comme dans le premier cas ; la courbe de
redressement devient de plus en plus allongée à mesure que les pointes sont
plus portées à l’arrière, et cela jusqu’à arriver à la chute perpendiculaire.
Nous reproduisons
donc à la main les deux directions qui sont nécessaires pour voler,
pourrons-nous douter maintenant de leur justesse ?
(De l’étude de l’oiseau, 18 juin 1891…
lettre de Drzewiecki…)
Pour la centième
fois, je me répète sans honte et je dis qu’il faut étudier l’oiseau. C’est
cette étude qui a toujours fait défaut chez les aviateurs.
Il est
généralement très difficile d’étudier l’être ailé. Les gens qui habitent les
grandes villes sont, sous ce rapport, tout à fait des déshérités ; cependant il
y a remède. Le mal vient de ce que
l’on dispose mal l’oiseau qu’on possède ; on rend l’observation du vol
impossible et c’est ce qui entrave l’essor de l’aviation.
Que fait-on dans
les grands centres ? Les grands oiseaux voiliers sans y être nombreux, n’y sont
pas absolument inconnus ; les jardins zoologiques possèdent souvent des raretés
qu’il est impossible de rencontrer à moins de faire des milliers de lieues, mais on les
montre
dans les conditions suivantes : ou tout-à-fait au complet, mais en cage ; ou en
liberté, mais les ailes coupées. Voyez-vous un oiseau sans ailes !
Il ne serait pas
au-dessus des moyens de ces établissements de faire d’immenses cages formées par de simples
mâts sur lesquels
on fixerait des filets métalliques à mailles de cinq
centimètres de côté. Sur ce vaste espace, le plus grand possible, dans lequel le
courant aérien circulerait librement, s’ouvriraient toutes les cages des
volateurs qu’on voudrait étudier. Ils passeraient donc, à tour de rôle, ou
plusieurs ensemble suivant leur sociabilité, de la captivité absolue à la
liberté complète.
La rentrée en
cage de l’oiseau, qui semble au premier abord le point délicat de cette
question, se fait presque automatiquement : la nourriture déposée dans la
petite cage décide la rentrée.
L’oiseau n’a pas de défense contre ce cas, il ne comprend pas qu’il va être renfermé
; les corbeaux eux-mêmes, qui sont si fins, s’y laissent toujours prendre. Les
convoitises de l’estomac priment chez eux toute autre pensée.
Cette grande
cage, qui, pour bien faire, devrait avoir des centaines de mètres de côté et au
moins vingt mètres de hauteur, et dont la construction se bornerait à des
poteaux et à quelques centaines de kilogrammes de fil de fer, offrirait de bien
intéressants spectacles. On pourrait y voir tous les grands rapaces qui, hélas
! ne produiraient pas le vol plané, mais
l’ébaucheraient souvent. Les petits aigles seront déjà intéressants à la voile,
et les oiseaux de la taille de la buse produiront l’illusion du vol, qui, pour être entrevu un instant,
demande des voyages longs et coûteux.
On ne verra pas
l’orbe ascensionnel, mais cependant on aura une idée de l’oiseau en plein
mouvement ; ce ne sera pas la liberté, mais ce sera son ombre.
Au fond, et
malgré tout, ce sera toujours l’oiseau captif. Dépassons !
Pourquoi ne se
décide-t-on pas à mettre certains oiseaux en liberté ? Pourquoi n’obtenez-vous pas d’avoir des cygnes
libres, comme la ville de Genève qui en possède au moins un cent ? Ils ne se
sauvent pas. Quelle difficulté y a-t-il d’avoir des pélicans au complet ? Ils
iront se promener très loin mais ils reviendront, si on sait les rendre
heureux. Si, par hasard, on se décidait à oser ces acclimatations de volateurs
et qu’on s’offre quelques pélicans, je ne réponds plus de l’ordre. Le pélican !
mais c’est l’anarchie pure ! Il se moquera parfaitement des règlements et des
coutumes sociales. S’il a envie de coucher son gros bêta d’individu là plutôt
qu’ailleurs, vous ne le déciderez pas facilement à rentrer dans les rangs. On
verrait assurément plus d’une fois au Bois de Boulogne le spectacle suivant ;
deux ou trois de ces gros palmipèdes barrer une route et ne pas vouloir céder
la place même aux grands chevaux et aux bonnets à poils de la Garde
Républicaine ; il ne faudrait rien moins que les balais des cantonniers pour
débarrasser le chemin. Ils s’en iraient alors l’air furieux, dandinant
lentement leur gros train de derrière, et, au fond, enchantés de la farce
qu’ils viendraient de faire. J’ai raconté quelques-unes de leurs polissonneries
inoffensives, mais vous trouveriez encore à en glaner une belle collection.
Donnez à ces oiseaux
de petites îles pour y habiter comme on l’a fait au parc de Lyon, et vous y verrez nicher canards, mouettes,
sternes, et tout ce que vous voudrez. Il est défendu aux barques d’y aborder
; ces défenses sont écrites
sur des poteaux bien en vue, et le
règlement
est observé, parce qu’on a eu le bon esprit de les mettre sous la protection de
tous. Celui qui, à Genève
ou à Lyon, ferait du mal aux oiseaux se mettrait dans un mauvais cas.
Vous auriez alors
une récréation amusante bien autrement instructive que celle qu’offrent les
cygnes estropiés des bassins, les ramiers des squares, et l’éternel moineau qui n’a rien d’intéressant.
On objectera qu’à
l’époque des émigrations tous les oiseaux partiront et seront perdus. Erreur !
à Lyon, les canards sauvages émigrent régulièrement, mais ils se dépêchent au
printemps de venir reprendre possession de leur joli petit îlot de verdure où
ils sont si tranquilles.
Il est probable
que beaucoup d’oiseaux sauvages ne demandent pas mieux que d’habiter parmi
nous, à la simple condition de les laisser vivre. Ainsi, la cigogne ; y a-t-il
à douter ses intentions ? Elle niche
chez nos voisins les Suisses, les Allemands, les Hollandais : pourquoi ne construirait-elle pas également son nid chez nous ? L’y décider
est bien facile :
lui donner un nid, laisser croître ses ailes, et surtout-ne pas la tuer comme
on le fait en France.
La grue, ce
splendide échassier qui vole presque comme un vautour, ne ferait probablement
pas beaucoup plus de difficulté que la cigogne ; et il en serait de même d’une foule d’autres insoumis.
On pourrait faire
encore bien plus beau et bien plus intéressant.
J’ai bien souvent
pensé et envié voir réaliser un autre procédé que j’ai baptisé en moi du nom d’Ornithorium. Voici en quoi il consiste :
Si on disposait dans des rochers factices, quelque chose, mais en plus grand, comme le
parc des Buttes-Chaumont, soit sur les bords de la mer soit sur les rives
des lacs d’eau douce, comme celui de Genève ou ceux de l’Amérique du Nord, des
nids bien placés pour y nicher, il est probable que les oiseaux marins
pourraient y vivre heureux et s’y reproduire
; seulement, il faut qu’ils s’y sentent tout aussi en sécurité qu’ils le sont
sur les falaises où ils sont nés. − Sur
les bords de l’Océan, je suis persuadé qu’on acclimaterait : stercoraires,
fous, cormorans, et même l’albatros. La nourriture de toute cette gent ailée
coûterait bien peu : la mer serait là pour le principal repas. Lorsque ces
oiseaux auraient compris que sur ce point on ne les fusille pas, la confiance
naîtrait chez eux et leur permettrait de se reproduire.
Croyez-vous que
l’oiseau de mer adore tant que cela les tempêtes de l’eau salée ? Il les subit,
mais s’en passe facilement ; témoin leur longue station d’hiver sur l’eau
douce. Ils y nichent même ! Il y a des nids sans nombre dans les rochers qui
bordent le Nil à la hauteur de Manfalout et de Djebel-Silsileh. Ils sont
tranquilles, et c’est tout ce qu’ils demandent. Que l’eau soit douce ou salée,
peu importe aux mouettes, aux goélands, aux canards de toute espèce et même aux
plongeurs et aux cormorans.
Il y a de bien
belles récréations à créer aux aviateurs, aux ornithologues, à tout individu
qui aime étudier la nature. On y verra de tout, du grandiose, de l’étrange, du
gracieux. Combien doit être intéressante la construction du nid rustique,
la ponte, l’éducation de ces
grosses
boules de duvet qui ont toujours si bon appétit, puis la croissance et enfin
les premiers vols. Et cette étude
faite sur des êtres dont on ignore
tout, même jusqu’au
nombre d’œufs dont se compose la ponte ? Il est probable que la première
couvée d’albatros fera époque dans les fastes de l’ornithologie.
L’oiseau libre,
mais c’est la plus splendide récréation qu’on puisse désirer, et qui n’a aucun
rapport avec celle qu’offre le même être quand il est captif.
Qui a vu de près
une simple petite sterne privée sans être charmé de sa grâce tout autant au
repos qu’au vol ? Quelle aisance élégante elle déploie dans ces battements
lents et cadencés ! C’est tout-à-fait l’oiseau des dames, le bijou marin
gracieux et sauvage. On ne peut rien voir de plus coquet que cet oiseau
rustique ; cette perle de mer se balance sans efforts, avec une aisance
indescriptible, sur ses longues baguettes grises, secouant même les plumes de son corps en plein vol, tout
comme si elle était posée sur ses pieds, poussant de loin en loin son petit cri
étrange et volant à travers les promeneurs.
Ce n’est pas gros
une sterne ; cependant j’en ai vu une privée et libre à Nice qui, chaque fois qu’elle
volait, stupéfiait tout le monde
par le charme singulier qu’elle
déployait dans la manière de se mouvoir. Elle produisait
sur tous un effet attractif curieux ; au vol, on la suivait des yeux ; posée,
on faisait cercle autour d’elle et on contemplait longuement cette petite
merveille.
L’impression que
produit l’oiseau mutilé ou en cage n’est pas agréable ; il n’attire pas. Passez devant
une de ces loges du Jardin des Plantes où est prisonnier un de ces splendides
rois des airs, vous serez d’abord suffoqué par une odeur repoussante, puis vous
verrez un oiseau immobile, replié sur lui-même, regardant vaguement par delà
l’horizon, rêvant les cimes neigeuses, ses grands mélèzes noirs, ses chasses
ardentes et son grand ciel tout à lui. Quand
il est libre, tant qu’il est couché ou qu’il marche, on a un instant d’illusion, mais dès qu’il ouvre les
ailes et montre son malheur, son aile coupée on plaint malgré soi le pauvre
estropié et on passe plus peiné que satisfait. Mais, en place, quand on le sait
pourvu de ses organes de liberté, l’attention est de suite surexcitée ; on
attend, on espère un départ, un soulèvement qui vous montrera une tournure
inconnue dans la manière de se mouvoir des êtres ; puis, quand on l’a vu, on
veut le revoir, surtout si on a eu le spectacle d’un de ces grands maîtres dont
l’allure est tellement étrange qu’on ne s’y habitue jamais.
Il serait bien
facile de faire sur le bord de la mer quelque chose de charmant et relativement
à peu de frais. Ainsi, par exemple, choisir une petite anse naturelle entourée de rochers, pas bien grande, quelques
hectares suffiraient, agrémenter les rochers qui la bordent de la manière
suivante : construire, quelques mètres devant eux, un grand mur irrégulier ayant ses fondations dans la mer. Transformer l’espace
compris entre ce mur et le
rocher en galeries étagées destinées aux visiteurs. Dans ce mur absolument
irrégulier on laisserait une foule
de vides, de trous, de cavernes destinés
aux êtres qu’on
veut acclimater. Dans le bas
se trouveraient les antres destinés aux phoques, lions marins, etc., et aux
oiseaux qui ont l’habitude de nicher dans les excavations qui sont au niveau de
l’eau. Plus haut, à quelques mètres d’élévation, on pourrait réserver, en
retrait, des terrasses sur lesquelles se plairaient les oiseaux qui ont l’habitude de se réunir en rokerie.
On pourrait
peut-être
réussir à créer ces agglomérations si curieuses que les pêcheurs et les
baleiniers seuls connaissent.
Au-dessus de ces terrasses, très irrégulières afin de ne pas froisser
la donnée pittoresque, on pourrait disposer dans
cette construction de nombreux nids destinés aux fous, mouettes, goëlands,
sternes, frégates, ptc. On devrait les faire très nombreux, de grandeurs
différentes, d’abords variés
afin d’offrir aux diverses variétés
de volateurs marins
un grand choix de nids. Ce
serait une série de rangées de trous disposés presque au hasard, grands,
petits, moyens, au choix de ces êtres dont on ignore les goûts ; mais il faut
beaucoup de variétés ; il faut copier la nature et non le mur de forteresse,
faire, en un mot, une étude sculpturale d’un bord de mer accidenté, d’une de
ces côtes agrestes des îles du Nord qui sont criblées de nids et qu’ont seuls
entrevu quelques dénicheurs islandais ou norvégiens.
J’aimerais faire le plan de cet ornithorium,
je crois qu’il serait adopté par les oiseaux.
Chacune de ces cavernes
aurait une ouverture
donnant sur la galerie des visiteurs, munie d’une glace qui permettrait
de voir ce qui s’y passe et d’étudier l’oiseau. Au moyen d’un subterfuge, il
serait facile de bien voir et de n’être pas vu.
Le spectacle qu’offrirait cet ornithorium serait bien curieux. Dans le bas, le repaire des grands
amphibies, l’alaitement de leurs petits, les premières leçons de natation,
qu’on pourrait suivre si on avait fait un étage-sous-sol, qui serait un
aquarium dans la mer libre. On pourrait suivre leurs évolutions très loin dans
cette anse, qui serait comme la vraie mer toujours limpide. Plus haut, la
rokerie : spectacle inouï, dont on n’a pas d’idée, qui retiendra le visiteur de
longues heures en contemplation devant cet ordre social parfait, cette bonne
amitié entre tous ces oiseaux d’espèces et même de genres différents. Ces
promenades des manchots, pingouins, sphénisques, macareux, marchant droit comme
des soldats à la parade, ces rapts d’œufs d’une couveuse à l’autre, et toujours
pour le bon motif. Tout cela a un
charme, un attrait empoignant qui attirera beaucoup de monde ; les désœuvrés,
les indifférents même seront retenus malgré eux. Le gouvernement n’a assurément pas à s’occuper d’une création pareille,
mais une ville où il y a des bains de mer pourrait en la créant faire une bonne
affaire à cause de l’action attractive qu’un
pareil ornithorium aurait pour les visiteurs.
La nidification de
tous ces êtres sera accompagnée du magnifique spectacle de l’évolution de
l’oiseau tout-à-fait à l’état de nature. Les phoques se croiront. sur leurs
rochers populaires. Les pingouins pourront être étudiés dans leurs chasses
aquatiques ; et dans l’air on verra en pleine allure de franche liberté les
oiseaux marins qu’on n’aperçoit que momifiés dans les vitrines des muséums.
Il serait facile
d’alimenter chaque nuit cette petite anse, surtout dans le commencement ; plus
tard la grande mer qu’on leur livrerait pourvoierait à la nourriture complète
de toutes ces colonies.
Pour qu’une
pareille création puisse être établie dans des conditions de réussite, il faut
pouvoir défendre sur la terre et sur l’eau les êtres que l’on acclimate. Le
gouvernement ou une ville peuvent seuls avoir ce pouvoir.
Tout bien pesé, tout
bien analysé, j’ai la conviction profonde que les divergences d’opinions qui
divisent ceux qui s’occupent de l’étude de la locomotion aérienne reposent sur
le non-savoir.
Les penseurs ont
pensé, mais ils n’ont pas vu.
Adressez-moi le
plus fanatique des partisans du ballon ou du vol ramé, qu’il reste avec moi
seulement quelques jours, et si je n’en fais pas un converti au vol à la voile,
non un converti bénin, mais au contraire un fanatique irréductible, je veux
bien être frappé de cécité.
Demandez plutôt à
M. Albert Bazin à M. S. Drzewiecki ce qu’ils pensent de mon observatoire,
combien il y a de milans et de corbeaux en vue, ce qu’ils pensent du vol du
percnoptère et surtout du grand vautour, qu’ils n’ont fait, hélas ! qu’entrevoir.
Il y a au Caire cent fois plus de voiliers en l’air qu’il n’y a de rameurs en
vue à Paris.
Cependant, je dois constater
un fait : c’est que cette démonstration patente, de fait établi,
s’atténue avec le temps. Je parle dans ce cas non seulement pour les autres,
mais de ce que j’ai ressenti.
L’intelligence oublie,
la foi comme le parfum s’évapore avec le temps.
Il faut donc voir
d’abord, puis voir souvent, si on veut se sentir à chaque instant
de force à se mesurer avec
les défaillances intellectuelles par la vue de l’évolution.
Au fait, est-ce
bien un bon conseil que je donne là ? Est-il réellement bon de s’inoculer un
virus aussi actif que celui de l’amour de l’aviation ?
J’en doute fort.
Et à ce propos-là, entre nous, en ami bien sincère, si vous n’êtes pas encore
pris, précisément empoigné par ce problème, laissez-le, abandonnez-le, n’y
pensez plus ; c’est une terrible maladie que vous éviterez.
J’aurais bien dû
suivre le conseil que je donne ! mais, je ne savais pas d’abord ; puis je
n’aurais pas pu.
J’ai réussi à
passer une fois plusieurs mois sans y penser. Je me croyais guéri, quand, un
beau jour, levant les yeux en l’air par le plus grand des hasards, je vis un
magnifique arrian. Oh ! ce fut fini !
tant qu’il fut en vue, je fus cloué sur place. Et, franchement, il y avait de
quoi être immobilisé.
Il passait
là-haut luttant lentement contre un vent de tempête pareil à nos grandes bises,
avançant peu à peu contre
ce puissant courant
aérien avec une régularité singulière. De
temps
en temps, pour résister à ces bourrasques qu’on percevait d’en bas, il
s’élevait sans reculer et sans avancer, mais gagnait une hauteur considérable.
C’est surtout
cette lenteur qui stupéfie, c’est cette faculté de pénétration quand même dans
ce vent violent qui donne le mal de l’aviation. Puis, quand il se mit à décrire
ses orbes, ce fut une amplitude
indescriptible.
Que Dieu vous
préserve d’un pareil spectacle !
Et après qu’il eut
disparu, cette majesté dans les allures me poursuivait. Tout ce qu’il avait
produit comme acte de vol était d’une analyse simple, il n’y avait aucun
mouvement difficile à expliquer
; tout était d’une
compréhension si facile que le désir de l’imiter revint d’une façon impérieuse.
Je considère la
vue d’un pareil spectacle comme un danger sérieux pour tout cerveau bien
organisé pour l’analyse mécanique. Evitez-le donc tant que vous le pourrez,
fermez plutôt les yeux afin de ne pas voir.
Si, par malheur,
vous êtes infesté, oh ! alors, allez franchement à l’étude, saturez-vous des
évolutions des maîtres, voyez souvent, toujours, vous ne saurez jamais trop.
Certainement que
cette aspiration de l’intelligence vers la réalisation de ce problème poétique
a été un grand mal pour beaucoup de gens. Que de ruines, de temps perdu,
d’espérances détruites ! Oui ; c’est vrai, assurément. Mais il y a bien dans
tout tableau un coin de ciel bleu. Le penseur étreint aussi fortement ne l’est
assurément pas sans éprouver quelque jouissance. Cette pensée qu’il cache
ordinairement, mais c’est au fond la joie profonde de son cœur ; ce mal est une
douce caresse ; il craint sa passion, sa folie, mais il l’adore et ne peut
réussir à l’oublier. Il a eu le malheur d’avoir été charmé par le planement, ce n’est pas un crime.
Ce rythme néfaste
poursuit comme certains airs dont on ne peut se débarrasser. C’est un amour
particulier de ce genre de mouvement, qui est, au reste, comme tout amour, une
maladie ; il ne s’éteint qu’avec le temps, à la condition, cependant, qu’on ne
reverra pas. Mais, si on revoit, on est bien, franchement perdu : lutter est
impossible.
Heureusement, on
avance, on y arrive, on le tient corps à corps, ce terrible problème.
Autrefois, il y a
vingt ans, il y avait honte et déchéance à avouer une infirmité morale pareille
; aujourd’hui, il n’en est plus ainsi, on peut presque s’en vanter, et au
premier succès on en sera félicité.
Je ne voudrais pas
quitter le lecteur sans lui faire mes adieux, car ma mission est finie. Je n’en sais pas davantage.
Un problème
pareil use la vie d’un homme, et la mienne est finie. Je me retire de la lutte attristé
de n’avoir pas été cru.
J’ai constaté, à
mon grand regret, qu’on n’a généralement pas su démêler dans ces exposés
humoristiques le fond sérieux qui les recouvraient.
J’ai d’abord tout
simplement écrit les choses comme je l’ai pu, n’ayant aucune ambition au titre
d’écrivain. J’ai dépeint l’oiseau avec mon tempérament ; la forme en est trop
souvent incorrecte et bizarre, mais le mobile était bon. Il me fallait un récit
léger pour faire admettre une idée difficile à saisir, ou, qu’on me permette
une comparaison vulgaire, une sauce pour faire passer un ragout indigeste.
J’avais à
apprendre le vol de l’oiseau à ceux qui ne le connaissaient pas, et ils sont
nombreux ; il fallu le faire revivre et évoluer devant eux. Je ne regrette
aucune de mes incorrections si j’y suis parvenu.
J’étais forcé de
le faire, parce que je sais qu’on ne peut s’instruire sur ce point : aucun
livre ne traite de ce sujet ; l’observation est pour beaucoup impossible, je
voudrais cependant qu’ils entrevissent ce qu’est le vol de l’oiseau. J’ai donc
été forcé d’écrire.
J’ai eu à lutter
contre le ballon, le rameur et l’emploi intempestif des mathématiques ; je l’ai
fait avec virulence, j’en conviens humblement ; mais c’est contre les idées que
j’ai lutté et non contre leurs
partisans, je ne pense donc pas avoir blessé personne. En tous cas, s’il en est
qui se soient crus atteints je leur fais mes plus sincères excuses ; j’espère
qu’ils me pardonneront et se diront que je suis comme eux un convaincu.
Il faut excuser
le voyant, il faut tenir compte de l’ardeur de sa foi dans le vol à la voile.
Ses critiques des autres systèmes de navigation aérienne ont été souvent d’une
énergie excessive, mais il faut y voir non un effet de la violence de la lutte,
mais simplement l’angoisse éprouvée de voir s’engager dans une voie sans issue une
somme d’intelligence et d’action qui,
lancée, dans ce qui est, j’en suis absolument certain, la bonne direction,
aurait produit le résultat. Les courants
d’idées divers ont été attaqués dans ces deux livres, les personnes jamais.
L’auteur
n’a pu faire toucher du doigt le vol sans battement aux lecteurs ni aux
aviateurs qu’il a eu l’occasion d’entretenir ; même, hélas ! au Caire, il n’a
pu montrer le grand vautour que d’une manière tout à fait imparfaite, et
nullement concluante, je le reconnais. Les modèles
étaient absents dans l’instant. C’est assurément un grand malheur. L’observation est de longue
haleine. Il ne me suffit plus, même au Caire, de faire jeter les yeux dans l’atmosphère à un aviateur
pour y faire rencontrer le Maître, il faut encore
qu’il soit dans le ciel. Il devient rare, ce démonstrateur du vol sans
dépense de force !
Cependant
il existe ; mais je dois reconnaître qu’il n’est plus visible à point nommé
comme il l’était autrefois.
Ce que je puis dire, c’est
que celui des aviateurs qui aura la chance de pouvoir l’étudier ne pourra dire qu’une chose des
descriptions que j’en ai faites : c’est qu’elles sont plutôt éteintes
qu’exagérées.
C’est seulement
le manque de bons modèles qui amène ces divergences d’opinions, ces routes
diverses que suivent les intelligences qui se vouent à l’étude de la navigation
aérienne. La vue d’un seul vol de ces oiseaux
privilégiés aurait pour effet de rallier au vol à la voile, d’un seul coup de filet, en
un seul faisceau, les partisans de tous les systèmes différents qui divisent
l’étude de ce phénomène, car ils sont tous intelligents, ces chercheurs ; la
vue de cette merveille les illuminerait de sa simple grandeur, et ferait qu’il
n’y aurait plus qu’une voie à cette étude, celle du vol sans battement.
Avant la
publication de l’Empire de l’Air la
question de la navigation aérienne pouvait se
diviser en deux ordres d’idées bien tranchés et franchement opposés l’un à
l’autre : le plus léger que l’air et le plus lourd.
L’étude du
ballon, malgré le grand effort produit depuis quinze ans, semble être arrêtée
par des barrières difficiles à franchir qui sont : la résistance du vent et la
faiblesse de l’enveloppe.
Le plus lourd que
l’air est la reproduction de l’oiseau rameur ; ce problème n’est pas encore
résolu.
L’Empire de
l’Air et le Vol sans
Battement développent une troisième manière d’envisager la question, qui
est le vol plané sans battement.
Cette façon de
concevoir le vol a été délaissée parce que, à première vue, elle semble
tellement paradoxale qu’elle n’a eu qu’un succès d’estime, ce qui a fait que, à
moins de rares exceptions, son étude a été abandonnée, malgré la facilité
qu’offre sa reproduction. Puis, parce que son analyse précise, mathématique,
n’a pu être donnée à cause de la complication des évolutions. Ensuite, parce
qu’elle semblait, pour beaucoup de gens, être une utopie ayant beaucoup de
rapports avec le problème du mouvement perpétuel. Enfin, parce qu’elle ne
s’établissait que sur l’observation. Comme généralement il faut voir pour
croire, et qu’on n’avait pas vu, on n’a pas cru.
L’extrême
simplicité de la reproduction du vol sans battement ne se discute pas, surtout
si on la compare aux difficultés présentées par les autres ordres d’idées. Ce
n’est pas là qu’est l’écueil, il est dans la difficulté qu’éprouvent les intelligences à accepter l’économie
grandiose
dans sa simplicité de ce vol inventé par la Nature, et que je n’ai fait
qu’observer toute ma vie, et décrire comme je l’ai pu.
Malgré les
imperfections de toutes les descriptions et des explications contenues dans ces
deux études, la vision de l’évolution a été tellement active qu’elle m’a permis
d’affirmer comme base fondamentale de ce problème que :
« Dans le vol des
oiseaux voiliers, l’exhaussement est produit par l’emploi adroit de la force du
vent, et la direction par l’adresse ; de sorte qu’avec un vent moyen, on peut
avec un aéroplane qui n’est pourvu d’aucun appareil pour s’exhausser, s’élever
dans les airs et se diriger, même
contre le vent. L’homme peut donc, avec une surface rigide, bien organisée pour
pouvoir être dirigée, répéter les exercices d’ascension et de direction que
font les oiseaux planeurs, et n’aura à dépenser en fait de force que celle
nécessaire à la direction. » (24 avril
1881. Empire de l’Air.)
L.-P. Mouillard.
Caire.
PLANCHES I, II, III.
Portrait de L.-P. Mouillard.
Ombre de la Mouette
N° des Pages
Ombre du Corbeau égyptien Ombres de l’Ardéa et de l’Effraye Aéroplane
Construction
d’une aile Construction du
corset Graphiques
Allures suivant la vitesse du vent
Cerf-volant
Cerf-volant voile Chariot aéroplane Courbe de
Chute Tableau de M. Dieuaide
Pages
André Heny Coüannier
— La Vie et l’Œuvre ignorée de L.-P. Mouillard.
L.-P. MOUILLARD. — Le Vol sans battement
Première Partie. — Etudes d’oiseaux
Le Vol sans Battement Liemétis Nasicus Goélands et Mouettes
Corbeaux et Milans
Garde-bœuf
Puffinus Kulhii Oiseaux du Caire
Tableau
Deuxième Partie. — Appareils aériens
De la pénétration Le Vol ramé Aéroplane fixe Aéroplane d’essai Aéroplane à moteur
Forme de l’aéroplane sous pression Cerf-volant
Étude de l’atmosphère par le ballon
Soupape de ballon
TROISIÈME PARTIE. — Causeries Aphorismes
Arrêt de pénétration
Mécanique de l’oiseau
Du choix dans l’observation Vol retenu
Angle d’attaque Apropos du vol théorique
Nécessité de l’observation des voiliers Du repos en acte d’aviation
Démonstration de l’expérimentation Ornithorium
1.
↑ La Société Française de Navigation aérienne.
2.
↑ Voici le passage
auquel il fait ici allusion
: « Vous le distinguerez cependant très vite à l’angle
en avant formé par ses ailes, à l’absence de battements, et
surtout à la lenteur et à la régularité avec laquelle il se meut dans l’espace
: c’est là un signe infaillible pour
le reconnaître à perte de vue. Sa grandeur ne se comprendra que bien plus tard, lorsqu’il ne sera plus qu’à 2 ou 300
mètres ; et, à partir de cette distance, il croîtra avec le rapprochement beaucoup plus que les autres oiseaux.
« Vous le distinguerez encore à la forme particulière du bout
de ses ailes. On peut dire que c’est l’oiseau qui a les rémiges les plus écartées les unes des aitres : il y a à
l’extrémité, entre chaque plume, un espace vide de cinq largeurs de plume.
« Puis encore à une autre particularité : la rémige, au lieu
d’aller en s’effilant vers la pointe, est construite d’une manière
inverse ; elle semble implanté
dans le corps de l’aile par le bout mince ; la pointe se trouvant sensiblement plus large que la partie qui semble s’attacher à l’aile et qui
précède juste le grand élargissement des barbes. »
3.
↑
Voir
page 33 de « l’œuvre ignorée de Louis
Mouillard », l’exposé de la méthode de mesure empolyée par l’auteur.
4.
↑ Ces chiffres du flammant mâle (Phœnicopterus antiquorum) sont comme suit :
Allure V O’’; Poids : 2880 ; Surface :
0,378130 ; Envergure : 1.75 ; Largeur moyenne
: 0,21 Proportions : 8,33 : 1 ; Un gramme
est porté par 0.000131 ; Un mètre
carré porte : 7616 grammes ; 80 kilogs seraient portés par 10 mg, 48.
5.
↑ Voici le passage auquel il est fait allusion : « Il y avait du bon dans cet aéroplane, mais
il avait été fait trop précipitamment.
− L’essai fut fait par un vent trop fort ; je ne voulais pas me montrer,
je fus obligé de saisir un moment où
j’étais seul... Je me suis mis donc dehors avec mon appareil, je courus contre
le vent : la sustentation était très
forte.
« Je n’avais pas confiance, je l’ai dit, en la solidité de mon aéroplane. Un coup de vent violent
survint : il m’enleva
; je pris peur, je cédai devant lui et me laissai renverser. J’eus une épaule
luxée par la pression des deux ailes,
qui avaient été ramenées l’une contre l’autre comme celles d’un papillon au
repos. » (L’empire de l’Air, p.248).
6.
↑ Voir l’Empire de l’Air, où il est dit à la page 229 :
« Quand un oiseau
décrit un rond,
l’aile du côté du centre
est toujours moins
étendue que celle
dont la pointe
décrit la circonférence : de sorte que, en voyant un voilier ployer légèrement une aile, on sait qu’il va tourner de ce côté. »
7.
↑ La Landelle (Guillaume-Joseph-Gabriel de), né à
Montpellier en 1812, fut lieutenant de vaisseau, collabora à La Flotte
et publia des poésies et des romans maritimes.
8.
↑
La
Publication de Robur le Conquérant (1886)
est postérieure à celle de l’Empire de
l’Air. Jules Verne avait inauguré la série de romans scientifiques avec « Cinq
semaines en Ballon » voyage de
découverte, publié dans le Magasin
d’éducation et de récréation d’Hetzel, puis en volume en 1863.
9.
↑ Voir l’Empire de l’Air, p.
247.
10.
↑ M. Dieuaide, secrétaire de la Société
Française de Navigation aérienne, dressa en 1880 son Tableau d’aviation, d’après
des documents
11.
↑ Voir l’Empire de l’Air, p. 242
12. ↑ Cf. Dans l’Empire
de l’air, p. 258 : « Le désideratum de la direction aérienne
est, nous l’avons dit, une machine pouvant
partir par un temps calme, de la surface de l’eau »
13.
↑ Voir: Empire de l’Aire, p. 259 et
suiv.
14.
↑ Voir plus loin « Le Vol ramé » p. 138 et suiv.
15.
↑ Voir l’Empire de l’Air, p. 41, le chapitre qui a pour titre Le vol des voiliers
16.
↑ Les caractéristiques données pour cet oiseau au
tableau dont il s’agit sont :
Allure V. O ;
poids en grammes : 1270 ; surface : 0.329.178 ; envergure 1.548 ; largeur moyenne : 0.24 ; proportions : 6.45 : 1 ; 1 gramme est porté par
0.000259 ; 1 mètre carré porte :
3.797 ; 80 kilogs sont portés par 20ᵐ79.
Ces chiffres sont obtenus
par application de la méthode décrite à la page 33.
17.
↑ Les considérations qui précèdent
ainsi que les deux phrases portées ci-dessus en italique montrent que l’auteur considère l’oiseau comme sou-
18.
↑ La loi de l’attraction de Mouillard s’exprime
ainsi : « Quand un corps se meut, son centre de gravité se déplace et se transporte ne arrière du sens du mouvement ». L’impropriété des termes qu’il emploie
lui a valu les critiques de maint mathématicien.
19.
↑
G.
de La Landelle est l’auteur d’un ouvrage ayant pour titre Aviation ou Navigation aérienne sans ballons, publié en 1863, chez E. Dentu, Editeur-Libraire de la Société des
Gens de Lettres à Paris, 17 et 19, Galerie d’Orléans
au Palais Royal.
G. de La
Landelle a publié en outre de nombreaux ouvrages sur les gens de mers et la
navigation maritime. Dans son ouvrage
« Le Tableau de la mer », le chapitre XII traite de l’« Aéronef
».
20.
↑ Voir p. 43 et suiv. de l’Empire de l’Air.
21. ↑
Voir plus haut p. 232 et suiv. au chapitre : le Gouvernail vertical. Voir également plus loin, p. 290 et suiv. au chapitre
: Aéroplane fixe.
22.
↑ Le ballon « La France », des capitaines Charles Renard et Krebs qui avait fait le premier parcours en circuit fermé le 9 août 1884
23.
↑ Voir plus haut p. 203 et suiv.
24.
↑ Voici le passage auquel il est fait allusion : « Il y avait du bon dans cet aéroplane, mais
il avait été fait trop précipitamment.
− L’essai fut fait par un vent trop fort ; je ne voulais pas me montrer,
je fus obligé de saisir un moment où
j’étais seul... Je me suis mis donc dehors avec mon appareil, je courus contre
le vent : la sustentation était très
forte.
« Je n’avais pas confiance, je l’ai dit, en la solidité de mon aéroplane. Un coup de vent violent
survint : il m’enleva
; je pris peur, je cédai devant lui et me laissai renverser. J’eus une épaule
luxée par la pression des deux ailes,
qui avaient été ramenées l’une contre l’autre comme celles d’un papillon au
repos. » (L’empire de l’Air, p.248).
25.
↑
Les
pages qui suivent forment à peu près la matière de l’article que MOUILLARD fit paraître en 1894 dans la revue américaine Aéronautics. Voir vol. 1,
n° II de cette publication, l’article
intitulé : « A programme for safe experimenting », by L. P. MOUILLARD. Cairo, Egypt. Août 1894, p. 150 et suiv.
26.
↑ Voir l’Empire de l’Air, p. 237
27.
↑
L’allure
V 10’’ signifie : les ailes
développées comme quand l’oiseau vole cotnre un vent de 10 mètres à la seconde, et de même pour V 8’’. V
6’’, etc.
L’allure V 0’’ est celle du vol quand il n’y a pas de
vent.
28.
↑ On trouvera le croquis de l’appareil de De Groof dans le tableau de M.DIEUAIDE, à la fin du présent volume.
Le 9 juillet 1873, de Groof qui avait construit un parachute muni d’ailes, se fit enlever
en ballon par M.Simmons, à Gremorn Garden,
à Londres. La corde qui retenait de Groof et son parachute
fut coupée à une certaine
hauteur ; les ailes
se retournèrent, et l’inventeur fut précipité sur le sol.
29.
↑ Voici le passage
auquel il est fait allusion
:
« Je prendrai l’aéroplane chargé à une grande vergue de
bateau ; on le hissera aussi haut que
possible, et de là-haut on
l’abandonnera à sa
30.
↑ Dans son article : « Aprogramme for safe
experimenting » (Aéronautique, Vol. I. n° II. Auût 1984, p. 151), L. P. Mouillard s’exprimait ainsi : « For this purpose a
location may be selected upon a pier, with water on both sides and broadside to the prevailing wind, or upon a vessel
with at least
two masts, anchored
at a suitable distance from the
shore ». (Dans ce but, on peut
choisir un emplacement sur une jetée, entourée d’eau des deux côtés, et présentant le flanc au vent habituel, ou
sur un navire muni d’au moins deux mâts, ancré à une distance convenable du rivage).
31.
↑ Dans l’article d’Aéronautics, MOUILLARD proposait aussi le Golfe du Mexique.
32.
↑ L’Empire de l’Air
et le Vol sans battement.
33.
↑ Voir l’Empire de l’Air. p. 232
34.
↑ Dans l’Empire de l’Air, p. 262, MOUILLARD fait de
l’appareil, la description suivante :
« Sur un bâti puissant, en ormeau, châtaignier ou bambou, le plus résistant
possible, je fixerai
une enveloppe légère en
osier, ayant la forme du corps d’un oiseau. »
« Cette forme d’osier serait recouverte
d’une feuille d’aluminium, de manière à faire un bateau. »
35.
↑ Le premier voyage
aérien avec retour
au point de départ fut réalisé par les capitaines Charles Renard et Krebs, le 9
août 1884. Il fut constitué par un parcours de 7 k. 600 (Chalais-Villaconblay
et retour) couvert en 23 minutes.
36.
↑ Voir l’Empire de l’air, p. 247 et 248
37.
↑
Le
grand aérostat captif à vapeur de l’ingénieur Henri Giffard, réalisa un millier
d’ascensions au cours de l’Exposition
de 1878. 35.000 personnes environ furent ainsi enlevées à 500 mètres dans les
airs. Le ballon formait une sphère de
36 mètres de diamètre, la nacelle circulaire avait 6 mètres de diamètre. On
utilisait, pour la manœuvre du câble
de 600 mètres, deux machines à vapeur de 300 chevaux et un frein régulateur à
air.
À propos de cette édition
électronique
Ce livre électronique est issu de la bibliothèque numérique Wikisource[1]. Cette
bibliothèque numérique multilingue, construite par des bénévoles, a pour but de
mettre à la disposition du plus grand nombre tout type de documents publiés (roman,
poèmes, revues, lettres, etc.)
Nous le faisons gratuitement, en ne rassemblant que des
textes du domaine public ou sous licence libre. En ce qui concerne les livres
sous licence libre, vous pouvez les utiliser de manière totalement libre, que
ce soit pour une réutilisation non commerciale ou commerciale, en respectant les clauses de la licence Creative
Commons BY- SA 3.0[2] ou, à votre convenance, celles de la licence GNU FDL[3].
Wikisource est constamment à la recherche de nouveaux
membres. N’hésitez pas à nous rejoindre. Malgré nos soins, une erreur a pu se glisser
lors de la transcription du texte à partir du fac-similé. Vous pouvez nous
signaler une erreur à cette adresse[4].
Les
contributeurs suivants ont permis la réalisation de ce livre :
Fabrice Dury Cantons-de-l'Est
Acélan
Tétraodon pardalis
M0tty
Lorlam Shev123 Aristoi
2. ↑ http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr
3. ↑ http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html
4. ↑ http://fr.wikisource.org/wiki/Aide:Signaler_une_erreur